En recourant à la rhétorique du complot ourdi de l’extérieur, le pouvoir en Algérie a créé chez les Algériens le sentiment d’être une population assiégée, laquelle connaît des « troubles psychiques collectifs que l’on désigne par fièvre obsidionale », a affirmé la sociologue algérienne, Fatma Oussedik.
Cette stratégie, qui fait référence à la fois à « des cyberattaques, aux agressions terroristes, à l’intérieur de nos frontières et au danger extérieur, crée chez toutes et tous le sentiment d’être une population assiégée, qui n’a pour recours que les forces de sécurité et qui connaît des troubles psychiques collectifs que l’on désigne par fièvre obsidionale », a expliqué cette professeure de sociologie et d’anthropologie à l’université d’Alger.
Dans une contribution sous le titre « La voie pour une nation libérée », publié par le journal « Liberté », la chercheuse a estimé que le pouvoir algérien « ne se présente, à présent, à la population que dans sa capacité répressive ou défensive en instillant en chacune et chacun le sentiment d’un danger extérieur, une hostilité du reste du monde à notre égard ».
Il s’agit de refouler les débats sur la politique intérieure en Algérie qui est « au creux de la vague avec une crise multiforme qui est sanitaire et économique, mais aussi politique et idéologique », a-t-elle détaillé.
« Nous sommes sans gouvernail et la peur de la répression ne peut suffire à gérer une population », a insisté la chercheuse, en soulignant que le déploiement de forces de sécurité dans la capitale, les récits hallucinants des prisonniers, les procès à grand spectacle ne peuvent faire fonction de projet politique.
« Nous devons, 60 ans après notre indépendance, nous doter d’un État qui, au-delà de la légalité, soit légitime, c’est-à-dire en mesure d’incarner politiquement les intérêts d’un ensemble d’individus formant une Nation », a-t-elle suggéré.
Elle s’est de même demandée: « Comment donner du sens à un tel pacte alors que nous sommes encore et toujours une société que l’on gère en la plaçant en guerre contre elle-même, faisant état encore et toujours des mêmes projections politiques, des mêmes manipulations en termes de Kabyles/Arabes/francophones/arabophones, musulmans/laïcs/islamistes ».
« Par ces pratiques, le résultat ne peut être que la fragmentation de la Nation », a-t-elle mis en garde, estimant que les Algériens ont exprimé leur exigence d’un État de droit, fondé sur le principe d’égalité juridique et sociale, mais leur attente, qui dure depuis 60 ans, se heurte à présent au fait qu’il n’y ait plus de gouvernance.
Elle a dénoncé l’existence de cercles de pouvoir, de clans, de réseaux et que peu de décisions prises sont à mettre en lien avec une pratique gouvernementale et institutionnelle.
« Le juge ne juge pas, il reçoit des instructions. L’école publique ne forme que les enfants du peuple. La santé ne soigne que la population dépourvue de moyens. Les différentes commissions installées et présentées à la télévision se soumettent à des figures imposées, tournant le dos à la demande sociale », a-t-elle enchaîné.
La sociologue a fait remarquer, dans le même ordre d’idées, qu’une mesure prise prend toujours son sens dans l’analyse « d’intérêts occultes » et la preuve que ce pouvoir peut se passer de la population qu’il ignore, est que, à chaque crise, un de ses membres « nous invite à quitter le pays si nous ne sommes pas satisfaits de son fonctionnement ».
Elle a expliqué que le pouvoir est « opaque parce qu’il est informel », comme tout un pan de l’économie », estimant qu’ »il y a donc, ici, une conjonction d’intérêts qui peut nous renseigner ».
Comme les institutions politiques et éducatives, les institutions économiques sont en piteux état, a-t-elle encore regretté.
La sociologue Oussedik a expliqué que ce pouvoir est également opaque parce que, précisément, il ne s’incarne pas dans des institutions légitimes (les impôts ne sont pas perçus, le change se fait sur une place publique…), estimant que cela est le fruit d’un lent processus de dévitalisation de la société.
Selon elle, les meilleurs éléments sont soit partis, soit se sont trouvés décrédibilisés par leur soumission à un pouvoir qui, dans le même temps, leur interdisait toute initiative.
Un petit nombre a choisi son camp, celui d’une population sans perspectives, a-t-elle détaillé, notant qu’ayant ainsi épuisé le personnel civil susceptible d’occuper la scène politique et de créer des liens avec le reste de la société, le pouvoir a placé l’armée au premier front.
Dans ce sens, la sociologue a souligné que le pouvoir doit changer et céder la place à un Etat pour pouvoir percevoir ce que le Hirak lui offre de perspectives pour une refondation.