Devant un parterre de journalistes, un an avant sa mort (19 février 2016), Umberto Ecco établit ce constat terrible: « Les réseaux sociaux donnent le droit de parler à des légions d’imbéciles qui, jusque là, ne parlaient qu’au bar après un verre de vin, sans causer de dommage à la collectivité. On les faisait taire aussitôt, alors que désormais ils ont le même droit à la parole qu’un prix Nobel. C’est l’invasion des imbéciles ».
Six ans après cette déclaration intempestive, on constate, la mort dans l’âme, que les frontières de l’intelligence reculent dangereusement, que les digues de la Raison s’effondrent redoutablement… Il n’y a plus (ou presque) de garde-fous contre l’effronterie, l’impudence, le cynisme…
Les « murs » sont aux réseaux sociaux ce que le miroir est à Narcisse. On se complaît à se regarder dans le miroir, au lieu de le briser. Peu importe ce qu’on a dans la tête, ou « dans le ventre », « l’essentiel » étant de « se vendre« . Vendre son « âme » », usurper un « statut ». Le faux, l’usage de faux et la complicité de faux sont monnaie courante.
On peut être un simple mots-croisiste et s’autoproclamer « poète », pourvu qu’on ait le moyen de s’auto-éditer ou trouver un complice pour se faire éditer. On peut être un théâtreux et s’auto-décréter « dramaturge », comédien, metteur en scène, scénographe… On peut être un cinéast(R)e et s’improviser réalisateur, scénariste, j’en passe et des meilleurs. On peut être un « peintre » et s’autoproclamer « artiste »…
Pas besoin de se saigner pour se faire des lecteurs, un selfie suffit pour générer des clics, mieux, des « LIKE »!! La pensée compte peu au regard de l’auto-mise-en-scène, l’auto-promotion, l’auto-congratulation, l’auto-publicité…
Le processus de « strip-teasation » du vide intellectuel, artistique et culturel prend des proportions phénoménales. Pourtant, personne ne semble s’en inquiéter. Pire, on s’en accommode du mieux qu’on peut, quand on n’est carrément pas complice.
Inquiétant!