Intervenant au terme de deux années de contestations populaires ouvertes, les élections législatives en Algérie ne suffiront pas à régler la profonde impasse politique d’un régime en manque cruel de légitimité, souligne le centre de réflexion américain Atlantic Council.
Dans une analyse signée Andrew Ferrand, spécialiste de l’Algérie et auteur du livre « Le rêve algérien », à paraître cet été, le think tank basé à Washington souligne que le scrutin de samedi «n’est que l’ultime tentative de l’administration du président Abdelmadjid Tebboune de revendiquer une légitimité qui lui manque cruellement ».
Selon lui, si l’élection de Tebboune en décembre 2019 et le référendum constitutionnel de novembre dernier ont semblé aboutir aux résultats escomptés par lui et ses soutiens au sein des puissantes forces de sécurité du pays, il n’en reste pas moins vrai que des niveaux élevés d’abstention et de protestation ont cependant « révélé l’énorme fossé séparant les Algériens de leurs dirigeants”. En effet, dans ce pays de 43 millions d’habitants, moins d’un électeur éligible sur sept a voté pour la constitution, qui a pourtant été adoptée.
Et de noter que les dirigeants algériens ont depuis longtemps tenté de minimiser cette fracture, mais elle est devenue indéniable en 2019 lorsque le mouvement de protestation Hirak a éclaté, mettant fin aux vingt ans de règne du prédécesseur de Tebboune, Abdelaziz Bouteflika.
“Les manifestations de masse, déclenchées par le choix de Bouteflika de briguer un cinquième mandat présidentiel mais alimentées par des années de cumul de frustration et d’indignité, ont également plongé le pays dans une impasse politique”, rappelle Andrew Farrand.
Depuis deux ans, la vieille garde du régime fait face à des manifestants issus d’une population beaucoup plus jeune, avide d’opportunités et moins tolérante à l’isolement de longue date de l’Algérie, fait observer le prestigieux centre de recherche.
L’auteur de l’article relève également que sous prétexte de la nouvelle constitution, Tebboune a dissous en février dernier l’Assemblée nationale populaire (APN), la chambre basse du parlement algérien, mettant fin aux mandats ordinaires de cinq ans des députés un an plus tôt. « Cette décision correspondait à la campagne de pseudo-réformes des autorités visant à apaiser les citoyens mécontents et à saper les appels à un changement plus fondamental », explique-t-il.
Or, fait remarquer l’analyste américain, cette ruée vers les élections se heurte à la vision d’un renouveau politique radical que le mouvement du Hirak prône depuis ses débuts. Il en va de même de la nouvelle constitution, qui laisse intact le déséquilibre de longue date des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif algériens. Pour ces raisons, de nombreux militants du Hirak ont annoncé leur intention de boycotter le scrutin et de continuer à manifester.
Et d’ajouter que le chômage reste endémique en Algérie, les revenus pétroliers se sont effondrés, les fonds de réserve ont diminué et beaucoup sont frustrés par la gestion de la pandémie par le gouvernement, notamment le retard dans le déploiement des vaccins par rapport aux voisins du pays.
Au milieu de ces défis, les acteurs politiques traditionnels de l’Algérie ont eu du mal à inspirer les électeurs, déplore l’auteur, notant que les Algériens qui croient encore en l’intégrité des résultats des élections peuvent chercher à juger ce scrutin selon deux critères clés : la participation et les bulletins de vote nuls.
Et de rappeler à cet égard qu’au cours des dernières décennies, les résultats officiels des élections législatives ont montré une chute générale de la participation et une augmentation constante du taux de bulletins nuls, une forme courante de vote de protestation en Algérie.
Si beaucoup d’Algériens accordent peu de valeur à ces statistiques officielles, ces chiffres restent pourtant d’une importance capitale pour le président Tebboune et d’autres membres de la classe dirigeante algérienne, explique l’auteur de l’article, précisant que leurs efforts pour encourager la participation au scrutin ne sont qu’une étape dans une quête plus large de légitimité.
La légitimité tirée de la lutte pour l’indépendance a longtemps servi d’alibi pour les erreurs des dirigeants algériens. Et maintenant, leur départ laisse ceux qui les suivent face à une question cruciale : “que pouvons-nous offrir aux Algériens aujourd’hui pour mériter leur loyauté ? Bien que cruciale pour les perspectives à long terme du pays, c’est une question qui ne trouvera pas de réponse lors des élections de cette semaine », conclut l’auteur.