
Par: Mohammed El Qandil*
Je me tourne vers toi Alberto ce soir ! La nuit bat son plein.
C’est la saison des récoltes. Des visages qui trompent les miroirs et s’en vont chercher les sosies de l’exil intérieur. C’est la saison où toute chose prend des mots la signification à venir. Sachant voir, nous sommes vus. Nous sommes d’un commerce unique et silencieux.
Le choix des mots, excusez l’irruption obscure, sera assez arbitraire. Il le sera d’autant plus qu’il saura empourprer le ciel. Vaquer au besoin d’une expression qui sied à tes créatures.
Au seuil, je me tiens devant ce qui m’attire. Je me place dans cette position de celui qui contemple, interloqué, le geste salvateur. Le regard part chercher ses armes. Inviter des sensations qui mesurent le temps et dilatent l’espace. Le regard prie celui qui le dérange : il n’est d’autre possibilité de s’approcher de l’œuvre d’art qu’en l’aimant. Qu’en la prenant entre les bras du désir et la fraîcheur de l’étonnement premier.
La rencontre avec l’œuvre est une fête à souhaiter ou à craindre !
Au seuil, viennent, donc, à ma rencontre ces créatures qui surprennent. Choquent. Ou figent. Des femmes, hommes, chien… ou autres. Des êtres qui semblent venir d’une autre dimension : Maigres, étirés, habitant des lignes irrégulières… Elles ne sont pas faites pour plaire, faire l’objet d’un snobisme béat. Elles ne sont pas là pour répondre aux friands des sensations à l’emporte-pièce.
Faites de bronze- matière qui retrouve sa noblesse et sa force expressive, livrée aux soins de tes mains bénies- voici qu’elles s’emploient à interroger le spectateur. Une distance, alors, sépare celui qui voit avec ce qui est vu. L’invite à s’appliquer face à un déploiement inégal de la matière. Un investissement assez ambigu de l’espace, le pliant à loisir. Comme s’il est interpellé par une force infuse, souterraine. Mystérieuse.
Au seuil, toujours, se dressent ces êtres qui marchent, qui s’inscrivent dans un mouvement qui semble illimité, allant découvrir ce qui leur manque. Ce qui attire leur être dans une patience qui entoure les pas et fait d’eux les vassaux du temps. Ils ne sont pas là pour protester, crier leur fragilité, leur attachement irrésistible à la terre qui les retient. Encore moins dire toute la nostalgie des racines qui les interpellent sans fard ni clinquant. Non. Ils sont là pour retrouver des visages qui ressemblent à l’ombre de ce qu’ils sont, étant des êtres voués à la mort qui leur appartient.
Dans « L’atelier de Giacometti », Genet a su reconnaitre ce que nul autre n’a pu voir dans ces œuvres d’une grandeur insoupçonnable. Alberto, nous dit-il, faisant de l’anarchie et du marginal son point de mire, ne parle pas aux vivants. Il s’adresse aux morts. A cette source indéfectible qui nous façonnent à notre insu. Rendant ainsi nos blessures belles et insaisissables.
*Poète, chercheur en littérature et arts plastiques /Inspecteur pédagogique