« Pourquoi l’accord de 2015, toujours en cours d’application, n’a-t-il pas ramené « la paix et la réconciliation au Mali », comme le promettait son intitulé ? » », s’interroge Nicolas Normand, ancien ambassadeur de France au Mali, dans une tribune publiée dans le journal « Le Monde ».
« Est-ce le résultat d’une inadéquation profonde entre les méthodes militaires et l’aide apportée? La gouvernance locale est-elle en cause ? Ou est-ce l’accord lui-même qui pose problème ? », se demande-t-il encore?
« L’idée reçue est qu’une application plus volontariste, par Bamako, du compromis signé en 2015 améliorerait grandement la situation. C’est même devenu une idée fixe de la diplomatie française et onusienne, d’autant que sa mise en œuvre accuse de nombreux retards. Pourtant, il devient de plus en plus évident, comme nous allons le préciser, que l’accord crée plus de problèmes qu’il n’en a réglés », constate le diplomate français.
« Syndicalisme de la Kalachnikov »
Et pour cause, « le texte prévoit que les groupes armés signataires, placés au même niveau que le gouvernement, bénéficient d’une impunité totale, malgré leur rebellion et les exactions commises ». « L’impunité s’est également doublée d’avantages divers, et notamment la nomination à des postes de dirigeants et à des promesses d’intégration dans la fonction publique. Ce « syndicalisme de la kalachnikov » a fait des jaloux. Peuls et Songhaï, majoritaires, ont compris qu’ils avaient tout intérêt à prendre les armes pour obtenir des gratifications dans une région de chômage de masse », explique le diplomate français.
Et ce n’est pas tout.
« Un autre facteur a considérablement alimenté l’insécurité : le désarmement différé des groupes signataires. Prévu comme l’aboutissement final d’un interminable marchandage, il a favorisé l’apparition, au nom de l’autodéfense, de nombreuses milices tribales ou ethniques, en plus des milices touareg. Certaines se sont rapprochées des djihadistes pour se procurer des armes, d’autres simplement pour se protéger et parce que des raisons de solidarité communautaire pèsent plus que la distinction occidentale « laïcs-djihadistes », pointe l’auteur du « Grand Livre de l’Afrique », (Eyrolles, 2019).
« Le compromis de 2015 a accordé des faveurs majeures aux leaders de groupes rebelles dont la seule légitimité est la détention d’armes », relève-t-il encore.
Quand Paris et Alger encouragent les séparatistes…
La responsabilité de la France dans ce qu’il se passe au Mali est également pointée par l’ancien ambassadeur de Paris à Bamako. « L’opération «Serval», qui cherchait des alliés sur le terrain en 2013 pour combattre les djihadistes, s’est appuyée sur la milice des Ifoghas. En soutenant ainsi les séparatistes armés et en leur offrant même la ville de Kidal, au grand dam de Bamako, les Français ont commis une erreur lourde de conséquences et suscité l’indignation des populations maliennes qui suspectent désormais Paris de favoriser la partition du Mali. L’occasion a été manquée par la France en 2013 de désarmer ou de neutraliser tous les groupes armés sans distinction pour faire respecter le monopole de la force par un Etat démocratique », explique Nicolas Normand.
Idem pour Alger, dont « le pari était d’ignorer les groupes djihadistes, espérant les marginaliser, et de considérer les seuls séparatistes comme des interlocuteurs politiques », relève-t-il encore.
Et de conclure: « Il est donc urgent de réviser l’accord signé en 2015 en redonnant la primauté à l’Etat, en associant les diverses composantes de la nation malienne ».