PRISONNIERS DE GUERRE MAROCAINS ÉVADÉS DU GOULAG DE TINDOUF: LE RÉCIT SAISISSANT D’UN COURAGE PEU ORDINAIRE (PAR ALI NAJAB, EX-PILOTE DE CHASSE).

En janvier 2020, Ali Najab, ex-pilote de chasse, fait paraître, aux éditions la Croisée des Chemins, un livre intitulé: « 25 ans dans les geôles de Tindouf: mes mémoires d’un prisonnier de guerre ». Un livre poignant sur les atrocités commises par les geôliers de Tindouf, avec la participation criminelle de l’armée algérienne, au préjudice des 2300 prisonniers de guerre marocains, et au mépris de la Convention de Genève du 27 juillet 1929 sur le traitement des prisonniers de guerre.

Malgré la barbarie monstrueuse des bourreaux, ils sont tous restés dignes. Beaucoup sont morts en martyrs, d’autres ont réussi à s’évader du mouroir. C’est ce courage peu ordinaire que raconte M. Najab dans un chapitre de son livre, et que lecollimateur reproduit en épisodes avec l’aimable accord de son auteur. Cette initiative est mue par un devoir de dette et de reconnaissance envers nos valeureux soldats qui se sont sacrifiés pour la récupération de nos chères Provinces sahariennes, mais aussi par la volonté de développer, notamment chez notre jeunesse, un sentiment d’appartenance à la patrie.   

   

Les prisonniers de guerre marocains évadés de Tindouf en Algérie (Par Ali NAJAB)

Des quelques 2300 prisonniers de guerre marocains anciennement détenus à Tindouf, je ne pense pas qu’il en eut un qui n’avait pas pensé à s’évader à un moment donné durant sa captivité. Beaucoup avaient essayé et réussi à rejoindre le Maroc. Beaucoup avaient tenté de s’évader mais la chance ne leur avait pas souri et furent rattrapés par des unités de l’armée algérienne puis remis, après enquête, aux services de sécurité du polisario. Beaucoup d’entre eux sont morts sous la torture (voir chapitre sur la torture).

En choisissant de parler des évasions dans un chapitre à part, je voulais lever une équivoque: depuis notre retour de captivité, nous continuons d’entendre ça et là que nous sommes des poltrons pour nous être rendus à l’ennemi sans combattre et pour n’avoir pas tenté de nous évader. Une telle assertion gratuite et mensongère dépasse tout entendement. Si tous les prisonniers de guerre pouvaient s’évader c’est qu’ils faisaient du tourisme chez l’ennemi à Tindouf. Quant à l’idée que nous nous sommes rendu sans combattre un chapitre lui sera réservé car c’est le plus grand mensonge qui fut inventé pour justifier nos pertes durant les batailles.

Les évasions que je vais citer sont de vraies épopées. Les tentatives chez les soldats étaient plus nombreuses que chez les officiers parce que les soldats travaillaient dans des endroits soit limitrophes de la frontière algéro-marocaine ou du mur de défense soit qu’ils ne faisaient pas l’objet d’une surveillance accrue de la part de la garde du polisario. Les officiers étaient quant à eux cantonnés dans des endroits clos sous l’œil vigilent d’un gardien qui veillait constamment au grain.

Dans toutes les armées du monde, les prisonniers de guerre qui s’étaient évadés des prisons de l’ennemi avaient été largement récompensés par un avancement exceptionnel et décorés. Chez nous les récompenses n’ont pas été toujours à la hauteur du courage de nos braves soldats : en général un seul grade et pas de décoration.

Les évasions sont cités pêle-mêle, qu’elles fussent réussies ou non pour ne pas ennuyer le lecteur…

1- Cas de Hamid Jarjoub et quatre de ses camarades:

Ils étaient cinq. Jarjoub Hamid, Mohammed el Kiali, Mohamed ben Mohamed, Si Ali, Lhoussain. Tous travaillaient dans un centre dit poste n°6 commandé à cette époque là par un chef du nom de Brahim Biadilah de son nom de guerre Grigo qui n’est autre que le frère du président de la chambre des conseillers de notre Parlement, Mohamed Cheikh Biadilah. Ils avaient prêté serment entre eux de ne pas faire marche arrière quelques soient les difficultés rencontrées en cours d’exécution.

Le 9 février 1982, ils se consultèrent pour entamer la préparation.  Tard dans la nuit, ils s’emparèrent d’une jeep au réservoir plein de carburant. Ils y déposèrent un petit fut de gasoil de 50 litres. Ils l’éloignèrent en la poussant discrètement à un kilomètre du centre sans faire marcher le moteur. Ils revinrent à l’intérieur du centre pour prendre de l’eau et de la nourriture. Ils firent le départ vers 21 heures dans l’obscurité totale prenant la direction nord. Jarjoub raconte qu’ils avaient parcouru environ 200 km au moment où ils avaient failli à l’aube buter sur un poste algérien aux alentours de Tindouf. Ils reprirent immédiatement la direction sud pour faire croire aux algériens qu’ils faisaient partie d’une unité du polisario.

Mais après quelques kilomètres ils aperçurent la ceinture-est algérienne. Pour faire croire aux soldats algériens qu’ils étaient une patrouille amie, ils continuèrent à rouler vers eux puis changèrent de direction vers le nord en leur faisant un geste de la main. Au moment où ils croyaient être sauvés, leur véhicule s’embourba dans le sable et comme un malheur ne vient jamais seul, le moteur s’arrêta. Jarjoub put redémarrer le véhicule, les autres purent le sortir du sable. Ils prirent carrément la direction de Tindouf pour tromper des maquisards du polisario qui occupaient une crête certainement des guetteurs.  On leur fit signe de s’arrêter mais heureusement Jarjoub eut la présence d’esprit de leur parler à distance en Hassanya et comme ils portaient des chachs noirs ne laissant apparaître que les yeux, les maquisards y avaient mordu. Lorsqu’ils furent assez loin, ils reprirent la direction vers la ceinture marocaine. Jarjoub avait déjà séjourné dans la région de Bougarba et pouvait dès cet instant, s’orienter facilement. Ils interceptèrent une piste non praticable. Ils s’étaient mis d’accord de continuer à pied pour éviter les mines. Ils décidèrent de retourner le véhicule dans un talweg. Après avoir marché pendant 2 km sans rencontrer de mines, ils décidèrent de continuer à pied. Jarjoub leur disait qu’il préférait sauter sur une mine que d’être capturé de nouveau. Ils étaient arrivés à Bougerba.

De là ils prirent la direction de Ourekziz. Ils firent une pose pour manger et boire un peu. Soudain quelqu’un à distance les sommaient de se rendre sinon il faisait feu. Il faisait déjà nuit. Ils n’eurent pas le temps de se concerter et dans ce cafouillage ils se séparèrent. Jarjoub et ses deux camarades Mohammed El Kiali et Mohammed ben Mohammed partirent dans une direction, les deux autres Si Ali et Lhoussain dans une autre direction. Jarjoub et ses camarades en escaladant rapidement le terrain très accidenté, purent échapper à deux jeeps qui les poursuivaient. Si Ali et son camarade furent capturés et ramenés au centre d’où ils s’étaient évadés. Jarjoub raconte qu’il faisait nuit noire et très froid ce 10 février 1982.

Mais Jarjoub est issus du moyen Atlas, de la tribu des Béni Warain précisément, des berbères purs et durs où il avait été élevés dans l’adversité de la nature du moyen Atlas. Il continua à mener son petit groupe jusqu’au moment où l’un de ses camarades eut une idée géniale. Pourquoi ne pas se séparer pour éviter d’être pris tous les trois si l’ennemi venait à les rattraper. C’était convaincant ! Ils se séparèrent. Le lendemain 11 février ils arrivèrent séparément aux positions de l’armée marocaine à des heures différentes. Jarjoub à 6 heures du soir, ses camarades à 10 heures et 11 heures du matin. Puis ils furent tous les trois remis à l’Etat-Major de la Zone Sud à Agadir. Jarjoub raconte avoir été avancé du grade de caporal au grade de caporal chef: un seul grade après toute cette épopée et les renseignements sur l’ennemi qu’il avait rapportés avec lui. Déçu, il se plaigna chez le commandement.

Un officier supérieur qui est aujourd’hui général, ne trouva rien d’autre à dire à ce vaillant soldat qui fut capturé au combat, blessé par 13 balles, qui organisa, avec ses camarades, une évasion spectaculaire et réussit à rejoindre avec deux autres camarades, seulement après deux années de captivité, ramenant certainement avec lui beaucoup de renseignements précieux sur l’ennemi, que de lui dire ceci: « Si tu étais un homme, tu ne t’aurais pas fait prisonnier ! ».

L’emploi de l’expression « se faire prisonnier » est une expression lourde de conséquences.….. Jarjoub et ses deux camarades continuèrent de servir dans les Forces armées royales en zone sud jusqu’en 2005 avant d’être mis à la retraite avec le grade d’adjudant chef.  Ce vaillant combattant porte encore dans sa tête des blessures profondes comme les marques d’un fer, que lui avaient laissées les propos de cet officier supérieur. Ceci me renvoie à une citation de George Washington qui, une fois, avait dit: « the character of a nation can be judged by the way it treats its veterans »!! Je traduis: « Le caractère d’une nation peut être jugé à la  façon dont elle traite ses vétérans ».