Nasr Hamed Abu Zayd: «Le Coran est un texte linguistique, un texte historique et un produit culturel» – Analyse de Chakib Hallak, enseignant-chercheur à Paris

Par Chakib HALLAK*

Introduction

Le renouveau de la pensée islamique dans le monde arabe passe nécessairement par une nouvelle interprétation du Texte et du patrimoine (Turâth). Mes articles précédents ont porté sur quelques penseurs arabes courageux (M. Shahrour, Faraj Fouda, Sayyed Al-Qimni et Al-Kawâkibi) qui ont osé s’opposer à l’islam officiel, tant dans l’interprétation du Texte que dans celle du patrimoine. Ils ont qualifié toute l’exégèse traditionnelle de non scientifique et ont fait exploser les notions et les concepts en les «défamiliarisant» de leurs contextes habituels. Leur projet d’une nouvelle pensée islamique, qualifiée de «scientifique et objective», remet en question les préjugés, les partis pris et les erreurs d’appréciation de la tradition exégétique. C’est à eux que l’on doit donc l’émergence d’un nouveau discours politico-religieux dans le monde arabe.

 

 

Le présent article s’intéresse à l’œuvre d’un autre membre de ce « courant », un autre grand innovateur connu en Occident pour ses démêlés avec les islamistes d’une part, et avec la justice de son pays d’origine, l’Égypte, d’autre part. Il s’agit de Nasr Hamed Abu Zayd.

Nasr Hamed Abu Zayd (10 Juillet 1943 – 5 Juillet 2010) est considéré comme l’un des principaux penseurs de la renaissance arabe contemporaine, qui a embrassé les principes de la modernité avec ouverture d’esprit et sans complexe psychologique, et l’a déclarée avec audace comme une voie de libération de l’arriération et de la stagnation. Ses écrits, en particulier ceux qui traitent de la question du discours religieux et des questions connexes liées à la lecture et à l’interprétation des textes religieux, ont déclenché une tempête de controverses qui s’est terminée par la décision du tribunal du statut personnel du Caire de le séparer de son épouse au milieu des années 1990, au motif qu’il était un apostat et un non-musulman et qu’une femme musulmane ne pouvait donc pas épouser un non-musulman. Abu Zayd était très en colère contre la justice de son pays et a fait la déclaration suivante:

«Ô peuple d’Égypte, ne croyez pas les paroles du juge selon lesquelles je suis un apostat, même s’il fait appel, car un apostat, que Dieu nous en préserve, ne postule pas au titre de « professeur » dans une université d’un pays musulman s’il n’est pas fou (…) et je n’ai montré aucun symptôme de folie d’aucune sorte. »

En raison des circonstances qui ont précédé et suivi la décision du tribunal et qui ont mis sa vie en danger, Abu Zayd et sa femme sont partis pour les Pays-Bas, où ils ont résidé jusqu’à ce qu’il retourne discrètement en Égypte un an avant sa mort.

Dans les pages qui suivent, nous présentons les grandes lignes de la critique d’Abu Zayd du discours religieux et de ses mécanismes. Nous pensons qu’il s’agit de l’une des meilleures réfutations du totalitarisme intellectuel diffusé par ce discours.

La théorie de l’« historicité du Texte ».

Nasr Hamed Abu Zayd affirme que la fonction de la religion est d’«optimiser l’existence humaine sur terre», expression qu’il a utilisée à plusieurs reprises, en l’alternant avec l’expression «faire avancer la réalité humaine». Parce qu’il pense que la civilisation islamique a été centrée sur le texte coranique, il estime que c’est le texte coranique qui a rempli cette fonction. Cependant, le discours religieux dominant croit également que la religion a pour fonction de parvenir à une existence humaine optimale sur terre, et il croit aussi que la civilisation islamique était centrée sur le Coran ! Dans ce cas, il devient nécessaire de comparer le point de vue de Nasr Hamed Abu Zayd sur le texte coranique avec celui du discours religieux dominant sur le Coran.

Abu Zayd croit en la divinité du texte coranique. Il affirme cependant que l’Absolu s’est révélé aux hommes par sa parole et qu’il n’a pu le faire qu’en « s’abaissant » jusqu’à eux et en se servant du système d’interprétation culturel et linguistique des hommes. Ainsi, lorsqu’un tel événement se produit dans l’univers, il est automatiquement soumis aux lois que le Dieu tout-puissant a laissées dans l’univers. Prenons un exemple concret pour illustrer ce point : la pluie est un acte divin, mais Dieu la provoque par des lois physiques, des lois qui peuvent être expliquées par des hommes, comme l’évaporation, la formation de nuages et la condensation.

Pour Abu Zayd, le texte coranique est aussi un acte divin régi par des lois sociales qui englobent le temps, l’espace et la réalité vécue, avec ses structures sociales, culturelles et intellectuelles. Selon l’auteur, l’humanisation du texte ne nie pas son caractère sacré. Dès le premier instant où le Prophète a récité le Texte, celui-ci s’est transformé d’un Texte divin en un  Texte intelligible et humain dans sa relativité. Son tanzil «descente» est en soi ta’wil «interprétation» .Quand le prophète le récite, il l’entend sur la base de connaissance et de savoir de son époque.

En revanche, le discours religieux dominant prétend que ce que le prophète comprend est égal à l’essence du Texte, à supposer qu’il ait une essence spécifique qui ne soit pas connue par les hommes. Les tenants donc de ce discours ferment la porte aux interprétations basées sur la réalité, arguant que le texte coranique est divin et transcendant et que nous devons adapter la réalité à son contenu et ne pouvons pas agir autrement.

Si l’on résume les deux paragraphes ci-dessus, on peut dire que le discours religieux dominant croit que Dieu a béni les hommes avec le Coran, qui est parfait, qui transcende leur réalité et qui contient une recette leur permettant de mettre de l’ordre dans leur réalité, indépendamment de leurs circonstances temporelles, en suivant simplement ses enseignements et ses instructions.

Quant à Abu Zayd, il refuse catégoriquement d’identifier la compréhension du Prophète et de ses compagnons avec cette essence divine, et il estime qu’une telle identification équivaut au crime d’associationnisme contre l’essence divine, le plus grand péché de l’islam. Suivant sa méthode scientifique, Abu Zayd croit plutôt que Dieu, le Tout-Puissant, a créé certaines circonstances réelles qui ont conduit à l’émergence d’un texte qui exprime, décrit et modifie la réalité afin de la faire évoluer. Il nous appartient donc, poursuit l’auteur, de considérer notre réalité et de la comprendre comme point de départ, puis de nous tourner vers le texte coranique et d’essayer de le comprendre et de l’interpréter de manière à faire avancer notre réalité sociale. Abu Zayd note à ce propos:

«Les islamistes prétendent que la loi islamique (shari’a) est une interprétation divinement décrétée et immuable- valable pour tout temps et tout lieu. Moi ainsi que d’autres gens croyons que la loi islamique est une interprétation humaine des principes qui se trouvent dans le Coran et dans l’histoire islamique. L’islam est flexible et lorsque nous appliquons le raisonnement aux textes sacrés, nous faisons la promotion du bien-être individuel et public en dirigeant l’interprétation coranique dans la direction de la Parole de Dieu».(Cité par Roxanne Marcotte, Un islam, des islams?, p.62 )

Abu Zayd souligne haut et fort la dimension historique du Coran, dont le contexte doit être impérativement pris en compte. La relation entre le Coran et la réalité historique est dialectique, dit-il: il y a interaction entre le Message et le contexte, le premier étant une réponse à une situation qu’il s’agit de modifier, le second ayant un effet en retour sur le contenu révélé.

Dans le cadre de cette argumentation, Abu Zayd conclut que «le Coran est un texte linguistique, un texte historique et un produit culturel», c’est-à-dire qu’il a été élaboré sur une période de plus de 23 ans dans le cadre des conditions culturelles et sociales de l’époque de la révélation. L’attribution d’un caractère divin et métaphysique est donc une tentative d’occulter l’aspect culturel et historique du Texte, ce qui empêche une compréhension scientifique du phénomène.

La parole de Dieu prend forme dans et par un langage humain.

Pour Abu Zayd, le Coran a une double nature: d’une part, une dimension qui nous informe sur l’univers, la création, Dieu, ses attributs, la mission des prophètes et la morale. D’autre part, le texte a également une dimension humaine. L’expression humaine de cette dimension divine prend forme dans une langue particulière, l’arabe, à une époque et dans des conditions historiques précises, dans la péninsule arabique du VIIe siècle.

Contrairement à ce que véhicule le discours religieux contemporain (traditionnel), le choix de la langue n’est pas simplement le choix d’un récipient vide. La langue est l’outil principal qui aide l’homme à comprendre le monde et à l’ordonner; il est donc impossible de parler de la langue en l’isolant de la culture et de la réalité sociale. L’origine divine d’un texte n’a aucune influence sur le réalisme et l’historicité de son contenu et n’est donc pas en contradiction avec son appartenance à une culture humaine et à un contexte social et historique particulier.

Dans le cas du Coran, où l’origine divine du message ne peut être remise en question, il est tout à fait naturel que l’étude scientifique du texte coranique passe par la réalité et la culture. Ce contexte est celui de la vie de la personne à qui la révélation a été faite et des premiers destinataires du Coran, entourés d’une culture dont la caractéristique la plus saillante est la langue:

«Mon argument de base à  propos du Coran, dit Abu Zayd, est que pour rendre la pensée islamique pertinente, la dimension humaine du Coran doit être reconsidérée. Placer le Coran fermement à l’intérieur de l’histoire n’implique pas que les origines du Coran soient humaines. Je crois que le Coran est un texte divin, révélé par Dieu au prophète Muhammad, au moyen de la médiation de l’archange Gabriel. Cette révélation à eu lieu au moyen de l’usage d’une langue- une langue (l’arabe) enracinée dans un contexte historique. Le Coran s’adresse aux arabes vivant au septième siècle, tenant compte de la réalité sociale de ces gens en particulier vivant dans la péninsule Arabique de l’époque. Comment auraient-ils autrement pu comprendre la révélation?» (Cité par Roxanne Marcotte, Un islam, des islams?, p.55)

La différence entre sens et signification.

Abu Zayd fait une distinction entre le sens (ma’nâ) et la signification (maghza). Selon lui, le sens est ce qui est présenté dans le Texte, tandis que la signification reflète la relation entre le sens original et le lecteur actuel. Ainsi, alors que le Texte est fixe en raison de son historicité, la signification est changeante. Le sens est ce que la première génération de musulmans a compris. Après cette distinction, on peut dire que le sens dépend du Texte, alors que la signification dépend du lecteur.

Ici, Abu Zayd nous rappelle que chaque lecteur est porteur d’idéologies (religieuse, politique, nationale, sociale, etc.) et que c’est normal. Celui qui lit un texte le regarde nécessairement à travers le prisme d’une certaine culture, la sienne, et la lecture sera toujours partielle, biaisée et liée à la personne du lecteur. Il est cependant important que le lecteur soit conscient de ses attaches idéologiques lorsqu’il lit le Coran, afin de se protéger d’une «coloration» (talwin), d’une lecture idéologiquement et subjectivement tendancieuse. L’objectivité absolue, selon Abu Zayd, est une illusion, mais si l’on est conscient de ses propres idéologies, on peut arriver à une interprétation qui se rapproche de l’objectivité, une interprétation culturelle et non absolue.

Abu Zayd répond à ses détracteurs.

Abu Zayd, qui considère le Coran comme une source de culture, répond ainsi à ceux qui l’accusent de manquer de respect envers le Coran:

«Je traite le Coran comme un texte en langue arabe que le musulman, mais aussi le chrétien ou l’athée, devrait étudier parce que la culture arabe est réunie en lui et parce qu’il est encore capable d’influencer d’autres textes dans la culture (…) .Je vénère le Coran plus que le font tous les salafistes. Les salafistes le cantonnent au rôle de prescription (halal) ou d’interdit (haram), et cela bien qu’il s’agisse d’un texte qui a été productif pour les arts. Les arts visuels ont résulté du texte coranique, car l’art le plus important est l’art de la calligraphie. Les arts vocaux sont issus de l’art de la récitation coranique- tous les chanteurs classiques de la culture arabe ont débuté par la récitation coranique. Comment s’est transformée cette diversité de significations et de d’indications, cette présence à tous les niveaux? J’aime écouter la récitation du Coran. Que de choses restent cachées à cause de la restriction à la prescription et à l’interdit! En réalité, personne ne goûte le Coran. Nous lisons le Coran et nous avons peur, ou bien nous rêvons de paradis. Nous transformons le Coran en un texte qui procure des encouragements et qui intimide, en un bâton et en une carotte. Je veux libérer le Coran de cette prison, afin qu’il soit à nouveau productif pour l’essence de la culture et des arts, qui sont étranglés dans notre société». (Cité par Rachid Benzine, Les nouveaux penseurs de l’islam, p.193)

En outre, il ajoute: «Je suis certain d’être musulman. Ma plus grande crainte est que les gens en Europe me considèrent et me traitent comme un critique de l’islam. Je ne le suis pas. Je ne suis pas un nouveau Salman Rushdie et je ne veux pas être accueilli et traité comme tel. Je suis un chercheur. Je suis un critique de la pensée islamique ancienne et moderne. Je traite le Coran comme un texte révélé par Dieu au Prophète Muhammad. Ce Texte est mis dans une langue humaine, qui est la langue arabe. Quand j’ai dit cela, j’ai été accusé de dire que le Prophète Muhammad a écrit le Coran. Ce n’est pas une crise de la pensée, mais une crise de conscience». (Cité par Rachid Benzine, p.181)

Le discours religieux entre extrémisme et modération : les deux faces d’une même médaille.

Les études d’Abu Zayd sur la déconstruction du discours religieux en vue de le critiquer ont eu un fort impact, non seulement en raison de leur sobriété et de leur solide méthode scientifique, mais aussi parce qu’elles sont apparues à un moment où le socialisme arabe commençait à se retirer de la scène politique et populaire arabe à la suite de la défaite de 1967, et où l’islam politique a progressivement et puissamment comblé le vide. Cependant, sa pensée n’a pas perdu de sa pertinence et de sa validité, en particulier son livre «Critique du discours religieux», dans lequel il décrit les éléments qui constituent le discours religieux et contrôlent sa logique ; ce livre a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de ses relations avec l’establishment religieux et ses opposants. Ce qui est important à cet égard, c’est qu’Abu Zayd ne visait qu’à libérer la religion de l’emprise de son discours, car il pensait que la religion était un élément essentiel de tout projet de renaissance.

Pour Abu Zayd, la question de l’interprétation des textes religieux est prise dans un cercle vicieux en raison du débat idéologique utilitariste entre la «droite islamique» et la «gauche islamique», un débat qui éclipse le discours rationnel et qui, en fin de compte, donne l’avantage au discours religieux. La seule façon de sortir de cette impasse est de comprendre scientifiquement la nature des textes religieux. Une telle approche ferait de la religion ce qu’elle devrait être: un catalyseur de progrès, de justice et de liberté, libéré des mythes et des légendes. Cette approche est précisément ce que la laïcité représente à la base; la laïcité n’équivaut pas à l’athéisme, comme certains le propagent faussement, ni à la séparation de la religion et de la société, comme d’autres l’imaginent.

Le discours religieux varie entre les extrêmes et les modérés, mais la différence entre eux se limite à l’application des principes, et non aux principes eux-mêmes. Il n’est donc pas surprenant que les éléments de la structure du discours religieux de ces deux tendances soient identiques, bien que ces éléments soient visibles chez les premiers et cachés chez les seconds.

En plus de partager la structure du discours religieux, les tendances modérées et extrémistes s’appuient sur les mêmes mécanismes pour présenter les concepts, dont les plus importants sont les suivants:

1) Unification de la pensée et de la religion.

Que signifie donc cette «unification»? Abu Zayd constate que la «compréhension» contemporaine du texte se réfère au passé, occulte l’histoire et pose de manière absolue les principes qui ont donné naissance au Texte. Il n’y a donc qu’une seule façon de comprendre le Texte, qui est la même en toutes les époques et en tous lieux.

2) Renvoi à la cause première et unique, cause redoutable au nom de laquelle la laïcité, le marxisme et l’ensemble du discours occidental moderne sont attaqués. Tout est ramené donc à Dieu seul, ce qui crée une faiblesse dans le rôle de l’être humain.

3) Le recours au pouvoir du turâth «patrimoine» et des salaf «prédécesseurs». Cela aboutit à la sacralisation des textes jurisprudentiels énoncés il y a plusieurs siècles et même leur prééminence  sur le Texte.

4) La certitude mentale et l’esprit de décision: le dialogue est affaibli par l’ignorance ou le takfir des autres.

5) Négliger la dimension historique dans l’interprétation des textes religieux: lire les textes en dehors de leur contexte historique et social.

Ces méthodes constituent le cœur du «discours religieux contemporain». Leur but est de dominer la vie publique. Elles vont à l’encontre du pluralisme et de la liberté intellectuelle.

L’impossible syncrétisme entre l’islam politique et la gauche.

Pendant la guerre froide et au lendemain de la défaite de 1967, la scène politique arabe a connu une convergence entre l’islam politique et le socialisme laïc. Cet état de fait a intrigué nombre de penseurs et d’observateurs, car il semblait y avoir un mariage secret entre les deux partis, promis à un avenir radieux. Cependant, si l’on neutralise le facteur psychologique résultant de la défaite militaire, qui crée une atmosphère exceptionnelle permettant de telles formules irrationnelles, il est idéologiquement impossible de parler de mariage, de rapprochement ou de compromis entre les deux parties. La contribution d’Abu Zayd est importante dans ce contexte. Il part des écrits du Dr Hassan Hanafi, qui a appelé à une gauche islamique et à une réforme religieuse au nom de cette gauche, pour montrer que ces structures intellectuelles impliquent une lecture tendancieuse des textes religieux. Ces dernières brandissent les slogans de la science, de l’objectivité et de la recherche abstraite, tout en dissimulant leurs orientations idéologiques cachées. Cette approche rejette la méthode de l’analyse historique et se rapproche finalement du discours de la «droite islamique». La première brandit le slogan «La rénovation du patrimoine est la solution» et la seconde proclame que «l’Islam est la solution». Les concepts anciens et contemporains sont devenus parallèles et similaires. À l’instar de la droite islamique, la gauche islamique tombe finalement sous l’hégémonie du texte selon les interprétations dominantes du patrimoine ; elle perpétue une vision anhistorique du texte religieux. Que reste-t-il alors de la gauche, de sa science et de sa laïcité ?

Conclusion

Avec rigueur scientifique, objectivité et un style clair non dénué d’acuité, Nasr Hamed Abu Zayd révèle l’une des principales raisons de la stagnation et du retard du monde arabe et musulman: le discours religieux est enfermé dans la prison du passé. L’arrêt de l’ijtihad oriente le présent vers le passé au lieu d’affronter les défis actuels en pensant à l’avenir; il privilégie également les interprétations humaines au détriment du texte original et en substituant les textes secondaires aux textes initiaux. En plus de cette réalité tragique, ce discours, dans ses versions de gauche et de droite, est utilisé pour servir les intérêts des pouvoirs qu’il représente ou auxquels il est soumis.

Il n’y a donc pas d’autre issue à cette impasse que de différencier la religion de la pensée religieuse, et de libérer cette pensée pour qu’elle interprète le texte original d’une manière scientifique et actuelle, qui corresponde aux questions de son temps et de son lieu. Ainsi, la religion pourra contribuer à la renaissance souhaitée et retrouver son rôle de motivation pour la justice et la liberté. La laïcité reste le cadre adéquat qui permet de telles initiatives réformatrices, à condition d’être bien comprise et non accusée d’athéisme ou de séparation de la religion de la société et de la vie humaine.

*Enseignant-chercheur à Paris