Par Mohamed KHOUKHCHANI

La célèbre phrase attribuée à tort au Maréchal Lyautey, mais qui revient en réalité à son successeur Théodore Steeg, exprime profondément la réalité marocaine : « Au Maroc, gouverner c’est pleuvoir. » L’eau a toujours été le principal déterminant de la stabilité socio-économique.
En 2025, alors que le pays entre dans une phase prolongée de stress hydrique, cette expression résonne plus fortement que jamais. Même avec les pluies tardives de novembre, la question demeure : le modèle de gouvernance actuel peut-il dépasser l’attente du ciel ?
Des pluies bienvenues… mais insuffisantes
Les récentes précipitations ont contribué à l’amélioration des pâturages, à la relance de certaines cultures et à l’allègement de la pression sur l’eau potable dans quelques zones. Cependant, le remplissage des barrages, qui ont atteint des niveaux critiques, nécessite des pluies abondantes, durables et régulièrement réparties géographiquement, ce qui n’est plus garanti dans le contexte du changement climatique.
Le dessalement: une solution nécessaire mais coûteuse
La stratégie nationale du Maroc vise à produire 1,7 milliard de mètres cubes par an d’eau dessalée d’ici 2030. Toutefois, le coût énergétique, économique et environnemental colossal lié à la construction et à l’exploitation des usines de dessalement en fait seulement une partie de la solution. Le dessalement est essentiel pour combler le déficit dans les villes côtières, mais il ne peut pas être l’unique réponse.
Le Troisième Robinet: le recyclage de l’eau comme pilier crucial
Le Royaume réalise aujourd’hui que la gouvernance hydrique moderne exige de « fermer la boucle de l’eau », comme le résume la citation inspirante du modèle singapourien : « Nous avons réussi à fermer la boucle de l’eau : recycler chaque goutte pour qu’elle serve à nouveau ». Au Maroc, la réutilisation des eaux usées traitées devient un pilier central de la politique de l’eau.
Efforts nationaux chiffrés
Le Maroc a lancé un programme national ambitieux pour le traitement des eaux usées avec une enveloppe budgétaire estimée à 56 milliards de dirhams (environ 5,6 milliards de dollars US) couvrant la période 2025-2034. Les principaux objectifs du programme comprennent :
● Raccordement aux réseaux d’assainissement : Atteindre 90 % des zones urbaines et 80 % des zones rurales.
● Volume traité et réutilisation : Planifier l’atteinte de 537 millions de mètres cubes par an d’eau traitée réutilisable d’ici 2040, contre 53 millions de mètres cubes en 2024.
● Situation actuelle : Le taux de traitement des eaux usées urbaines est actuellement d’environ 57,5 %.
Nizar Baraka, le Ministre de l’Équipement et de l’Eau, souligne que la réutilisation des eaux usées est une « ressource non conventionnelle » fondamentale pour alléger la pression sur les ressources hydriques traditionnelles.
Comme exemple de performance qualitative, il y a la Station M’zar à Agadir.
À Agadir, la station de traitement « M’zar » a prouvé que l’eau traitée peut atteindre une qualité compatible avec l’irrigation agricole, et qu’elle devient même riche en composés vitaux tels que le phosphore et les nitrates, réduisant ainsi le besoin d’utiliser des engrais chimiques dans les zones irriguées par cette eau.
Leçon de Singapour: Diversification et Rigueur
Le modèle singapourien est une source d’inspiration pour le Maroc, particulièrement dans un contexte de stress hydrique permanent. Singapour ne dépend pas d’une seule source, mais de ses « Quatre Fontaines Nationales » : l’eau de pluie, l’importation d’eau, le dessalement, et surtout, le recyclage des eaux usées via sa marque « NEWater ». Ce modèle repose sur trois étapes technologiques rigoureuses (microfiltration, osmose inverse, désinfection UV) pour produire une eau qui dépasse les normes de sécurité sanitaire mondiales.
L’adoption de cette orientation par le Maroc renforce sa résilience face à la sécheresse et confirme que l’innovation technologique est la clé de l’acceptation sociale de la réutilisation de l’eau.
L’équation cruciale: la réforme agricole
Alors que l’État s’efforce de diversifier les sources d’eau, l’agriculture reste le plus grand consommateur, utilisant environ 80 % de l’eau. La modernisation (goutte-à-goutte, amélioration des systèmes d’irrigation, réduction des pertes) pourrait permettre d’économiser entre 10 et 20 % de la consommation, soit plus de deux milliards de mètres cubes par an. Ce volume dépasse de loin ce que le dessalement peut fournir à court terme.
Leçon d’Atatürk: la modernisation commence par la terre
Après 1923, Mustafa Kemal Atatürk a fondé la renaissance de la Turquie sur deux piliers : la réforme de l’éducation et la modernisation de l’agriculture. Cette transformation a permis à la Turquie de passer d’une économie rurale fragile à une économie émergente et forte, basée sur l’autosuffisance et l’industrialisation.
Le Maroc peut-il emprunter la même voie?
Oui, c’est possible, à condition d’adopter une vision globale :
● Renforcer la formation des experts dans les domaines de l’ingénierie hydraulique et environnementale.
● Créer des fermes modèles basées sur des cultures à faible consommation d’eau (adéquation des cultures).
● Lier le dessalement et le recyclage aux énergies renouvelables pour réduire les coûts énergétiques et environnementaux.
● Améliorer la gouvernance de l’eau et renforcer les cadres réglementaires pour garantir la sécurité sanitaire et l’acceptation sociale de l’eau traitée.
Si gouverner était autrefois lié aux aléas climatiques et donc à la dépendance de la pluie, gouverner est aujourd’hui lié à la planification et à la gestion de l’eau, et à la réussite de la fermeture de son cycle. Le Maroc dispose désormais des outils et des stratégies nécessaires pour transformer la fragilité hydrique en une opportunité de modernisation historique, en s’inspirant d’expériences internationales réussies telles que la Turquie pour la modernisation agricole et Singapour pour la gestion des ressources non conventionnelles.
La gouvernance moderne de l’eau ne se limite pas à la production de nouvelles ressources ; elle concerne principalement le recyclage de tout ce qui peut être réutilisé, une voie qui place le Maroc sur la trajectoire d’un avenir hydrique plus résilient.





