« La colline verte », l’écriture et la mémoire

Il faut de temps en temps sortir pour pointer le nez ailleurs. Quitter ces chemins bien tracés car la surprise peut être au rendez-vous. Nous avons l’habitude de suivre l’actualité, ce qui nous cantonne dans un contexte bien précis favorisant le conditionnement de notre regard. Ce n’est qu’une fenêtre alors que le monde est très vaste à le cadrer ainsi.

Ce préambule n’est qu’un prétexte pour aborder un livre qui sort du circuit préétabli des livres au Maroc. Nous oublions toujours que le monde des livres ne doit pas être exclusivement appréhendé sous l’angle de la doxa de l’édition.

Certes, les maisons d’édition assurent un marché de livres qui jouissent d’une approbation d’une haute autorité intellectuelle. Cependant,  il y un autre circuit des livres animé par ce qu’on appelle « les mordus » de l’écriture. Un autre marché où on peut dénicher quelques livres pouvant nous convaincre à passer un moment de lecture exceptionnelle. C’est le cas de « La colline verte », Info-Print 2021, un recueil d’histoires courtes d’Abdeslam Laaouine. Un fervent lecteur et cinéphile, qui a choisi après avoir eu sa retraite dans le domaine de la médecine en France, de rejoindre la terre des ses aïeuls. Bâtir une maison en plein cœur du désert de la région de Draa. Dans ce lieu de silence et de solitude, là où le vent est libre de circuler sans entrave, l’écriture est venue frapper à sa porte.

Dès la première page, il est clair qu’il y a une forte présence d’un lecteur bien précis dans la tête de l’écrivain. C’est pour cela qu’il a fait recours à un avertissement, qui consiste à préciser le genre littéraire, que l’auteur a voulu mettre en place comme un contrat à signer avec le lecteur. Comme il le dit: « Dans ce recueil de récits courts, je raconte des histoires ou des faits inspirés d’une certaine réalité et des faits imaginaires ».

A la lecture de ces récits, on est devant un roman avorté et fragmenté. Car il y a un fil conducteur qui relie tout ces récits et qui échappe à l’auteur. L’écriture est espiègle et peut nous jouer des tours. Ce lien est le narrateur par excellence qui a porté jusqu’à la fin le fardeau du tissage de ces histoires. Il est devenu ce personnage témoin de la vie des autres et cet observateur de la nature. Il a su installer un rythme et amener le lecteur à passer d’un état à un autre, d’un récit-chapitre à l’autre entre expérience naturelle et humaine. Il y a des récits-chapitres qui ont instauré un moment de respiration, comme le « plan de coupe » dans le montage cinématographique. Sauf que le « plan de coupe » dans le cinéma est très court alors que les récits relatifs à la description prennent plus de temps. 

« La colline verte » est le titre de cet ouvrage mais il est aussi le socle d’une  poésie verte dans un monde désertique. C’est un havre de vie qui devient « une drogue dure, et la nature est un aphrodisiaque », page 51. C’est l’histoire d’un voyage qui traverse le temps de plusieurs générations qui ont vécu dans ce Maroc du siècle dernier. L’histoire de ces gens qui ont marqué par leur singularité qui peut échapper à notre regard. Mais l’écrivain est là pour retenir l’éphémère et lui faire barrage.

Le livre d’Abdeslam Laouine nous rappelle à quel point l’oubli est dévastateur. C’est pour cela que cet engagement dans l’aventure de l’écriture est un combat incessant et un acte majeur pour graver les noms des êtres – avec qui on a partagé une tranche de vie-dans le marbre de la mémoire.