Nabyl Lahlou, le fou et le sage

Faut-il oublier Nabyl Lahlou ? Qui se souvient de cette boule de nerfs… ce troublant regard d’un homme qui porte les stigmates d’une traversée de l’enfer de la création ? Où est ce fou qui n’a pas su mettre sa langue dans sa poche. Celui qui pointe du doigt « les bourreaux des créateurs » comme il aime bien les définir.  Celui qui a vendu son âme à ce mystérieux fantôme du théâtre.

Nous avons besoin de ce colosse si fort et si fragile, capable de nous claquer la porte au nez après une discussion houleuse. Un artiste possédé par ce théâtre qui se respecte. Il a écrit ses propres pièces en passant au peigne fin ces minuscules et terribles blessures de notre société. Il n’a jamais engagé des concessions. Égal à lui-même, il nous rappelle Kurosawa dans son geste majeur où il était prêt à passer à l’acte fatal… le hara-kiri pour sauver son art.

Nabyl Lahlou qui ne craint l’affrontement du vide, c’est le seul qui a osé jouer devant une salle vide avec la même ferveur que dans une salle comble. Pas de retard, les portes du théâtre se ferment à l’heure annoncée sur les affiches de ses pièces de théâtre. Il a endossé le rôle du fou de Gogol tout en sachant pertinemment qu’il est considéré dans son pays natal comme le fou de la cité. Son tempérament nous interpelle et nous interroge mais malheureusement, on n’a pas su à quel point nous avons loupé le temps de la considération de ce personnage haut en couleurs. Un homme qui sort du lot de la banalité. Il a fallu le prendre au sérieux.

Qui se rappelle ses films « Al Kanfoudi » (1978), « Le Gouverneur général de l’île Chakerbakerben »(1980), « Brahim Yach » (1981), « L’âne qui brait » (1984), « Komany » (1990), « La nuit du crime » (1992).  Un univers surréaliste, absurde, une parabole à géométrie variable qui nous renseigne sur ce « Majdoub » du temps moderne.

C’est malheureux de ne placer ce monument là où il faut afin d’assurer la transition et la transmission de la mémoire relative à cette expérience théâtrale et cinématographique à cette nouvelle génération d’artistes. Écouter cet homme qui – malgré les difficultés de la production – continue à créer. La dernière création en date, est la mise en scène de sa pièce de théâtre « La femme au Colt 45 », interprétée seule sur scène par sa comédienne fétiche Sophia Hadi.


Nabyl lahlou est une valeur sûre pour donner du sens au théâtre marocain. Il a écrit un chapitre de la rébellion créatrice où il était en avance par rapport à son époque. Il avait cette fibre de la contestation et d’un regard qui considère les choses d’une façon étrange teintée d’une douce folie. L’expérience artistique pour lui n’a pas de religion. Elle nous invite à se révolter contre soi-même… marcher sur les pas des autres pour aller plus loin et créer l’impossible dans un monde limité et marqué par les frontières. 

Un artiste libre qui crie, qui vocifère, qui ne veut pas plaire aux autres. Il marche, obsédé par le mouvement… rien n’est statique pour lui et nous devons accepter ce mouvement car c’est ce qui va nous sauver.