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La guerre du Sahara et la question de la réparation : lecture juridique sur la souffrance des familles de martyrs, blessés et anciens prisonniers marocains

Par: Mohamed KHOUKHCHANI

Par: Mohamed KHOUKHCHANI

Le dossier des victimes de la guerre du Sahara — qu’il s’agisse de martyrs, de blessés ou d’anciens prisonniers — ne peut être traité comme un simple épisode historique ou un fragment de mémoire collective. Il s’agit d’un dossier juridico-humanitaire complexe, directement lié aux principes du droit international humanitaire, aux responsabilités des États, ainsi qu’aux droits des victimes et de leurs familles à la réparation, à la reconnaissance et à la justice.

Le droit à la vie, la protection des prisonniers, la dignité humaine, la responsabilité étatique, l’interdiction de la torture, le droit à la réparation : tous ces principes ne relèvent pas uniquement de la morale. Ils sont consacrés par les Conventions de Genève de 1949, par leurs protocoles additionnels, ainsi que par les règles du droit international coutumier.

  1. Statut juridique des victimes
  1. Martyrs et blessés.

L’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève impose un traitement humain des combattants blessés, sans discrimination, et la protection de leur intégrité physique et morale. L’article 15 de la Première Convention oblige les parties au conflit à rechercher les blessés et les morts et à les récupérer.

Or, avant l’édification du dispositif de défense, il était souvent impossible pour les unités marocaines de ramener les corps ou d’évacuer les blessés, ce qui a entraîné un double préjudice : violation de la dignité du combattant et traumatisme durable pour les familles privées de corps et de sépulture.

  1. Prisonniers de guerre

Des milliers de soldats marocains capturés et transférés à Tindouf, puis détenus à Rabouni, relèvent du statut de prisonniers de guerre au sens de la Troisième Convention de Genève (1949). Celle-ci stipule notamment :

  • l’interdiction de la torture physique ou psychique (art. 17)
  • l’interdiction du travail forcé dégradant (art. 49–52)
  • le droit à une alimentation et des soins adéquats (art. 26 et 30)
  • le droit à la correspondance et à la visite du CICR (art. 70)

Les témoignages des anciens prisonniers libérés révèlent toutefois des violations systématiques de ces dispositions : torture, faim, travaux forcés, traitements inhumains et détentions prolongées allant jusqu’à 30 ans. Ces violations constituent, au regard du droit pénal international, des crimes imprescriptibles assimilables aux crimes contre l’humanité.

  1. Responsabilités juridiques internationales
  1. Responsabilité de l’Algérie.

Selon le principe de « contrôle effectif » (Effective Control Rule), la responsabilité d’un État est engagée dès lors qu’il exerce une autorité réelle sur un groupe armé opérant sur son territoire, même s’il n’en revendique pas officiellement la tutelle. Ce principe a été confirmé par la Cour internationale de justice dans l’affaire Nicaragua c. États-Unis (1986).

Ainsi, le fait que les prisonniers marocains aient été détenus sur sol algérien engage directement la responsabilité internationale de l’Algérie, en tant qu’État hôte, soutien logistique, et superviseur des camps.

  1. Responsabilité des organisations internationales

Le silence prolongé des organisations onusiennes face aux violations des droits des prisonniers constitue lui-même une défaillance. Le CICR, seul organisme habilité à inspecter les lieux de détention, n’a pas été pleinement autorisé à exercer son mandat, en violation de l’esprit même des Conventions de Genève.

III. Droit à la réparation et au dédommagement

Selon les « Principes fondamentaux et directives des Nations unies concernant le droit à un recours et à réparation » (Résolution 60/147 de 2005), les victimes et leurs ayants droit bénéficient d’un droit incontestable à :

  1. une indemnisation financière.
  1. une réhabilitation médicale, psychologique et sociale.
  1. une reconnaissance officielle et symbolique du préjudice.
  1. des garanties de non-répétition.
  1. un droit à la vérité et à la mémoire.

Or, malgré la reconnaissance officielle des « martyrs de l’intégrité territoriale », le Maroc n’a pas encore mis en place un mécanisme national global et spécifique de réparation pour les familles des victimes de la guerre du Sahara — à l’image de l’expérience de l’IER (Instance Équité et Réconciliation) dans un autre contexte.

  1. Ce qu’impose aujourd’hui la justice.
  1. Création d’un dispositif national de réparation

– Base juridique claire

– Indemnisation durable des familles

– Prise en charge sanitaire et psychologique des survivants

  1. Action diplomatique et judiciaire internationale.

– Saisine de la CIJ ou de comités onusiens.

– Demande d’indemnisation contre l’État algérien.

  1. Intégration mémorielle dans le récit national.

– Enseignement officiel du dossier des prisonniers et martyrs.

– Création d’un mémorial national des victimes de la guerre du Sahara.

Conclusion.

La défense de l’intégrité territoriale est un devoir national. Mais la défense de la dignité de ceux qui ont sacrifié leur vie, leur santé ou leur liberté pour cette cause est un devoir moral et juridique tout aussi essentiel.

Il ne peut y avoir de souveraineté juste sans réparation.

Il ne peut y avoir de mémoire nationale solide sans vérité.

Il ne peut y avoir de fidélité aux martyrs sans justice pour leurs familles.

Le droit reste un droit, même lorsqu’il tarde à être appliqué.

La mémoire ne guérit que par la reconnaissance, la justice et le respect.

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