Football national: Grandeur et décadence

Les premiers footballeurs professionnels marocains ont tous fait de grandes carrières dans les clubs français dans les années 50 et 60 mais ils n’ont pas connu le même sort quand ils sont revenus dans leur pays. La plupart d’entre eux avaient rejoué dans les clubs marocains et en équipe nationale tels Abderrahmane Benmahjoub, Akesbi, Tibari, Tatum, Malaga, Bettache et bien d’autres.

Certains ont exercé le métier d’entraîneur pendant des années avant de prendre leur retraite. D’autres ont connu des fortunes diverses aussi bien dans leur vie professionnelle que personnelle. C’est le cas notamment de l’ex-gloire du football national Mohamed Tibari qui a fait les beaux jours du Racing du club de Paris et de l’équipe nationale aux côtés du Prince du Parc Abderrahmane Belmahjoub. L’on se rappelle que ces deux joueurs en compagnie de leurs coéquipiers précités avaient tenu tête à la grande équipe d’Espagne où évoluaient des stars tels Puskas, Di Stefano, Gento. C’était en 1961 lors d’un match qualificatif à la Coupe du monde de 1962 qui s’est déroulé au stade d’honneur à Casablanca où la sélection nationale a tenu la dragée haute à l’une des meilleures équipes du monde de l’époque.

Quant il est revenu au Maroc, l’élégant Mohamed Tibari a rejoué avec le WAC, son équipe d’origine, avant de se convertir en entraîneur jusqu’à la fin des années 70. Depuis, l’homme qui vivait tout seul dans un petit appartement à Casablanca avec une modique rente de 1.500 dirhams a quitté la scène footballistique. Nous l’avions retrouvé au milieu des années 80 désœuvré, oublié et solitaire passant la plupart de son temps dans un café près du cinéma Rialto.

La star des années cinquante et soixante était un homme épuisé par l’usure du temps, la solitude, l’âge et l’ingratitude des hommes. Mais il restait digne même s’il était acculé à survivre avec une petite misère mensuelle. Il affrontait son sort avec une patience et un calme impérial sans en vouloir à quiconque même s’il sait qu’il aurait mérité meilleur égard de la part de son pays. Son ex-coéquipier à Paris le prince du Parc, Abderrahmane Belmahjoub qui détenait le restaurant du port à Casablanca, était le seul à lui venir à son aide.

L’ex-international et joueur professionnel dans plusieurs clubs de France (RC Paris, Bordeaux, Batia), Brahim Tatum, a délaissé le football pour travailler dans une entreprise afin de subvenir aux besoins de sa petite famille. Ce fils du quartier Habous ne passait pas inaperçu avec sa grande stature quand il quittait sa maison pour aller s’attabler dans un café en face du tribunal. Quand on l’avait rencontré, l’homme ne se plaignait pas de son sort, avait l’air jovial et se contentait de son salaire. Mais il était en colère, nous disait-il, à l’époque car il était désigné pour être décoré par feu Hassan II comme les autres joueurs mais pour on ne sait pour quelle raison il a été rayé de la liste.

Pourtant, Tatum avait reçu un document qu’il exhibait fièrement l’avisant qu’il recevrait le wissam des propres mains du roi défunt. Jusqu’à sa mort, l’ex-joueur de l’Etoile et de l’équipe nationale, Mohamed Baba, traînait deux déceptions qu’il a connues dans sa carrière footballistique. La première, c’est quand il a signé un contrat professionnel avec le club français de Bordeaux et qu’il fut rapatrié presque manu militari en voiture par les dirigeants de l’Etoile. La deuxième, c’est sa grave blessure qu’il a contractée au genou et dont il a traîné les séquelles jusqu’à sa mort.