La peinture de Mahacine Al Ahrach ou le regard enchanté (Par Boubker HIHI)

Par Boubker HIHI

Dans les tableaux de l’artiste peintre Mahacine Al Ahrach, la figure humaine est quasi absente sauf quand elle réalise des portraits. Quand cette figure humaine est présente, elle n’est pas située dans le premier plan et elle n’est pas seule mais fait partie d’un groupe ce qui lui ôte toute individualité et crée une ressemblance. Cela est manifeste dans ce tableau où des personnes sont près du mausolée. La proximité avec ce dernier explique à elle seule le pourquoi de cette ressemblance et fait de ce tableau un paysage puisque les éléments vivants ici, à savoir les humains, se fondent avec une composante inanimée qui est le mausolée et ne bénéficient donc que d’un rôle secondaire.

 

 

Cadrés en plus de dos, ces personnages perdent davantage en importance. Par contre, à l’arrière-plan il y a la toute beauté verdoyante de la nature et qui contraste avec ce blanc mortuaire du sanctuaire. Ce mausolée est placé au milieu, comme au centre du monde de ces humains, incite les regards à converger vers lui. Même si la composition du tableau est assez ordinaire, voire classique, elle correspond précisément au propos. Pour représenter ce mausolée, Mahacine Al Ahrach a privilégié un angle de vue normal, se plaçant à son niveau, pour nous en donner une représentation objective. D’ailleurs, ce point de vue normal est privilégié par l’artiste peintre ; on le retrouve dans le tableau des trente portraits et même dans le tableau représentant un cheval.

Si les tableaux de Mahacine sont généralement flous grâce au recours à de simples tâches de lumière et à l’absence de couleur uniforme, c’est parce qu’elle peint des paysages mais des paysages tels qu’elle se les représente elle ; elle exprime la réalité et ne la représente pas. Les spectateurs malheureusement regardent les tableaux avec les yeux de la réalité au lieu de les appréhender avec leurs sensibilités.

Parmi les tableaux de l’exposition, se trouve un tableau où 30 visages du même personnage sont réunis. Dans ce tableau aux trente visages, le personnage est vu de face et sa figure est immobile. Ce sont les yeux du personnage qui captent notre regard. Ce sont des visages peints en gros plans, lesquels révèlent la psychologie du personnage. Par le choix de ce cadrage, Le portrait se veut une représentation plutôt morale de la personne. Certes le visage est le miroir de l’âme, mais devant le tableau de Mahacine, on est en présence d’un miroir éclaté. L’originalité de ce tableau, c’est qu’on se trouve devant le même visage mais qui n’est pas, à chaque fois, pareil. C’est du pareil mais pas au même. En effet, chaque visage précise des traits spécifiques et met en relief un sentiment.

Les visages, représentant la même personne, confirment l’hypocrisie de l’homme. Même le non hypocrite n’a pas le même visage. On est tous des hypocrites quel que soit notre statut social. En effet, dans le tableau rien n’indique le milieu social de la personne ; on n’a ni vêtements ni arrière-plan. Et l’on comprend pourquoi dans les tableaux de Mahacine, quand ce ne sont pas des portraits, la présence humaine se limite à de simples silhouettes. D’ailleurs, les formes dans les tableaux de Mahacine ne sont pas circonscrites avec des traits précis.

Il y a un de ses tableaux où elle représente un cheval. Mahacine ne nous dévoile de lui que des yeux et des nasaux. L’imagination du spectateur se charge de restituer le reste. Elle transcende la réalité du cheval en supprimant tous les détails qui d’habitude standardisent le cheval. On est en présence d’un cheval poétisé, puisque placé hors de l’ordinaire. Il devient mystérieux et invite par là le spectateur à sonder son mystère. Celui-ci est accentué par le fait que notre artiste recourt au niveau des c ouleurs à sa propre palette intégrant ce cheval à son propre monde et non au monde ordinaire. Cependant, il y a un cheval peint en blanc et on voit de manière claire sa tête avec son cou et sa crinière.

Même l’humain n’a pas droit dans ses tableaux à un plan aussi rapproché. Est-ce parce que le cheval est noble ? Mahacine ne s’est pas intéressée à peindre uniquement des paysages ou des portraits. On trouve aussi, dans son exposition, des figures inanimées: des nymphéas. Les nymphéas de Mahacine, occupant la surface gauche du tableau, sont très importants puisqu’ils sont le sujet essentiel du tableau. Même les humains n’ont pas eu droit à ce statut dans les peintures de Mahacine.

Ce paysage d’eau aux nymphéas ne peut pas ne pas nous rappeler les nymphéas de Claude Monet et peut être nous pousser à inscrire le travail de Mahacine Al Ahrach dans la lignée impressionniste, même si je suis convaincu qu’un artiste peintre se doit d’emprunter à ses prédécesseurs. Mahacine Al Ahrach a bien des procédés propres à elle pour sublimer le réel. Elle oppose souvent des lignes du ciel avec celles de de la terre. Cette opposition libère l’artiste peintre de la réalité, lui donne des ailes et une indépendance.

Les personnages du mausolée évoqués sont peints de manière très simplifiée ce qui exalte le réel et le sublime. Des petites touches qui ne cherchent pas à reproduire le réel dans son exactitude mais à révéler les particularités fondamentales de ce réel. Ainsi, de ces personnes près du mausolée, ne voit-on que des silhouettes et non des êtres humains à part entière. Les tableaux de l’artiste peintre MahacineAl Ahrach sont généralement aérés dans la mesure où certains sujets sont placés dans des espaces vides et d’où la quasi absence de plans rapprochés ou de gros plans. Cela a pour effet l’isolement du sujet. Souvent, l’être humain est absent dans ses tableaux ce qui pousse le spectateur à trouver des sujets essentiels autres que l’être humain. Celui-ci se trouve détrôné.

La composition en masses dans les tableaux de Mahacine est un peu particulière. Les éléments peints dans ses paysages ne sont pas marqués de manière très distincte ce qui crée un sentiment de platitude. Cependant intervient la couleur pour faire jaillir les masses. C’est la couleur qui crée les masses et établit une distinction entre les différents éléments. Ainsi, dans les paysage de notre artiste on ne trouve pas de lignes d’horizon ce qui unit presque le ciel et la terre. Ce qui crée la différence entre les deux, ce sont les couleurs (souvent nuancées).Autre caractéristique principale chez Mahacine est l’absence de lignes de force horizontale et verticale. Le recours à ces lignes voudrait dire que l’artiste peintre dirige le regard des spectateurs sur les éléments importants du tableau. Or Mahacine Lahrache ne veut rien imposer au regard du spectateur. En évitant les lignes de force, elle laisse au spectateur l’entière liberté d’aller avec son regard là où il veut et donner de l’importance aux éléments de son propre choix. La ligne d’horizon crée une impression de calme alors que les tableaux de Mahacine dérangent et invitent le spectateur à utiliser sa cervelle. Enfin, pour mieux cerner le travail de notre artiste peintre, ne serait-il pas fructueux de le rattacher à son contexte historique et personnel ?