Par: Zakia Laaroussi*
Les questions issues de proverbes arabes se succèdent :
« Le fourreau peut-il contenir deux épées? », « Un seul visage peut-il exprimer deux sourires de gratitude? », ou « Un seul cœur peut-il contenir l’amour pour deux personnes? »
Ces questions trouvent leur place dans un monde où les bonnes mœurs et la bienveillance sont devenues rares. Un monde auquel j’ai ouvert les portes de mes pensées, offert la moitié de ma langue, voire toute ma parole, et donné mon cœur sans retour. J’ai fermé pour sa cause la porte des relations familiales et me suis retrouvé éloigné de ma patrie par son brouillard épais, pour finalement être livrée aux griffes d’une extrême droite sombre et contradictoire, qui entrave ma respiration et influence mes valeurs, mes poèmes et ma prose.
Une extrême droite incarnée par une voix féminine… une femme que nous avons connue comme mère, sœur, épouse et source de tendresse, de pureté et de générosité. Une femme qui semble avoir sucé la mamelle de la générosité pour ensuite la rejeter.
La semaine dernière, en me promenant dans un marché parisien, j’ai entamé une discussion avec un commerçant africain au sujet de l’exil. Il m’a surpris en parlant de ses relations avec le parti de l’extrême droite, mais ce n’est pas cela qui m’a choqué. C’est plutôt son mépris pour les arabes et son hostilité envers les Maghrébins, qu’il exprimait haut et fort :
« Je connais bien le Maroc. Dès que nous quittons les frontières françaises, vous les Marocains nous appelez ‘Kahloosh’ et ‘Azzi’. Vous, Arabes, êtes violents, tyranniques et racistes. Nous ne voulons pas de votre islam et de vos voiles ici en France. »
Ses paroles furent un coup de tonnerre, me couvrant de honte à cause des termes odieux ‘Kahloosh’ et ‘Azzi’, et me libérant de l’humiliation de la question. J’ai compris que les adversaires de notre arabité dans l’exil viennent de notre propre continent, en raison du manque de sensibilisation des Maghrébins aux conséquences de ces injures.
Je dis aux nombreux immigrés d’Afrique noire en France, qu’ils sont nos frères, unis par notre continent, ses couleurs et ses vastes déserts qui nous ont appris la patience et l’endurance. En France, nous sommes unis par la beauté, l’art, le rêve et le savoir, malgré la douleur de l’exil et la nostalgie de notre langue et de nos terres.
Éloignons-nous de la rhétorique de la haine et de la division, afin qu’elle ne prenne pas le contrôle de nos esprits et de nos cœurs, et ne détruise pas notre patience.
À ceux qui suivent la voie de la haine et de la division, tout comme vous approuvez les propos de Marine Le Pen maintenant, vous en détesterez les actes plus tard. Tout comme vous admirez son éloquence, vous serez surpris par sa trahison. Tout comme vous la remerciez, vous vous en plaindrez. Tout comme vous la louez, vous la blâmerez.
Elle reprendra tout ce qu’elle vous a donné par ses paroles. Après avoir accédé au pouvoir, elle vous retirera ses promesses. L’extrême droite est née de la division et de l’hypocrisie. Le véritable leader ne construit pas sur la destruction ni ne renie les valeurs humaines en salissant les nobles.
La trahison féminine est plus répandue, mais avec l’extrême droite, elle est devenue la condition sine qua none de l’intégration. Pour devenir citoyen français, il faut faire un clin d’œil à Marine Le Pen, renoncer à son arabité et se révolter contre ses racines. Comme s’il n’y avait pas de place pour le mérite et l’histoire. C’est une histoire avec une seule identité et une mémoire qui lutte contre le destin et la diversité. C’est un présent politique et social vêtu d’obscurité, avec des paroles qui blessent les cœurs, les femmes et les enfants en exil.
Alors, au nom de Dieu, vous qui suivez les désirs de Le Pen parmi les immigrés africains et arabes, comment pouvez-vous semer dans un parti politique qui ne vous apportera aucun bénéfice mais augmentera votre humiliation et votre douleur?
Ne laissez pas les flèches de la division pénétrer vos entrailles et ne vous frappez pas avec vos propres mains en votant pour le parti de la dispersion de l’humanité et de sa ruine. Ne causez pas le chagrin de vos nobles ancêtres par vous-mêmes, et ne nourrissez pas vos enfants de la peine et de la douleur.
Qu’est-ce qui est plus parfumé que la rose sinon le musc de la patrie et le parfum d’une terre qui nous accueille! Si Marine me fait goûter le poison des paroles et que je mange la douleur et bois l’angoisse, je me replie sur mon cœur de peur que les liens avec ma patrie et les attaches de cette terre qui m’a accueillie, la France, ne se brisent.
Si le fourreau ne peut contenir qu’une seule épée et le cœur qu’un seul amour, alors il y aura dans mon fourreau une seule épée mais à deux lames et dans mon cœur, la moitié pour ma patrie et mon arabité et l’autre moitié pour la France, pays de beauté et d’art, même si la longueur des deux terres est d’une coudée et leur largeur d’une main.
*Poétesse marocaine basée à Paris.