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Firas Al-Sawah : Un Pont Culturel entre le Monde Arabe et la Chine (Par: Chakib HALLAK)

Par: Chakib HALLAK*

Firas Al-Sawah, l’auteur du livre «La première aventure de l’esprit», est un intellectuel et écrivain syrien connu pour ses travaux en mythologie, histoire des religions et philosophie, notamment dans le contexte de la pensée antique et des civilisations orientales. Bien qu’il ait surtout exploré les mythologies mésopotamienne, syrienne, cananéenne et les origines religieuses, il n’est pas principalement connu pour ses études approfondies sur la philosophie chinoise. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de consacrer cet article à ses réflexions dans ce domaine.

La rencontre de Firas Al-Sawah avec la Chine remonte à sa jeunesse, lorsqu’il découvre la philosophie chinoise à travers un ouvrage intitulé « The Wisdom of China ». Cette lecture a éveillé en lui un intérêt saisissant pour la culture et la pensée chinoises, et plus particulièrement pour le Taoïsme. Il initie alors un projet de traduction du «Tao Te Ching » de Lao Tseu en langue arabe. Cette œuvre est perçue comme une référence en matière de sagesse intemporelle, applicable aussi bien à la gestion sociale qu’à l’épanouissement personnel:

«Mon histoire avec la pensée chinoise, déclare Al-Sawah, remonte à 1961, lorsque j’ai lu un livre traduit de l’anglais intitulé « The Wisdom of China » (La sagesse de la Chine). Ce livre m’a fait découvrir une nouvelle pensée philosophique que nous ne connaissions pas dans nos lectures de la philosophie grecque et arabe, une pensée indépendante dans son style, ses prémisses et ses objectifs. Ce qui la distinguait le plus à mes yeux était son absence de métaphysique et son accent sur la société, l’éthique, les relations humaines et la politique ; il s’agit d’une pensée existentialiste au sens général du terme, qui commence et se termine par l’être humain.» (Source: « Chapitres de la philosophie chinoise »)

La religion et la philosophie

Dans son analyse, Al-Sawah souligne que le rôle de la philosophie dans la culture chinoise est similaire à celui de la religion dans les cultures européennes et du Moyen-Orient. À titre d’illustration, il est pertinent de mentionner sa description de l’éducation des enfants en Chine et dans le monde arabo-musulman:

« Si les versets du Coran, explique-t-il, sont la première chose que les élèves musulmans apprennent après l’alphabet, la philosophie est la première chose que les élèves chinois apprennent après les caractères chinois, et les quatre livres de Confucius sont les premiers cours qui leur sont remis. Si l’élève musulman apprend à réciter les versets du Coran après avoir appris à les lire, les élèves chinois disposaient également d’un livret de récitation composé de phrases sélectionnées dans les livres confucéens, chacune composée de trois symboles scripturaux choisis de telle sorte que leur lecture crée un rythme musical qui favorise la mémorisation. Si la première phrase du Coran se lit comme suit : «Louange à Dieu, Seigneur des mondes», la phrase d’ouverture du livret chinois de psalmodie est la suivante: «La nature originelle de l’homme est bonne». En d’autres termes, la première phrase de l’enseignement islamique place le lecteur au centre de la religion. La phrase d’introduction de l’enseignement chinois, en revanche, place le lecteur au centre de la philosophie.»

Al-Sawah et Lao Tseu

Al-Sawah, dans sa volonté de diffuser la pensée taoïste au lectorat arabe, s’est attelé à la traduction du «Tao Te Ching», l’œuvre majeure du taoïsme, attribuée à Lao Tseu, un érudit qui aurait vécu au VIe siècle avant Jésus-Christ.

«En 1998, déclare-t-il, j’ai finalisé ma traduction du Tao Te Ching. Cette traduction s’appuie sur quatre références internationales faisant autorité, et inclut une introduction détaillée sur l’histoire de la sagesse chinoise, ainsi que des commentaires qui représentent presque la moitié de l’ouvrage.» (Source: « Chapitres de la philosophie chinoise »)

Il est important de noter que l’emploi du terme « traduction » pourrait ne pas correspondre à la portée exacte de l’œuvre en question. La démarche d’Al-Sawah ne répond pas aux critères de qualité d’une traduction professionnelle, tels que définis par les normes en vigueur. Il procède à la lecture du texte dans plusieurs traductions, puis le reproduit fidèlement. A ce sujet, il déclare:

« Je ne me charge pas de la traduction du texte chinois. Je le reproduis en langue arabe » (…) « Je mets entre les mains du lecteur arabe un texte que Lao Tseu ou Confucius aurait pu écrire s’il avait écrit en langue arabe. » (Ibid)

Le livre a retenu l’attention de Xue Qingguo, expert en langue et culture arabes et doyen de la faculté d’études arabes de l’université d’études étrangères de Pékin, qui se trouvait à Damas à l’époque. À son retour à Pékin, il a pris contact avec Al-Sawah pour lui faire part de son admiration pour son travail et de son souhait de le voir publié par la maison d’édition des langues étrangères de Pékin. Al-Sawah a donné son accord:

«Nous avons ensuite procédé à la révision via Internet et nous nous sommes rencontrés pour la première fois à Damas, et une deuxième fois à Pékin lorsque j’ai participé au symposium sur le dialogue culturel arabo-chinois, organisé par l’Université des études internationales de Pékin, et nos efforts ont porté leurs fruits en apportant des modifications non substantielles au texte arabe. Le livre a été publié en 2009 sous le titre « Lao Tseu ».» (Ibid)

Le séjour en Chine

En 2012, alors que la guerre civile syrienne s’intensifiait, Xue Qingguo a proposé à Al-Sawah un poste à l’Université des études étrangères de Pékin, lui offrant un environnement paisible pour poursuivre ses recherches. Al-Sawah a répondu positivement à l’invitation qui lui a été adressée et a procédé à son déménagement vers la République populaire de Chine.

« Le Dr Xue Qingguo m’a téléphoné pour me dire qu’il y avait un poste vacant à la faculté et qu’il souhaitait que je l’occupe. J’ai accepté et je suis resté à Pékin pendant six ans, au cours desquels j’ai enseigné l’histoire de l’arabe aux étudiants de premier cycle en langue arabe, l’histoire des religions du Moyen-Orient, et l’islam et le Coran aux étudiants des cycles supérieurs .» (Ibid)

Collaboration entre Firas Al-Sawah et Xue Qingguo

La révision croisée du «Tao Te Ching» en langue arabe, enrichie par la comparaison directe avec le texte chinois, a abouti à un projet d’envergure conjointement initié par Firas Al-Sawah et Xue Qingguo: la traduction du Livre de Confucius et du Livre de Mencius. Firas Al-Sawah a réuni les deux textes en un seul livre, publié chez Dar Al-Takween. Le livre s’intitule «Chapitres de la philosophie chinoise». Il est disponible gratuitement en ligne via la fondation Hindawi.

Conclusion

En somme, Firas al-Sawah témoigne d’une profonde admiration pour la philosophie chinoise, en particulier pour le taoïsme, qu’il considère comme une source précieuse de sagesse pratique et d’harmonie. Par ses traductions et ses analyses, Al-Sawah offre aux lecteurs arabes la possibilité d’accéder directement aux textes classiques de la philosophie chinoise, sans avoir à recourir à l’intermédiaire de spécialistes occidentaux. Il ouvre également un espace de dialogue fécond entre les traditions philosophiques arabe-islamique et chinoise, invitant à dépasser les différences culturelles pour enrichir mutuellement la compréhension de la condition humaine. Son approche souligne l’importance d’une lecture attentive et respectueuse des philosophies étrangères, afin d’en extraire des enseignements pertinents pour relever les défis contemporains.

*Enseignant-chercheur à Paris

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