Après le cas de Hamid Jarjoub et quatre de ses camarades, avec lequel nous avons entamé lundi 4 juillet cette série dédiée par Ali Najab, ex-pilote de chasse, à la saga des prisonniers de guerre marocains évadés de Tindouf en Algérie, nous enchaînons aujourd’hui avec l’histoire d’El Baz et ses trois camarades.
Cas d’El Baz et ses trois camarades : (un drame)
Ils étaient quatre. Ils avaient été capturés durant l’attaque de Gueltat Zemmour en octobre 1981. Le polisario les avait emmenés à Haouza et mis dans un groupe de 32 prisonniers consignés par le polisario dans cette localité pour les travaux de construction ou tout autre travail de servitude. Il s’agit de M’hammed El Baz, de Lhboub, de Lharrass Mohamed et de Bouzid Lahcen. Je pensais faire un récit de leur histoire après avoir longuement écouté El Baz, mais je me suis rendu compte qu’il peut la raconter mieux que moi:
« Le 25 février 1982, un an après notre capture, nous nous étions mis d’accord pour nous évader la nuit juste après l’extinction des feux. Nous étions 36 prisonniers à dormir dans une fosse couverte de feuilles de zinc que nous avions nous-mêmes fixées avec de grosses pierres et de la terre. Nous avions choisi de nous mettre tous les quatre dans le même coin où se trouvait une grosse pierre en haut dans l’angle de la fosse. C’est cette pierre une fois enlevée qui nous avait permis de creuser un trou pour sortir. Nous sortîmes tous les quatre vers minuit. Nous avions rampé sur environ 50 mètres pour échapper à la garde. Nous étions pieds nus parce qu’on nous avait enlevé nos chaussures dès notre arrivé à Haouza. Nous primes la direction de Smara mais nous avions un problème dès que nous avions commencé à marcher. Je découvris personnellement que l’un de nos camarades ne voyait pas de nuit. Nous étions obligés de lui attacher une corde à chaque main puis deux d’entre nous prenait chacun l’autre bout pour le guider afin de ne pas le perdre. Nous avions franchi environ 10 kilomètres lorsque nous vîmes au loin des lumières derrière nous. Ces lumières se rapprochaient de plus en plus de nous. Nous avions compris un moment que les gardes étaient à nos trousses. Puis ces lumières avaient disparu de notre champ de vision. Nous accélérâmes la marche afin d’atteindre une montagne qui se pointait devant nous. Il venait à peine de faire jour. Nous arrivâmes au pied de la montagne vers 9 heures. Soudain les balles commencèrent à pleuvoir de tous les côtés. C’était donc fini. Un homme nommé Abdellahi chef d’une katiba, un autre nommé Cheikh ould Allal adjoint de Ayoub Lahbib commandant la 3ième région et enfin un tortionnaire connu des prisonniers nommé Abdelmonim chef de la sécurité, ancien adjudant sahraoui de la gendarmerie marocaine qui s’était évadé de Boucraa pour rejoindre le polisario, nous atteignîrent les premiers. Ces trois chefs donnèrent l’ordre devant nous à leurs soldats de ne pas nous tuer. Mais nous fumes quand même bastonnés jusqu’à perdre connaissance. On nous jeta dans une land rover et on nous ramena à Haouza d’où nous étions partis. A l’arrivée, tout un bataillon de maquisards nous attendait. Cinquante de nos camarades dont 14 furent ramenés d’un autre endroit, étaient en train d’être fouettés..
On nous jeta à terre, au milieu d’un terrain rocailleux. Leurs soldats nous battaient à tour de rôle. Puis on nous jeta dans un large puits (6m sur 6m). L’eau nous arrivait aux genoux.
On ordonna à nos camarades prisonniers de nous frapper avec des « dlous » sortes d’outres façonnées à partir des chambres à air des pneus de véhicules. Quand nous étions devenus incapables de tenir debout, on ordonna à nos camarades de nous sortir de là. Nous étions tellement malmenés et complètement épuisés qu’ils nous abandonnèrent presque nus (en slip seulement), étendus à même le sol rocheux et sous le soleil. Heureusement nous étions au mois de février ! Après trois heures vers el Aassar, les tortionnaires nous emmenèrent au milieu de nos camarades qui travaillaient sous le fouet juste à côté. On leur demanda de nous frapper. La grande majorité refusa de le faire. Seuls quelques-uns qui n’avaient pas supporté les coups faisaient semblant de nous frapper. Deux d’entre eux, Mohammed Tahtahi (de Séfrou) et Abdeslam (de Had Kourt) tentèrent de le faire avec des pelles. Un tortionnaire donna l’ordre à un soldat prisonnier, un vrai poltron, de nous verser du gasoil sur les têtes, puis de nous les induire de sable et de nous frotter de toutes ses forces. Il ne s’était arrêté qu’après avoir reçu l’ordre des gardes. Ce comportement humiliant dura jusqu’au coucher du soleil.
Soudain arriva Abdelmounim chef de la sécurité, cet ancien gendarme, originaire des Ait Baamrane, qui avait déserté de Bou Craa et rejoint le polisario en 1978.
Il commença à nous frapper avec des coups de pied. Il commença par Lahboub qui reçut beaucoup de coups au visage qui étaient tellement forts qu’il eut la mâchoire cassée. Le tortionnaire continua à le frapper au thorax et au ventre tellement fort avec la pointe du pied qu’il lui ouvrit le ventre. Je vis ses tripes tomber par terre. Notre ami Lahbib (al habib aussi) rendit l’âme sur place. Cette image ne me quitta jamais et j’en souffre encore aujourd’hui. La garde exhiba son sadisme en ordonnant à deux prisonniers de l’éloigner de là. Le deuxième évadé Lharrass eut le même traitement. Il creva sur place lui aussi. Vint le tour de notre camarade Bouzid qui était étendu par terre. Le même tortionnaire lui administra plusieurs coups de pied à la tête, puis au visage. Il s’acharna sur lui jusqu’au moment où il crut qu’il était mort. Puis il vint vers moi. Toujours à coup de pied il tenta de m’atteindre au visage. Mais je parvins à chaque fois de lui échapper en tournant le visage d’un côté puis de l’autre. Comme il était lui-même épuisé, il ordonna à un garde de poursuivre sa sale besogne en me frappant cette fois-ci avec un câble de frein de camion. Je ne vis pas le fameux tortionnaire revenir. Il me prit au dépourvu et me flanqua un coup de pied au visage et me cassa toutes dents de devant de la mâchoire inférieure. J’en garde de nos jours une cicatrice. Au même moment je reçus un coup avec le canon d’un fusil kalachnikov de la part d’un autre garde. Puis je ne me souvins de rien. Je perdis connaissance. Quand je retrouvai mes esprits, je me trouvai allongé à côté de mes trois camarades. Ils croyaient que nous étions certainement tous les trois morts. Au moment où ils s’apprêtaient à nous charger dans une land rover, j’entendis un garde du nom de Mohammed Omar discuter avec un chauffeur polisarien nommé Hammadi disant que l’ordre de ne pas tuer les évadés, était venu de la direction de Rabouni (Tindouf). Ils n’avaient pas fini leur discussion lorsque le chef de poste les rejoignit. Il répliqua: « Ils se sont évadés, c’est de leur faute… et puis Abdelmounim les a tués, il a pris ses responsabilités ».
Puis il vint vers nous pour vérifier. Il découvrit que deux d’entre nous étaient morts. Il ordonna qu’on les enterrât non loin de là. Nous fumes Bouzid et moi évacués sur Tindouf. Arrivés à Rabouni, on nous jeta dans un coin sans soins. Par la suite, nous fumes, les deux, soumis aux travaux forcés pour une période de trois mois durant laquelle nous dormions les mains et les pieds attachés derrière le dos. Nous continuions à subir de temps en temps, des enquêtes musclées pendant deux ans. De jour, nous travaillions dans les travaux forcés à l’instar des autres prisonniers de guerre. Bouzid mourut dans un accident. Le véhicule qui emmenait les prisonniers au travail était conduit par un chauffeur polisarien, un fou, qui rata son virage. Le véhicule se renversa faisant un mort et quelques blessés légers.. Quant à moi, je continuais à vivoter comme je pouvais jusqu’à ma libération en 2004″.