Par Bensalem HIMMICH
Avant- propos
Ce texte fait partie d’un ensemble dont le titre est celui annoncé ci- dessus. Ensemble encore inachevé où je me suis lancé un défi, celui d’élaborer en solo un paradigme (et non pas un modèle) de développement, et ce sans prétention aucune de le substituer à celui de la commission Benmoussa laquelle, selon des experts avisés, souffre d’un défaut de casting et d’un vice d’externalisation qui n’a pas lieu d’être.
En tout cas, attendons la fin du deuxième délai pour voir et lire son Rapport. Cependant, s’il m’est permis, comme à tout un chacun, d’user de ma liberté de pensée et d’expression, et pour ne pas faire dans l’optimisme béat à la Pangloss, je dirai que ladite commission irait droit dans le mur si elle ne prenait pas acte du fait que l’épidémie du coronavirus a chamboulé de fond en comble moult chiffres et données et qu’il faut nécessairement penser et agir en conséquence et autrement; comme il va sans dire qu’elle commettrait une faute gravissime en passant à la trappe les Rapports antérieurs et notamment celui de l’INDH diligenté par le regretté Meziane Belfquih entre 2011-2015 et bien entendu plus récemment le « Rapport sur le développement humain 2017 » de l’Observatoire National du Développement Humain. Et à toutes fins utiles, citons ce que cet ONDH rapporte sur notre sujet : « Dans le domaine du développement humain, le Maroc est en retard de 53 ans sur la France et 48 ans sur l’Espagne, mais en avance sur l’Afrique subsaharienne de près de 25 ans ». En outre, on ne peut que tirer profits des rapports émanant d’autres instances tels BAL, HCP, la Cour des comptes, etc. Car la tabula rasa a toujours été anistorique, contre-productive et mauvaise conseillère. Alors aux bons fouilleurs, salut.
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Sans développement, la croissance est un leurre 1/5
Pour tout pays développé ou en voie de développement, l’économie est certes un secteur transversal et nourricier de tous les autres secteurs vitaux de la société. De ce fait, il a constamment besoin d’être prémuni et renforcé par un taux de croissance autour de 6% au moins (hors agriculture dont la quote-part échappe aux prévisions), comme l’ont recommandé des organisations internationales, tel le FMI dans son rapport de juillet 2011 sur l’économie marocaine et qui n’a pas fondamentalement perdu depuis de son actualité. C’est en se maintenant et prospérant que ce taux peut réanimer le marché du travail et soulager le chômage qui, selon le rapport de Bank Al-Maghrib (publié fin 2019): « s’est quasiment stabilisé à 9,2%, avec 13,7% en milieu urbain et 3,9% en milieu rural. » (La dernière Loi des finances promettait de le réduire à 8% d’ici fin 2020, ce qui ne représente nullement une réelle avancée; et même cette Loi est appelée à subir moult mises à jour et correctifs-épidémie oblige -. Et ce phénomène du chômage dans les villes, comme nous le constatons, touche d’une façon dramatique la jeunesse et aussi les diplômés. L’actuel gouvernement pourra-t-il tenir sa promesse de réduction, même avec un taux de croissance de 5,5% (revu encore à la baisse d’un point), alors que le prix du baril de pétrole pourrait devenir très erratique, comme l’a prévu le Haut Commissariat au Plan même un peu avant la crise sanitaire précédée de celle du nucléaire entre l’Iran et l’US principalement. C’est dire que la croissance, on peut la vouloir et la promettre, mais elle ne se décrète pas arbitrairement ni ne se présentent nécessairement au rendez-vous des calculs et prévisions. Rappelons l’une des promesses de campagne présidentielle du candidat Sarkozy en 2007 : « J’irai arracher la croissance avec les dents », mais tout au long de son quinquennat, non seulement celle-ci est restée faible, mais au terme de son mandat, la France a perdu son triple A, selon la notation de l’Agence Standard and Poor’s, etc.
Quoi qu’il soit – et pour rappel –, selon le célèbre Rapport de la Banque Mondiale de 1996 dont la lecture a fait dire au défunt Hassan II devant les députés que le Maroc était « au bord de la crise cardiaque », formule dont les acteurs de l’Alternance de 1998 ont fait leurs choux gras): « Pendant les six dernières années [précédant 1996], la croissance annuelle du PIB, note ce Rapport, a été en moyenne de 4,3% , il faudrait qu’elle atteigne vite 7% pour ramener le chômage à des niveaux soutenables. » Mais, faut-il le souligner, même si cette recommandation est réalisée et en mieux (elle a été de 12% en 1994), elle n’aura aucune portée significative si elle n’agit pas positivement sur des indicateurs socio-économiques vitaux: maîtrise du taux de croissance démographique, baisse du chômage, réduction des disparités sociales et régionales et allègement du déficit budgétaire et de la dette extérieure, etc. A titre de rappel historique, même l’ONU dans un Rapport sur l’économie du Tiers-Monde des années 70 du siècle dernier a dû se rendre à l’évidence que « la croissance éprise d’économétrie et de rentabilité n’est pas le développement. » C’est pourquoi la croissance record de 1994 (dopée par une bonne saison agricole) ne pouvait faire long feu, surtout que la sécheresse allait par la suite la prendre à revers.
Le département de l’économie et des finances dans le gouvernement diligenté par le PJD bis a donc, en la matière, beaucoup de pain sur la planche et de défis à relever. Les cadres qui y travaillent doivent à leurs supposées compétences joindre une hauteur de vue et une vision humaniste mettant l’économie au service du bien-être des gens. Keynésiens ou non, ils sont en devoir de fixer le cap d’une politique économique pour un progrès cumulatif constant, une baisse des taux d’intérêt, un lancement de grands travaux et chantiers (en plus de ceux programmés ou en cours), des investissements ciblés et utiles, une réduction significative des dépenses de l’Etat; politique qui vise une redynamisation de la consommation et donc de la production et du marché de l’emploi, c’est-à-dire qui évite la récession, même en supportant un certain taux d’inflation tolérable que l’actuel gouvernement veut contenir à 2%. Il est fort improbable qu’il y réussira, vu les sévères contraintes qu’impose la crise sanitaire.
Cependant, quelles que que soient les retouches et corrections à apporter à cette politique ou même les orientations alternatives adoptées, la question primordiale que les responsables de l’économie et des finances devraient apprendre à prioriser et dont ils seront comptables auprès des électeurs et de l’opposition n’est pas le taux de croissance comme indicateur autonome et autosuffisant, mais c’est plutôt celle sur laquelle insistent deux prix Nobel d’économie, Amartya Sen, Joseph Stiglitz et d’autres néo keynésiens, à savoir: Comment vont les gens ? Inspiré par l’économiste et banquier pakistanais Mahbub ul-Haq, créateur de l’Indicateur de Développement Humain (IDH), le PNUD a donc bien fait d’ériger celui-ci en premier indice-révélateur pour évaluer toute politique économique et la juger selon le degré d’accessibilité des citoyens à leurs droits: la santé, protectrice et souveraine, l’habitat décent, les services, l’éducation, la culture, bref à une vie aisée, qualitative et qui a du sens. Et donc, sans développement global et soutenable, la croissance n’est, tout compte fait, qu’un miroir aux alouettes et un leurre.
C’est sur ces paramètres qu’insiste le rapport Sen-Stiglitz-Fitoussi « Richesse des nations et bien-être des individus » (2009), comme étant des paramètres mesurant le PIB et la croissance. (A cet égard le PNUD – autre défi à relever – a dû classer le Maroc au 130e rang sur 187 pays, et ce classement ne peut qu’empirer à l’aune de notre part de malheur du coronavirus. Notre PIB n’est à présent que de 5% et la saison agricole semble compromise à cause d’une sécheresse persistante ; en outre la récession n’est pas en reste, le HCP et BAM s’accordent à l’établir, à 6%, etc.
En conclusion, espérons que l’actuel gouvernement, avec un chef aux pouvoirs en principe élargis (ce qui ne fut le cas des précédents premiers ministres), saura s’imprégner de la conception-phare du développement comme processus humain qualitatif, palpable et durable, et qu’il est le seul et vrai paramètre de la croissance économique, de sorte que celle-ci, même avec des taux relativement élevés et un équilibre macro-économique satisfaisant, peut s’avérer socialement inopérante si les gens continuent majoritairement à aller mal, et si aucune amélioration forte n’affecte le Maroc de la pauvreté et de la précarité, des disparités sociales et territoriales, du chômage endémique, de l’analphabétisme, de la ruralité pesante et tentaculaire et de la citoyenneté déficitaire, en plus du profond malaise linguistique et culturel.
Enfin, ce qui compliquera davantage la situation au point de la rendre inextricable, dramatique et difficilement gérable pour l’immense majorité des pays dont le Maroc, c’est qu’on ne voit pas encore le bout du tunnel, vu que le coronavirus, dont on ne cerne pas enfin le gène pathologique, s’acharne à perdurer au point qu’on nous recommande d’apprendre à vivre avec, ainsi qu’à faire régner une monstrueuse pagaille inédite et tentaculaire, et ce sur terre, sur mer et dans les airs.
De mémoire d’homme, c’est du jamais vu ! Hécatombes, cimetières et fosses communes indignes à perte de vue à l’échelle planétaire ; économies mises plus bas que terre; entreprises aux abois ; pays de l’U.E en récession; la première puissance US (avec 1 million d’infectés) empêtrée dans une crise monumentale et impuissante devant ses 25 millions de chômeurs, la chute du prix de pétrole à zéro dollar le baril, se trouvant, du coup, lui aussi, confiné (en stockage) tandis que le président évangéliste, le bourreau des palestiniens et le super serviteur des faucons israéliens ne cesse de cumuler bourdes et infamies, et qui pour ne pas choir s’agrippe fortement à sa trompe, et n’éprouve aucune gêne à taxer le réchauffement climatique de mensonge (it’s a lie), ni à priver l’OMS de la quote-part américaine (comme il l’a fait auparavant pour l’ UNESCO) et ce au motif qu’elle n’a pas vu venir le COVID-19, ni encore à prophétiser haut et fort que l’eau de javel et autres détergents sont l’antidote du coronavirus et qu’il serait bon de l’injecter aux malades. Cette recette abracadabrantesque, dit-on, lui aurait été soufflée par un virologue de pacotille. Quant aux pays baptisés en voie de développement, dont fait partie le Maroc, ils essaieront de survivre à crédit auprès du FMI et de la Banque Mondiale en vue d’ une incertaine relance, en hypothéquant leur liberté de choix et d’action et l’avenir des jeunes, autrement dit leur souveraineté politique, économique et au-delà.
La pandémie (qui a coûté au Maroc lors de la première vague un milliard de dh par jour), une fois jugulée après une longue et pénible attente et peut-être d’autres rebonds, ses retombées calamiteuses ne s’arrêteront pas aux secteurs ci-dessus indiqués, mais elles s’étendront au domaine psychosomatique. Ainsi les psychiatres et consort, eux aussi, auront beaucoup à faire avec les endeuillés de longue durée ou même à vie, les névrosés obsessionnels, les asthéniques, les paranoïaques, les claustrophobes, les insomniaques, les déprimés à divers degrés et bien d’autres patients saturés de cicatrices et séquelles indélébiles, en somme les écorchés vifs, ceux qui éprouvent perpétuellement ce que Miguel de Unamuno nomme El sentimiento trágico de la vida. Souhaitons que nos psychiatres soient autant performants qu’adeptes d’honoraires citoyens, amen !
à suivre…