Trois ans après le déclenchement le 22 février 2019 en Algérie du « Hirak », qui a chassé le régime de Bouteflika du pouvoir, le système politique en place semble plus que jamais bloqué, inaudible aux revendications d’une jeunesse désabusée, pour la liberté, la démocratie et la dignité.
Selon un grand nombre d’organisations de défense des droits humains et de partis politiques, il s’agit d’un système en crise de légitimité, sclérosé et incapable d’engager un véritable changement dans le pays.
Le régime algérien, incapable devant les demandes du « Hirak », ne trouve pas mieux que d’utiliser l’appareil policier et une justice aux ordres pour réprimer toute contestation, toute expression libre. Cela au moment où les Algériens expriment une même préoccupation, un besoin insatiable pour le changement et une impatience légitime de voir le pays se forger un avenir à la mesure de ses considérables potentialités humaines et naturelles et qui soit porteur d’apaisement et d’intégration nationale, de démocratie, de justice et de bonne gouvernance et bannissant, à tous les niveaux, la médiocrité, la corruption, l’injustice, le clientélisme et le népotisme.
En dépit de la bouffée d’oxygène, momentanée, dont a profité le pays à la faveur de l’envolée des cours des hydrocarbures, l’Algérie reste empêtrée dans une impasse politique et une crise socio-économique dont l’enchevêtrement est annonciateur de tous les périls.
D’aucuns ne peuvent nier que l’Algérie connaît, depuis un certain temps, une crise politique, sociale et économique, avec un régime impopulaire confronté à la fois au soulèvement populaire du Hirak depuis février 2019, à la forte dépendance du pays vis-à-vis de la rente pétrolière et à l’incapacité du pouvoir en place d’apporter des solutions à une jeunesse de plus en plus désabusée et gagnée par le désespoir.
Tous ces ingrédients, ajoutés à des perspectives particulièrement alarmantes, ont constitué la toile de fond du Hirak, ce mouvement qui marque une exaspération, de plus en plus lancinante, nourrie par des réalités sociales en dégradation rapide dans un horizon menaçant.
Gagné par une sorte de myopie, le système algérien préfère tourner le dos à cette dure réalité et faire une fuite à l’avant.
Au moment où tout le monde réclame le changement, le pouvoir s’est donné pour mission de bâillonner les médias, les opposants politiques et les manifestants à coups de peines de prison, de censure et de traque policière.
Pour cette raison et bien d’autres, le mouvement Hirak ne semble pas, trois ans après, prêt à baisser les bras et ses militants de plus en plus nombreux expriment une forte détermination à user de leur arme pacifique redoutable de protestation pour un vrai changement politique et pour l’amélioration de la situation socio-économique des Algériens.
La grande vitalité du mouvement Hirak se nourrit, justement, de l’incapacité du régime à se réformer. L’ère d’Abdelmadjid Tebboune n’a, en rien, changé les pratiques de l’époque de Bouteflika, que ce soit la répression ou la corruption, déplorent plusieurs partis de l’opposition.
Si quelques hommes politiques ont été remplacés, le système érigé par l’ancien président demeure, pérennisant gabegie et politique de la rente. Ce qui fait dire à de nombreux observateurs et spécialistes que le président Tebboune ne fait que reproduire l’ancien système.
A l’occasion du troisième anniversaire du « Hirak », le pouvoir algérien semble plus que jamais désemparé, agissant sans boussole optant tantôt pour le replâtrage pour s’épargner d’une explosion sociale dont les symptômes, selon la Banque Mondiale, annoncent son imminence et tantôt pour une répression tous azimuts de toute expression et de toute voix discordante.
En effet, selon le comité national pour la libération des détenus, pas moins de 300 personnes, accusées en autres d’atteinte à la sûreté de l’Etat, d’atteinte à l’intégrité du territoire, d’actes subversives croupissent actuellement dans les prisons.
La plupart sont poursuivies pour avoir simplement exprimé une opinion, à travers notamment des publications sur les réseaux sociaux.
Face à la gravité de la situation, organisations internationales, observateurs, activistes de la société civile et ONG ne cessent de tirer la sonnette d’alarme sur la dérive autoritaire du régime Tebboune, la répression policière, les arrestations abusives et sur les atteintes répétées aux droits de l’Homme.
Le régime, dans sa quête d’une légitimité perdue, multiplie les arrestations et les poursuites judiciaires visant opposants politiques, militants hirakistes, avocats et journalistes indépendants.
A cet effet, le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme (HCDH) vient justement d’exprimer ses inquiétudes face à l’instrumentalisation des lois antiterroristes contre ce mouvement pacifique, expliquant que « toute personne qui scande des slogans où rédige des articles jugés critiques à l’égard de la classe politique s’expose à une grave accusation de terrorisme, au titre de l’article 87 bis du code pénal algérien ».
De son côté, l’Observatoire Euro-méditerranéen des Droits de l’Homme a exprimé sa « profonde préoccupation » quant à la dégradation de la situation des droits humains en Algérie.
« Les autorités algériennes ont pratiqué des mesures arbitraires contre des dizaines de prisonniers d’opinion en grève, protestant contre la prolongation de leur détention sans justifications légales et les intentions de les juger pour des charges liées au terrorisme et autres », dénonce-t-il.
En même temps, plusieurs militants alertent sur l’étau que le régime resserre autour des activistes des droits de l’Homme, des journalistes, et même autour de partis politiques fondés depuis des décennies.
La Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l’Homme (LADDH), par exemple, dénonce et expose le modus operandi des autorités algériennes pour traquer et faire emprisonner les militants du Hirak.
La dérive autoritaire du régime est reflétée à plusieurs niveaux. D’abord la maltraitance dans les prisons où on signale que pas moins de quarante détenus ont entamé le 28 janvier dernier une grève de la faim à la prison d’El-Harrach, à Alger, pour dénoncer leurs conditions de détention ainsi que les fausses accusations et les prolongations de détention provisoire injustifiées dont ils font l’objet.
Le raidissement du régime s’explique par le fait que « autorités algériennes veulent quoi qu’il en coûte de se maintenir au pouvoir quitte à écraser toute opposition ou à piétiner les droits à la liberté de réunion, d’association et d’expression ».
Les partis politiques qui ne partagent pas l’approche Tebboune ne sont pas mieux lotis et certains viennent de payer le prix fort de leur engagement. Tel fut le cas de partis qui ont osé critiquer haut et fort le gouvernement et de ceux qui ont boycotté la dernière élection présidentielle.
Au cours du seul mois de janvier 2022, les autorités algériennes ont suspendu un parti politique et ont menacé deux autres de subir le même sort.
Le Parti Socialiste des Travailleurs (PST), formation politique d’opposition proche du Hirak, vient de faire l’objet d’une dissolution par le conseil d’Etat, la plus haute autorité judiciaire.
Le PST a été condamné pour « ne pas avoir respecté la législation gérant le fonctionnement des partis politiques et pour ne pas avoir organisé une conférence générale à temps pour renouveler sa direction ».
Le Conseil d’Etat, faut-il rappeler, avait déjà dissous en 2021 deux partis de l’opposition, l’Union pour la démocratie et le Front algérien démocratique.
Les raisons avancées étaient toujours les mêmes : « le non-respect des lois régissant les partis politiques ».
Dans cette répression systématique, les médias ne sont pas non plus épargnés. Dans sa politique de censure et de tolérance zéro face à la critique, le système algérien a pris pour cible les médias nationaux et internationaux.
Le ministère algérien de la Communication a retiré son accréditation à des médias internationaux comme la chaîne de télévision française « France 24 », la chaîne « Al-Arabia » et d’autres chaînes étrangères présentes en Algérie travaillent essentiellement dans un vide juridique.
La dérive autoritaire du régime militaro-politique, son aversion au changement et à toute ouverture, son rejet à toute revendication populaire expliquent bien les déterminants du pouvoir algérien.
Un pouvoir qui aime se défausser de ses problèmes sur d’autres pays. Cela s’explique parfaitement par sa recherche incessante de créer des tensions diplomatiques à tous azimuts pour externaliser les problématiques sérieuses de gouvernance et de développement.
Parce qu’il est en crise de légitimité et incapable de répondre aux demandes légitimes du « Hirak », il fait montre d’une agressivité et d’une agitation irrépressibles déclinant son vrai visage et attestant l’absence de boussole guidant son action.