Une équipe internationale de l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du patrimoine (INSAP) relevant du ministère de la Culture, de la Jeunesse et des Sports (département de la Culture), de l’Université d’Arizona (Tucson, USA) et du Laboratoire Méditerranéen de Préhistoire Europe Afrique (CNRS, LAMPEA, Aix-en-Provence, France) vient d’annoncer la découverte de 32 coquilles façonnées de gastéropodes marins dans un niveau datant de 142.000 à 150.000 ans dans la grotte de Bizmoune à Essaouira.
Ces artefacts fabriqués à partir de coquilles de Tritia gibbosula (anciennement Nassarius gibbosulus) constituent les plus anciens éléments de parure découverts à ce jour, lit-on dans un communiqué publié sur le site du ministère de la Culture, précisant que l’étude est publiée dans la revue « Science Advances ».
« L’utilisation de ces coquillages marins, probablement en pendentif, témoigne d’un comportement symbolique très ancien chez notre espèce, Homo sapiens », souligne la même source, expliquant que les premières découvertes ont été réalisées dans des sites du Levant datant d’environ 135.000 ans ainsi qu’en Afrique du Sud vers 76.000 ans.
Et d’enchaîner que « d’autres sites d’Afrique du Nord avec la même espèce de gastéropodes marins ont été datés entre 116.000 et 35.000 ans. Grâce à des datations croisées à hautes résolutions (déséquilibre uranium-thorium) les découvertes de Bizmoune vieillissent les premiers témoignages de ce comportement symbolique durant une période géologique froide et aride du Pléistocène (Stade Isotopique Marin 6) ».
« Comme nos contemporains, les anciens groupes humains utilisaient probablement des perles de coquillages pour décorer leurs corps et leurs vêtements », relève le document, expliquant qu’ »à Bizmoune, de nombreuses coquilles présentent des traces d’usure et de polis liés à la suspension, et certaines d’entre elles étaient même colorées avec de l’ocre rouge, un pigment naturel d’oxyde de fer retrouvé en résidus microscopiques sur ces coquilles ».
Ces éléments de parure sont parfois interprétés comme l’expression de l’identité sociale et culturelle des porteurs, indique le communiqué, faisant savoir que cette découverte « est la première preuve matérielle directe d’un système d’échange et/ou de communication intra et inter-groupes humains. Son origine est extrêmement ancienne à Bizmoune avec l’utilisation de Tritia gibbosula ».
Les observations microscopiques ont été réalisées sur les coquilles pour préciser la nature de leur modification et d’après El Mehdi Sehasseh, co-auteur de la publication et doctorant à l’INSAP, cité dans le communiqué, « l’analyse des coquilles a montré qu’elles ont été portées par les humains ».
A Bizmoune, ces coquilles marines semblent à première vue petites et insignifiantes, mais selon un des principaux auteurs, Abdeljalil Bouzouggar de l’INSAP-Maroc, « ces minuscules coquillages fournissent des informations cruciales sur l’origine du comportement symbolique tel que le langage ».
Ces éléments de parure de Bizmoune et ceux présents dans d’autres sites d’Afrique du Nord sont associés à la culture atérienne du Middle Stone Age (MSA) connue pour ses célèbres pointes atériennes pédonculées, a-t-il fait remarquer, notant qu’à Bizmoune, les Atériens exploitaient une grande variété d’animaux dont les équidés, gazelles, phacochères, gnous, grandes antilopes ou d’autres grands bovidés et même le rhinocéros.
De son côté, Philippe Fernandez (LAMPEA), l’un des principaux auteurs de l’article, explique que « cette association d’animaux fossiles trouvés à Bizmoune témoigne d’un cachet très aride avec des voies de passages entre le centre-ouest du Maroc et l’Afrique sub-saharienne et des corridors aujourd’hui disparus ».
« Ceci indique que le Sahara n’a jamais été une barrière à de tels échanges », d’après Mohammed Mouhiddine, de l’Université Hassan II Casablanca-Mohammedia et co-auteur de l’étude.
Les occupants du site ont consommé des plantes, d’autres petits animaux (exemple lièvre, tortue) et des fragments d’œufs d’autruches qui sont également présents, explique-t-on, ajoutant que dans une grande partie de la séquence des fragments de charbons de bois proviennent de taxons tels que l’arganier, thuya et/ou genévrier, encore aujourd’hui présents dans la région.
La chronologie de la grotte de Bizmoune à Essaouira a été précisée par différentes techniques, fait observer la même source.
Pour Moncef Benmansour du Centre National de l’Energie des Sciences et Techniques Nucléaires et co-auteur de l’étude, « La technique de l’Uranium/Thorium est très utile et fiable pour la datation des sites archéologiques ».
Ces données paléoenvironnementales sont cruciales pour Steven Kuhn de l’Université d’Arizona, un des auteurs principaux de l’étude : « Pour comprendre les origines de ce comportement, nous devons examiner de près les facteurs écologiques et démographiques des groupes humains pour lesquels l’affirmation d’une appartenance ou identité propre étaient probablement très importantes ».
Les recherches à la grotte de Bizmoune sont co-dirigées par Abdeljalil Bouzouggar, professeur à l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine (INSAP) (Rabat, Maroc), Steven Kuhn, professeur à l’Université d’Arizona (Tucson, USA) et Philippe Fernandez, chercheur au Laboratoire Méditerranéen de Préhistoire Europe Afrique (CNRS, Aix-en-Provence, France).
Différents chercheurs de plusieurs institutions sont également associés à ces recherches avec, au Maroc, l’Université Hassan II Casablanca-Mohammedia, le Centre National de l’Energie des Sciences et Techniques Nucléaires (CNESTEN); aux Etats-Unis, Department of Anthropology, Harvard University (USA) ; en Allemagne l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutive de Leipzig et l’Université de Tübingen; en Espagne l’Université de Las Palmas et en Angleterre l’Université de Sheffield.