UNE ARTISTE. UNE ŒUVRE. FATIMA EL HAJJAJI. ESTHÉTIQUE DE LA FORÊT ET DE LA CLAIRIÈRE 

La peinture de la nature et de la forêt a connu ses lettres de noblesse au 19ème siècle notamment avec les écoles anglaise, belge et française. Les peintres paysagistes comme John Constable, Jean-François Millet, Charles François Daubigny, Théodore Rousseau …ont tenu à installer la nature au cœur de leur travail. Le plus marquant reste bien sûr Jean-Baptiste-Camille Corot qui, toute sa vie, a peint des arbres en cherchant une exactitude dans leur représentation.

Proches des milieux littéraires romantiques, les peintres de la nature voulaient se démarquer de l’académisme néoclassique et réagir aussi face à l’industrialisation naissante. Ils ont également annoncé la « lumière » des Impressionnistes qui, au départ, ont puisé leur inspiration dans la luminosité de la forêt. Après, ce fut « les reflets sur l’eau » – lumière et couleurs – qui constituèrent la composante la plus marquante de leur art.

Chargé de symboliques profondes, le thème de la nature et de la  forêt occupe une place  majeure dans l’histoire de la peinture. L’artiste plasticienne Fatima El Hajjaji a choisi de s’inscrire dans ce registre, avec un traitement corrélé évidemment à son  ressenti contemporain et à la modernité plastique.

Fatima El Hajjaji qui expose depuis plus de 20 ans au Maroc et à l’étranger, commença son expérience picturale par une représentation apaisée et sereine de la nature, livrant un message écologique évident.

Elle célébrait avec sérénité  les bois, les sous-bois avec une  profusion de magnifiques feuillages verts et d’arbres épanouis. Un univers imprégné de quiétude avec des intitulés d’œuvres  invitant à la promenade… à l’admiration du vert émeraude… ou à la féérie de  l’été indien. Le tout  servi par une technique maîtrisée des effets du « clair-obscur » et  des tonalités du chromatisme sylvestre.

Toutefois, son travail  allait connaître une nette évolution… Une prise de conscience écologique et une sourde inquiétude l’a amenée à questionner son approche et à porter un regard… moins allègre. La représentation jubilatoire et bucolique devenait moins évidente pour elle.  Pourtant, elle aurait pu très bien continuer dans cette voie, qu’elle maîtrise parfaitement et qui a ses amateurs.

Mais, elle a tenu à explorer d’autres cartographies esthétiques… moins liées à la figuration  et plus adaptées à de nouveaux ressentis et préoccupations. Le sens des œuvres s’est teinté de plus de gravité et d’inquiétude. L’abstraction s’est imposée…

Le traitement est devenu autre. Dépouillé, sobre. Un amer constat face à la nature et la forêt abîmées. Des arbres nus sans feuillage, calcinés…  quasiment des traits noirs. Les représentations champêtres apaisées… promenade en forêt ou été indien… sont devenues un  lointain souvenir. Le sujet « forêt »  se laisse deviner mais il est estompé. Transcendé en un chromatisme austère et libéré de formes convenues.

L’effacement de la figuration est mené parallèlement avec l’effacement du sujet… la forêt… en une mise en abyme. Puisque la « forêt réelle » est menacée par l’effacement, le déclin… le genre figuratif lui-même perd de son sens. Un dépouillement qui ne garde que l’essentiel en une représentation incertaine. Le vert qui était prééminent a cédé le pas au rouge, à l’ocre, au jaune, au marron… aux couleurs du feu. Parfois en des visions de désolation.

Certaines de ses dernières œuvres exacerbent cette vision à travers des  compositions abstraites, intégrant massivement matière et collage… y compris des éléments de  charbon… la « matière » carbonisée. D’autres œuvres montrent aussi des collages de matériaux résiduels, issus de la spirale folle de la consommation… et son empreinte néfaste sur l’écosystème.

La forêt abîmée doit aussi être comprise ici comme une allégorie de l’espèce humaine mise en danger par sa propre inconscience. En écho évidemment avec  l’intériorité de l’artiste oscillant entre divers états d’âme.

Fatima El Hajjaji aspire à éveiller les consciences car, pour elle, la fracture … « Homme »  d’un côté et « Nature » de l’autre… n’a pas lieu d’être.  L’homme n’est pas le maître de la nature et la nature n’est pas un « décor »…  Il s’agit d’une unité fondamentale de l’homme avec son environnement naturel.

Mais au-delà de l’expression tourmentée, il y a aussi une forme d’espérance dans le travail de Fatima El Hajjaji. Toutes ses toiles montrent de fortes séquences centrales de lumière. Un ciel éclatant de luminosité qui occupe parfois les deux tiers de la toile. Un référentiel d’espoir, symbole d’une aspiration vers un monde plus éclairé, plus sage… malgré la régression et les dérives actuelles

C’est pour cela que la notion d’ « esthétique de la clairière » est à lier à son art et à son imaginaire… Elle peut être interprétée à travers cette pensée de Jean Anouilh : « Tout au bout du désespoir, il y a une blanche clairière où l’on est presque heureux ! ». C’est toute la portée et le sens symbolique de l’art accompli et maîtrisé de l’artiste Fatima El Hajjaji… un art utile et engagé, inscrit dans un message universel.