LA CHINE: DE LA ROUTE DE LA SOIE AU PARTENARIAT RÉGIONAL ÉCONOMIQUE GLOBAL.

Le 15 novembre dernier, quinze pays d’Asie et du Pacifique ont signé un accord de libre échange commercial qui porte l’intitulé du Partenariat Régional Économique Global (PREG) ou « Regional Comprehensive Economic Partnership » (RCEP). Les signataires sont les dix pays de l’ASEAN que sont les Philippines, l’Indonésie, la Malaisie, le Singapour, la Thaïlande, le Cambodge, le Viêtnam, Myanmar, Laos et la Birmanie. Quant au Japon, Corée du Sud, Australie et Nouvelle Zélande, ils ont également apporté leurs signatures à ce pacte qui transformera l’économie régionale pour les années à venir. L’Inde, qui a participé à toutes les réunions depuis le début, a laissé entendre qu’elle intègrera l’accord dès que les conditions de son économie le lui permettraient.

Ce nouveau marché qui sera effectif à partir de 2022, concernera plus de deux milliards de consommateurs, 30% du PIB mondial, et risque de faire basculer définitivement l’économie mondiale vers cette région. Pour créer ce marché, l’ossature a été d’abord les pays de l’ASEAN et les accords de libre-échange qu’ils avaient précédemment signés avec les cinq autres pays membres de ce nouveau partenariat. Le projet a été introduit lors de la 19conférence de l’Asean en novembre 2011 et les négociations ont débuté lors du 21e sommet des chefs d’Etat en novembre 2012. Il a fallu 31 cycles de négociation et 18 conférences sur huit années de négociation pour le faire aboutir.

De prime abord, cet accord vise à faciliter le commerce entre les économies des pays signataires en réduisant les tarifs douaniers, en encourageant les investissements par la création de hubs et des centres de distribution ainsi que des chaînes d’approvisionnements. Il inclut le commerce, les services, les investissements, les industries numériques, et la communication. Pendant ces dernières années, c’est l’Inde qui bloquait le parachèvement de cet accord en raison de l’impact de cette ouverture économique sur certaines de ses industries. Ce n’est qu’avec le retrait de New Delhi des négociations qu’il a été possible de finaliser cet accord qui a laissé cependant la porte ouverte à l’Inde pour y adhérer quand elle le jugera opportun.

En dehors de la Chine, le grand acteur de ce nouveau partenariat sont les dix pays de l’Asean qui ont fait de grands pas dans leur intégration économique. De cinq pays en 1967, ils sont devenus dix actuellement avec une population de 620 millions d’habitants et leurs économies se développent à un rythme soutenu. Le marché unique de cet ensemble est déjà effectif depuis 2015, et 70 % des flux de marchandises ne sont plus soumis aux tarifs douaniers. Malgré leurs différences de culture – certains pays ont reçu l’influence des colonisateurs britanniques, d’autres néerlandais ou espagnols- et des économies différentes voire concurrentes et peu complémentaires. La volonté politique de ses dirigeants a constitué un atout déterminant dans cette évolution. L’Asean a toujours pu afficher sa solidarité pour résoudre pacifiquement aussi bien les problèmes politiques que les obstacles économiques pour mener à bien son intégration.

Et c’est à l’aune de cette volonté politique d’abord, que les autres pays signataires, comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon, la Corée du Sud, se sont joints pour créer ce vaste marché économique. L’autre raison qui a poussé ces derniers à participer aux pourparlers, c’est de pouvoir être parmi les premiers initiateurs de ce projet pour en fixer les règles en fonction de leurs intérêts, au lieu de l’intégrer une fois les règles établies par les autres. En d’autres mots, ils ne voulaient pas laisser à la Chine le loisir de disposer à sa guise de l’ensemble de l’économie de la région. Mais sur le plan stratégique, c’est bien la Chine qui en sort gagnante, car elle pourra désormais mieux se positionner pour faire face aux Américains et étendre ainsi son influence sur cette partie du monde.

Dans leur politique pour contrecarrer la Chine, les Etats-Unis d’Amérique avaient déjà une longueur d’avance quand ils avaient lancé, sous Barack Obama, le partenariat transpacifique (TPP). Mais l’arrivée de Donald Trump a mis fin à cette ambition quand ce dernier l’a dénoncé trois jours après son arrivée au pouvoir, le 23 janvier 2017. La sortie américaine du multilatéralisme au niveau de cet accord transpacifique, comme de l’accord de Paris sur le climat, ou de l’accord nucléaire avec l’Iran, a plus isolé Washington de la communauté internationale que renforcer son leadership, ce qui a permis à Pékin de remplir facilement le vide ainsi créé en Asie. L’accord du partenariat global qu’avait lancé bien tard la Chine pour contrer le partenariat transpacifique (TPP) des Américains en 2012, a donc été conclu en 2020 au détriment des intérêts des Etats-Unis et de leurs alliés dans la région.

Sur un autre registre , il est intéressant de noter que le nouveau partenariat entre la Chine et l’Asie pacifique n’est que l’extension du projet de la route de la soie, (one belt one road), projet grandiose s’il en est, initié depuis quelques années par Pékin vers les pays européens entre autres. Ce dernier englobe 68 pays qui représentent 4,4 milliards d’habitants et 40% du PIB mondial. Les deux projets sont aussi structurants que complémentaires pour étendre et faciliter l’influence chinoise bien au-delà de ses frontières asiatiques. Ils démontrent par ailleurs, si besoin est, que Pékin suit une logique de puissance pour réconforter sa présence partout dans le monde, et que le multilatéralisme et le libre-échange, abandonnés par Washington, peuvent apporter l’espoir d’une prospérité réellement partagée.

Mais par la signature de ces deux accords, la Chine cherche surtout à se prémunir, en cas de fortes tensions avec les États-Unis, contre la menace que ferait peser la présence de la marine américaine dans les océans indien et pacifique sur ses exportations et ses approvisionnements en matières premières. Déjà en mer de Chine, les disputes sur certaines îles et la délimitation maritime avec les Philippines, le Vietnam, la Malaisie et Brunei ne sont toujours pas résolues.

Depuis l’établissement de l’Asean, la diplomatie chinoise a de tout temps été présente dans les réunions de cette organisation pour déjouer les diverses tentatives, orchestrées de l’intérieur comme de l’extérieur, pour condamner sa politique dans la sous-région. En signant ce partenariat régional, Pékin vient donc de marquer un pas important dans sa stratégie d’être un partenaire clé dans l’économie mondiale et de signifier par-là, aux autres puissances, que les guerres commerciales entre nations ne peuvent apporter une croissance soutenue dont l’humanité a tant besoin. L’arrivée d’une nouvelle équipe à la Maison-Blanche, sous la houlette du démocrate Joe Biden, apporterait peut être une réponse à l’offensive chinoise.

Ahmed Faouzi, chercheur en Relations internationales. Docteur en coopération internationale de Paris I Sorbonne et de Paris VII Jussieu Paris.