
Dans un article paru sur le site « focus mediterraneo », le politologue Marco BARATTO pointe l’instrumentalisation des « ambassadeurs de la paix » – programme italien calqué sur celui « vacances en paix » organisé en Espagne au profit des enfants de Tindouf- à des fins politiciennes. Il épingle également la cécité géopolitique du gouvernement Meloni qui, en pactisant avec le régime militaire algérien, s’est mis du mauvais côté de l’histoire… et de l’avenir.
Voici la traduction intégrale de cet article.
Par: Marco BARATTO

Cet été, les « Ambassadeurs de la paix » sont retournés en Toscane, en Émilie-Romagne et en Campanie : des groupes d’enfants des camps de réfugiés de Tindouf, en Algérie, accueillis par des familles italiennes et inscrits à des programmes d’été.
Cette initiative, calquée sur le programme espagnol « Vacances en paix », semble à première vue animée par de nobles intentions humanitaires, mais elle cache une dimension plus complexe, et surtout politique. L’éducation n’est pas, en réalité, le seul canal par lequel le « Polisario » déploie sa stratégie de propagande. Celle-ci se manifeste de multiples façons, notamment en utilisant les mineurs comme vecteur émotionnel pour susciter sympathie et consensus. Il s’agit d’un mécanisme éprouvé : exploiter la sensibilité naturelle de l’opinion publique européenne envers les enfants pour dissimuler, derrière une façade de solidarité, des messages et des objectifs purement politiques.
Le programme a été fondé en 1980, à l’initiative du « Polisario » et avec le soutien initial du Parti communiste espagnol (PCE). Il était alors présenté comme un projet de solidarité visant à améliorer les conditions de vie des enfants des camps de Tindouf en leur proposant un séjour dans des familles européennes, des soins médicaux et des activités éducatives. Au fil des ans, la nature de l’initiative a toutefois évolué. Tout en conservant son aspect humanitaire, le projet s’est progressivement politisé, se transformant en un moyen de promouvoir la cause séparatiste du « Polisario » et de lever des fonds.
L’hospitalité estivale est ainsi devenue une occasion de nouer des relations avec les gouvernements locaux, les associations et les mouvements politiques favorables à la cause sahraouie, gagnant ainsi en visibilité et en soutien institutionnel. La politique italienne n’est pas restée indifférente à cette forme de diplomatie « soft ». Au contraire, dans certaines régions, les positions restent ambiguës et incompatibles avec la position de l’Union européenne, qui reconnaît le Maroc comme interlocuteur privilégié sur la question du Sahara. La Toscane et l’Emilie-Romagne, en particulier, continuent d’accueillir des représentants de la « RASD » dans des enceintes officielles, avec le soutien d’hommes politiques locaux, souvent proches du centre-gauche.
Un événement marquant s’est produit en 2020 : Elly Schlein , alors vice-présidente de l’Émilie-Romagne et aujourd’hui secrétaire du Parti démocrate, a accueilli officiellement le représentant du « Polisario » en Italie. À cette occasion, Mme Schlein a souligné le « soutien concret » de la région, qui s’est traduit par un financement de 150 000 euros pour des projets de coopération avec les camps de Tindouf.
Il faut dire que la sympathie pour la cause sahraouie ne se limite pas à une seule faction politique. Même des membres de la majorité actuelle ont fait preuve d’ouverture envers le « Polisario » par le passé. Citons par exemple Giorgia Meloni, jeune députée, qui s’est rendue dans les camps de Tindouf en 2000 et a exprimé son soutien à la « cause ». En 2007, Meloni a également cosigné une motion parlementaire – présentée conjointement avec des forces de gauche – visant à reconnaître le statut diplomatique de la « RASD » en Italie. Ce passé, désormais inscrit dans l’histoire, témoigne de la manière dont la question du Sahara occidental a, au fil du temps, trouvé des soutiens dans de multiples sphères politiques.
Derrière les ambiguïtés de l’Italie se cache un fait : les relations économiques avec l’Algérie. L’amélioration de ses approvisionnements énergétiques ces dernières années, notamment après la crise du gaz russe, a poussé l’Italie à renforcer ses liens avec l’Algérie. Mais cette contrainte limite notre capacité à assumer une position méditerranéenne autonome et cohérente. Contrairement à la France et à l’Espagne, qui ont réorienté leur politique étrangère ces dernières années en se rapprochant du Maroc, l’Italie reste liée à un partenaire qui soutient ouvertement le « Polisario » et, par ses revenus énergétiques, contribue indirectement au financement de l’armée russe. Un paradoxe, sachant que notre pays compte parmi les plus fervents soutiens de l’Ukraine dans la guerre contre Moscou. Cette difficulté à développer une politique méditerranéenne véritablement autonome trouve son origine dans des choix stratégiques discutables. L’Italie, par exemple, a approuvé – sans en mesurer pleinement les conséquences – un changement de régime en Libye, un pays où, il y a quelques années encore, elle jouait un rôle économique et politique majeur. Il en résulte un désengagement forcé du théâtre libyen, avec perte d’influence et abandon d’espace à des puissances concurrentes. Parallèlement, le renforcement des liens avec l’Algérie a entraîné une dépendance énergétique qui limite notre liberté d’action.
Le retour des « Ambassadeurs de la paix » dans nos régions est donc un phénomène qui mérite d’être observé attentivement. Il ne s’agit pas de remettre en question la bonne foi des familles d’accueil ni l’importance de la solidarité internationale, mais de reconnaître que ces initiatives peuvent s’inscrire dans un programme politique plus large, exploitant le pouvoir émotionnel pour gagner en légitimité et en ressources. Dans un contexte international complexe, où les alliances et les priorités stratégiques doivent être claires, continuer à soutenir – directement ou indirectement – le « Polisario » risque d’exposer l’Italie à des contradictions difficiles à justifier. Pour sortir de cette impasse, nous devons avoir le courage de repenser nos relations en Méditerranée. Cela implique de réduire la dépendance à l’égard de l’Algérie, de diversifier les sources d’énergie et de réaligner la politique étrangère italienne sur ses intérêts stratégiques à long terme, en harmonie avec nos partenaires européens et atlantiques.
La leçon que la France et l’Espagne semblent avoir retenue est claire : en Méditerranée, les alliances se construisent sur la stabilité et la coopération économique, et non sur des relations qui risquent d’alimenter des conflits chroniques. L’Italie, quant à elle, semble encore attachée à une approche dépassée, où les contraintes historiques et les intérêts contingents priment sur la vision stratégique. En définitive, l’enjeu n’est pas seulement celui des « Ambassadeurs de la Paix » et de leur portée symbolique, mais celui de la capacité de notre pays à interpréter les équilibres géopolitiques sans se laisser emporter par des logiques partisanes ou des sentiments qui, bien que compréhensibles, ne peuvent remplacer une politique méditerranéenne véritablement libre et indépendante.





