Passionnée de science et de littérature, Rita El Khayat appréhende la question féminine autrement, sur un ton d’analyse imprégné de références scientifiques et littéraires. Tour à tour écrivaine, professeure universitaire, journaliste et productrice d’émissions, Rita a donné libre cours à son côté artistique pour jouir de son génie, à travers sa nomination, pour la deuxième fois en 2020, en tant que présidente de la Commission d’aide à la production cinématographique nationale du Centre cinématographique marocain (CCM).
Pour cette intellectuelle amoureuse du 7éme art, le cinéma est un art moderne, « qui n’est pas simplement un divertissement, mais surtout une source de réflexion ». Un objet esthétique capable d’élever le niveau culturel dans un pays, a-t-elle déclaré dans un entretien accordé à la MAP. Selon cette cinéphile vorace, « à l’heure où la littérature est en faillite, un film peut faire penser aussi loin et aussi fort qu’un livre”. La raison est simple, poursuit-elle, “personnellement, ma mère avait été interdite d’instruction par les femmes de sa famille et frappée sauvagement pour son désir d’apprendre la lecture avec son frère”.
“Cette dame d’une très grande intelligence a développé des réseaux et canaux dans son esprit qui lui permettaient de comprendre la trame et de suivre n’importe quel film, qu’il soit hindou, américain ou autrichien”, a-t-elle confié.
En réponse à la question sur le cinéma marocain, Rita considère qu’actuellement les scénarios sont plus diversifiés et mieux élaborés. “Maintenant entre l’écriture de scénarios et la réalisation du film, il y a un grand saut”, s’est-elle amusée à dire. Elle a expliqué qu’un cinéma de qualité ne porte aucune faiblesse, ni dans le scénario, ni dans la construction du film, ni dans les interprétations des acteurs, etc… C’est un ensemble qui va ravir car il contient du talent, voire même du génie”.
Spécialiste de Médecine du Travail (Bordeaux), de Médecine aéronautique (Paris), d’Anthropologie (Paris), médecin-psychiatre et psychanalyste, cette native de Rabat, actuellement installée à Casablanca, estime que la psychanalyse, domaine très complexe, permet une meilleure connaissance de soi, pour l’atteinte de “son optimum”.
Observatrice attentive de son temps, Rita El Khayat ne se considère pas une « féministe typique », mais plutôt une spécialiste du féminin. “J’étudie le féminin, je ne sors pas dans la rue pour brandir les pancartes, je suis une intellectuelle engagée et qui a engagé sa pensée dans la réflexion de tous ces phénomènes”, a-t-elle souligné.
Pour cette médecin de formation, Simone de Beauvoir a enrôlé l’évolution des femmes dans le monde entier à travers une révolution sociologique. Néanmoins, “l’Occident refuse toujours qu’une femme arabe aille plus loin que les Occidentales dans la pensée”, ajoute-elle. « Une Arabe n’a pas le droit de théoriser sur l’universel. Elle doit écrire des cartes postales, des livres qui racontent la sorcellerie, les filtres, la beauté de l’Orientale, etc. Ce que moi je ne fais pas et je ne veux pas faire”, ironise-t-elle.
“Certaines écrivaines maghrébines ou du Machrek se sont +orientalisées+ pour plaire (…), elles ont revêtu cet aspect oriental dans l’écrit et dans leur propos pour exister aux yeux des occidentaux”, a-t-elle martelé.
Revendiquant sa pensée à travers son intense production scientifique de 38 ouvrages et plus de 150 articles traduits dans plusieurs langues, notamment “La liaison”, “Le monde arabe au féminin”, « L’œil du Paon (poésie)”, en passant par “Les Arabes riches de Marbella”, “La femme artiste dans le monde arabe” et “Le livre des prénoms”, les œuvres de Rita El Khayat culminent dans un genre littéraire qui rend hommage à la pensée féminine. Être une femme fière et assumée me pousse à écrire sur le féminin, a-t-elle indiqué, signalant que son style d’écriture lui a valu quelques commentaires.”Je n’ai pas eu envie ni senti le besoin de rendre facile mon écriture, non pas par rébellion mais juste parce que je suis ainsi constituée”, dit-elle.
Concernant sa collaboration avec l’écrivain Abdelkébir Khatibi, dans “Correspondance ouverte”, Rita fait savoir que ce style épistolaire est une première dans le monde arabo-islamique, entre deux écrivains, femme et homme, unis par des liens purement intellectuels.
Certes, des lettres échangées entre “Al-ānissa May” et “Khalil Gibran” ont précédé, cependant elles ne correspondaient pas à une œuvre intellectuelle mais plutôt amoureuse, a-t-elle détaillé. Selon la psychanalyste, “Correspondance ouverte” a été traduite en Italie et aux Etats-Unis, dans l’attente d’une traduction arabe pour le Maroc, qui “serait une assise pour la densité littéraire marocaine et lui donnera une existence vis-à-vis du Machrek (Moyen-Orient). “Cette œuvre sera alors une particularité spécifiquement marocaine”. Sur sa célébrité en tant qu’intellectuelle, Rita El Khayat s’est ironiquement questionnée : “Cette gloire repose sur quoi ?”. Et de lancer “Mes ouvrages ne sont pas assez étudiés”.
A bout de souffle, mais toujours portée par sa passion, elle dévoile à la MAP que ses prochaines publications littéraires seront personnelles, notamment une œuvre sur sa mère, sur le cinéma et son journal.
Sofia El Aouni (MAP)