Par Khalid ATTOUBATA*
La tension monte sur la scène politique brésilienne à la veille des présidentielles les plus polarisées de l’histoire, sur fond de remise en cause du système électoral par le président Jair Bolsonaro (Parti Libéral, droite) et d’une concurrence acharnée à tous les plans.
Selon le dernier sondage de l’institut Datafolha, l’ancien président Lula da Silva remporterait 45 % des voix, devant Bolsonaro (31 %). La polarisation est telle que le troisième candidat dans les sondages, Ciro Gomes (Parti démocratique travailliste), n’est crédité que de 9 %.
Les autorités ont pris plusieurs mesures pour assurer la sécurité de ces élections jugées cruciales pour la première puissance latino-américaine, dont l’interdiction du port d’arme le jour du scrutin près des bureaux de vote, après le décès de plusieurs personnes suite à des altercations à caractère politique.
Entre temps, Bolsonaro a réitéré ses critiques du système de vote électronique, mis en place dans le pays depuis 1996 et qui, selon lui, reste vulnérable à la fraude. « Malgré l’accompagnement des forces armées », qui participent au processus électoral, « nous n’avons pas pu éliminer la possibilité de fraude », a déclaré Bolsonaro.
Son parti vient de rendre public un « rapport d’audit » faisant état de failles et de retard dans les protocoles de sécurité, ce qui laisse le système de vote exposé à des tentatives de fraude. Le pouvoir judiciaire a vigoureusement riposté en dénonçant ce rapport et en ouvrant une enquête sur ces allégations qui remettent en cause la transparence du scrutin.
Lors d’une rencontre avec la mission d’observation de l’Organisation des États américains (OEA), Bolsonaro a averti que « les urnes ne peuvent pas être auditées » car les techniciens et observateurs « ne peuvent rien faire en cas de plainte contre une fraude », faisant planer des préoccupations sur l’acceptation des résultats.
Les partis qui soutiennent la candidature de Lula ont pour leur part demandé à l’OEA une reconnaissance rapide des résultats des élections de dimanche compte tenu de la possibilité que certains secteurs n’accepteront pas.
La tension accompagnant ces élections particulièrement tendues s’est également fait sentir à l’étranger. Dans une initiative sans précédent, le Sénat des États-Unis a adopté une résolution qui exhorte « le gouvernement du Brésil à veiller à ce que les élections d’octobre 2022 se déroulent de manière libre, juste, crédible, transparente et pacifique ».
Le document indique que les États-Unis « reconnaîtront immédiatement le résultat de l’élection au Brésil, si cette élection est jugée libre et équitable par les observateurs et les organisations internationales ». La reconnaissance rapide du résultat est en effet l’une des principales préoccupations des observateurs internationaux, qui estiment que les prises de positions rapides d’autres pays, en particulier des États-Unis, peut empêcher des actions antidémocratiques.
Auparavant, la Maison Blanche, par le biais de sa porte-parole Karine Jean-Pierre, a indiqué que « nous les suivrons de près et nous ferons confiance à la force de l’institution démocratique brésilienne »
Et d’ajouter que « nous continuerons à surveiller les élections dans l’espoir qu’elles se déroulent de manière libre, juste, transparente et crédible avec toutes les institutions concernées opérant conformément à la règle constitutionnelle ».
Citant de récents rapports de violence au Brésil pendant la campagne électorale, la porte-parole a affirmé que les États-Unis « condamnent de telles actions et exhortent les Brésiliens à faire entendre leur voix de manière pacifique ».
De l’autre côté de l’Atlantique, le Parlement européen a adressé une lettre à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et au chef de la politique étrangère du bloc, Josep Borell, demandant une surveillance des élections de ce dimanche et appelant à des sanctions en cas d’ingérence dans le processus électoral.
Au plan national, la concurrence serrée relevée par les sondages en rajoute à ce climat tendu, puisque l’écart entre les rivaux varie entre 9 et 15 %, sans parler des revirements qu’a connus le Brésil lors des élections précédentes durant la dernière semaine.
Lors des deux dernières élections, il y avait à chaque fois un candidat qui gagne au moins 12 points durant la dernière semaine. Le record de la plus forte progression dans la dernière ligne droite appartient justement à Bolsonaro, qui en 2018 avait 33% des intentions de votes dans un sondage Datafolha avant de remporter la victoire au premier tour avec 46 % des suffrages valables.
Selon les observateurs, les « votes utiles » joueront un rôle déterminant dans ces élections puisque les électeurs de ce segment représentent 13 %. En effet, la stratégie des deux candidats dans la dernière ligne droite de la campagne est de solliciter les voix du membre du parti travailliste Ciro Gomes (7%), le troisième candidat le plus voté aux élections présidentielles de 2018, et de Simone Tebet (5%), représentante des principales forces du centre.
*Journaliste MAP