Par Sara BOUAZZA*
Les migrations sont pour l’homme une manière de manifester sa volonté de surmonter l’adversité et d’aller à chaque fois rechercher une vie meilleure. Aujourd’hui, le nombre de personnes qui désirent s’installer dans d’autres régions éloignées des leurs, et qui en ont les moyens, a considérablement augmenté. Les migrations évoluent en même temps que les marchés du travail et les sociétés se mondialisent.
La gestion des flux migratoires, qui signifie migration économique, migration politique et écologique, déterminera en partie la réponse que nous pourrions apporter à la problématique du mouvement migratoire, d’une part, et à celle de la migration et le développement, d’autre part. La mobilisation de l’Etat et les acteurs civils et publics, en matière d’insertion et d’intégration, est l’une des clés de ce développement. Il est décisif de soutenir l’intégration et l’insertion des migrants afin de préparer un migrant productif, avec une situation stable et durable, grâce au développement des stratégies de qualification et d’adaptation pour l’ensemble des migrants en situation vulnérable. Le Maroc est le premier pays dans la région du Maghreb Arabe qui a réfléchi à mettre en œuvre une politique de gestion des flux migratoire vers le nord. Néanmoins dans ce bref article, nous proposons un aperçu sur les efforts déployés pour ce phénomène et les mécanismes mobilisés pour son encadrement.
Le Maroc situé sur un continent confronté aux défis du développement et régulièrement secoué par des crises politiques et des conflits armés, ne peut rester à l’écart des conséquences de cette situation troublée et probablement durable. Il subit aussi incontestablement les effets de la politique drastique de contrôle par l’Europe de ses frontières extérieures. Il est devenu à son tour une terre d’asile et d’installation durable de migrants. Il accueille ainsi une immigration de travail régulière, un nombre relativement important d’étudiants étrangers, des migrants en situation irrégulière, «en transit» souvent depuis de longues années et enfin, des demandeurs d’asile et des réfugiés. A ces flux, s’ajoutent des groupes installés depuis longtemps (Algériens ou Syriens par exemple, diverses nationalités européennes) et une accélération des mobilités comme l’illustrent, par exemple, la circulation des élites professionnelles hautement qualifiées entre l’Europe et le Maroc ou les séjours prolongés de retraités européens, notamment français. Cette conjonction de dynamiques migratoires diversifiées fait du Maroc de manière irréversible, un pays cosmopolite.
La poursuite de l’émigration des Marocains, de manière régulière ou irrégulière et la visibilité de populations venues de très loin (Chinois, Philippins, voire Népalais) attestent de l’insertion incontestable du Maroc dans la mondialisation des mobilités humaines. C’est cette réalité complexe qui constitue à la fois un défi et une richesse, que cache la figure, largement médiatisée mais réductrice, du subsaharien errant sur les routes, acculé à recourir à la charité publique ou s’attaquant régulièrement et en groupe, aux frontières des deux enclaves espagnoles.
Face à cette situation, les pouvoirs publics ont agi de manière ad hoc, par touches successives, sans que leurs initiatives soient conçues de manière globale et adaptée aux nouvelles réalités.
En 2003, une loi sur l’entrée et le séjour des étrangers, l’émigration et l’immigration irrégulière était adoptée, suivie en 2007 de la signature d’un accord de siège avec le HCR, lui déléguant l’examen et l’octroi des demandes d’asile, et avec le soutien de l’UE, une politique de contrôle de l’émigration irrégulière a été mise en place.
Le Maroc est conscient que les migrations transforment les sociétés et contribuent au développement économique, social et culturel, aussi bien des pays de destination comme des pays d’origine. C’est dans cette perspective qu’eût lieu l’élaboration d’une nouvelle politique globale relative aux questions de l’immigration et de l’asile, suivant une approche humanitaire conforme aux engagements internationaux du Maroc et respectueuse des droits des immigrés a vu le jour en 2013.
Le phénomène migratoire exprime un déséquilibre économique et social entre les pays riches, ceux de résidence, et les pays pauvres, ceux du départ. La mobilité humaine pour des raisons économiques s’explique en effet par des raisons de mal développement et de déficit démocratique. On peut considérer que le développement humain à travers l’investissement sur le facteur humain, sur son éducation, sa formation, son intégration professionnelle sociale et culturelle comme alternatif aux migrations internationales.
La mondialisation des flux, à l’œuvre depuis deux à trois décennies, fait qu’aujourd’hui, de plus en plus de pays sont à la fois, des pays d’émigration, de transit et d’immigration.
La stratégie de la migration et de l’asile du Maroc a été élaborée selon une approche participative, marquée par l’ouverture sur les expériences internationales avec un diagnostic de la situation actuelle, considérant le facteur humain comme acteur de développement. Elle comporte onze programmes touchant des domaines fondamentaux comme l’éducation et la culture (l’intégration dans le système scolaire, la formation des langues, la culture marocaine), la jeunesse et les sports (programmes sportifs et loisirs), la santé (accès aux soins), l’habitat (encouragement du droit à l’habitat dans un cadre légal), l’assistance sociale et humanitaire, la solidarité et le développement social, l’accès à la formation professionnelle et la facilitation de l’accès à l’emploi. Elle porte également sur la gestion des flux migratoires et la lutte contre la traite des êtres humains et les réseaux de ce trafic, le renforcement de la coopération et des partenariats au niveau international, la modernisation du système juridique et l’adoption d’une politique de communication agissante dans le domaine de la migration et l’asile.
Le Maroc a ouvert entre 2013 et fin 2014, 84 centres d’accueils dans tout le territoire, a régularisé 27.000 demandes en collaboration avec des représentants de la société civile.
Un grand chantier de réforme juridique a été mis en place et trois projets de lois régulant le champ de la migration, de l’asile et de la lutte contre la traite des êtres humains ont été conçus et sont maintenant en cours de validation législative.
Par ailleurs les catégories des migrants ont également évolué :
– Migrants de travail
– Migrants de regroupement familial
– Etudiants
– Réfugiés
– Demandeurs d’asile
– Déplacés environnementaux
– Migrations de confort
– Migrants en situation irrégulière
Le Maroc ne cesse de bâtir des ponts de coopération sud-sud depuis plus de vingt ans, dans plusieurs domaines. A titre d’exemple, l’OFPPT attire aujourd’hui plusieurs étudiants migrants de l’Afrique de l’Ouest dans le cadre des programmes de coopération internationale, nombreux d’eux profitent de la formation pertinente, et l’encadrement adéquat qui leur garantirent un travail immédiat en cas de retour, le cas de l’institut de la ville de Khouribga et région connait des inscriptions importantes de plusieurs étudiants subsahariens. Ces instituts sont devenus aujourd’hui des acteurs de développement durable pour ces profils migrants.
Pour approcher au mieux la problématique de l’insertion-emploi des migrants, nous avons réalisé une enquête quantitative, entièrement consacrée à la question. Dont nous allons analyser la portée de l’insertion-emploi sur (l’axe de Casa – Rabat), réalisée dans nos recherches antérieures. Et, pour la sélection de l’échantillon, nous avons retenu 3 critères: Le sexe, l’âge et le poste occupé.
Pour les besoins de l’enquête, nous avons donc retenu un échantillon retenu. En fonction de critères simples ; nous avons pu interroger 30 migrants subsahariens régularisés dont 22 hommes et 8 femmes. En outre, nous avons pu suivre l’évolution de 3 migrants de la période 2017-2021.
Pour pouvoir réaliser cette enquête, nous avons contacté des organismes qui œuvrent dans le champ de migration, afin qu’ils nous aident et orientent.
- L’association Droit et justice
- Caritas Internationalis
- L’association GIBER de développement rural et environnemental à Séfrou
Afin de comprendre la faisabilité de la politique emploi-insertion, nous avons décortiqué les mesures de la politique d’insertion – emploi en terrain.
Nous allons exposer notre propre étude quantitative sur l’intégration professionnelle, culturelle et sociale des migrants subsahariens, nous avons choisi un groupe de 30 personnes migrantes régularisées de sexe masculin et féminin.
Nous avons remarqué que le fait que la tranche d’âge la plus importante soit la tranche des 25-34 ans qui montre le facteur de la jeunesse largement intéressée par l’amélioration de sa vie.
La principale raison évoquée par les migrants de notre enquête pour expliquer leur migration est la recherche d’une vie économiquement meilleure, c’est-à-dire un travail rémunérateur et décent ; symétriquement, ils conditionnent leur retour au pays par l’obtention d’un emploi.
Comme on peut le constater, le travail est à la fois une incitation positive à rester et une incitation positive à rentrer.
73% se déclarent satisfaits de leur logement. Les raisons de cette satisfaction sont majoritairement la sécurité, la propreté et le calme, les migrants logent dans des appartements convenables. L’ambiance communautaire est présente mais n’est pas dominante. Car il semble bien que les quartiers où habitent les immigrés de notre enquête soient des quartiers avec une importante population immigrée.
La majorité des migrants travaillent ou, plus largement, se livrent à des activités génératrices de revenus, commerce, télécommunication, travaux domestiques, métiers de services et de restauration, y compris la mendicité et la prostitution.
Ainsi, nous avons pu mettre en exergue le travail des acteurs concernés par le champ migratoire, depuis le lancement de la politique de prise en charge des migrants au Maroc jusqu’à aujourd’hui. Nous avons montré que les migrants ont pu accéder à l’éducation et dont le nombre s’accroît d’année en année. D’autres ont bénéficié de formations professionnelles offertes par l’ANAPEC à travers ses agences dans le royaume, ainsi que des formations de l’OFPPT pour une qualification diplômante en restauration et métiers de services… Pour des migrants subsahariens de la ville de Fès, des formations en agriculture (Arboriculture fruitière) leur ont été spécialement dispensées et plus de la moitié ont trouvé immédiatement un emploi après la période de formation. Sauf que le travail dans l’agriculture est saisonnier par définition, les migrants qui y travaillent n’ont pas un salaire stable et durable toute l’année. D’autre part, les femmes qui travaillent dans ce domaine, ne sont pas satisfaites vu la pénibilité du travail dans les champs.
Notre enquête nous a permis de relever que la plupart des migrants ne sont pas satisfaits de leur salaire, et le considèrent comme insuffisant et ne couvrant pas tous leurs besoins. Raison pour laquelle une partie d’entre eux s’adonnent à d’autres activités en parallèle, comme la mendicité et dans certains cas, la prostitution.
Par ailleurs, nous avons effectué des entretiens auprès des migrants afin de découvrir leur quotidien, et avons remarqué qu’ils habitent généralement dans des quartiers populaires de Rabat, notamment quartier Attakadoum, dans lequel une masse importante des migrants est installée, ce qui en fait une communauté visible. Dans la ville de Mohammedia, plusieurs migrantes se livrent aux travaux liés à l’esthétique et de beauté et génèrent des revenus stables qui couvrent les charges fixes de leurs petites boutiques, et qui leur permettent de vivre décemment.
Même observation dans la ville de Casablanca, où la plupart des migrants résident dans la vieille Médina au centre-ville, et les quartiers périphériques, ces concentrations s’avèrent utiles pour les migrants qui partagent entre eux leurs cultures, leurs fêtes, parfois avec d’autres nationalités subsahariennes. Ce qui ne permet pas la mixité et entrave l’intégration souhaitée.
S’agissant de la perception de ces migrants chez la population marocaine, nous avons constaté dans cette étude qu’ils les appellent par le mot africain, alors qu’ils appartiennent eux-mêmes au continent africain. D’autres les appellent par des sobriquets racistes de type «azzi» qui veut dire noir, quoique ce mot s’applique originellement aux Marocains de peau sombre ou noire et qu’il n’a pas toujours cette connotation raciste. Bref, le manque de mixité retarde l’intégration et encourage la mise à la marge de la communauté des migrants.
Nos résultats montrent également que les migrants ne sont pas nécessairement, par tempérament ou culture, portés à s’éloigner des Marocains. Au contraire, il semble bien que lorsque la proximité se produit, de bonnes relations s’établissent et suivent un cours normal.
Quelques recommandations
Pour conclure, nous nous permettons de citer quelques recommandions tendant à entourer la politique d’immigration des conditions de réussir une bonne intégration:
Il s’agit tout d’abord de mettre en liaison les trois secteurs : gouvernement, société civile et secteur privé, afin d’établir un programme permettant l’intégration des immigrés. L’interculturalité suppose le partage des idées et le respect de l’autre dans sa différence. Pour cela, il faut créer des espaces de lecture et de créativité, par la création de maisons de lecture africaine dans les grandes villes en collaboration avec la diaspora africaine. L’intégration peut être économique, culturelle et démographique. Les bases principales de l’intégration sont l’emploi, qui permet la dignité de la personne et la langue pour communiquer et échanger avec l’autre. Or, le mode de gestion de la diversité est balbutiant au Maroc vu que ce dernier vient d’élaborer sa politique d’immigration et d’asile et par conséquent, il porte un intérêt récent à la question de l’intégration notamment culturelle des immigrés. Le Maroc dispose des moyens et des atouts suffisants pour absorber les immigrés. Pour cela, il faut adopter une politique de sensibilisation des citoyens marocains envers les étrangers pour réduire l’incidence des actes racistes et xénophobes, s’ouvrir sur les cultures africaines à travers l’organisation de festivals culturels et artistiques afin de renforcer l’intégration.
Nous proposons une approche globale de la gestion de migration en allant vers plus de cohérence au niveau de l’Union Africaine.
* Docteure en sciences politiques et droit international