Vous avez dit « Londonistan » ? (Par: Marco Baratto)

Dans un article paru le 2 mars sur le site « focusmediterraneo », Marco BARATTO, auteur du livre « Le Défi de l’Islam en Italie », démonte les ressorts de l’islamophobie qui fait tache d’huile en Europe. En voici la traduction… 

Par: Marco BARATTO ★

Ces dernières années, de nombreux programmes télévisés et hommes politiques en Europe ont alimenté les craintes à l’égard de l’Islam, en mettant l’accent en particulier sur la charia et sur la possibilité que la loi religieuse musulmane puisse avoir des implications civiles dans les pays occidentaux.

On parle souvent, sur un ton alarmiste, du «Londonistan» et de l’influence des tribunaux islamiques en matière civile, suggérant que le système juridique occidental est menacé par ces évolutions. Or, ce qui est souvent volontairement ignoré dans le débat public, c’est qu’un système similaire existe en Italie depuis 1929 et continue d’être appliqué sans susciter de controverse particulière. Le concept clé dans ce contexte est celui de «delibazione», une procédure judiciaire par laquelle une disposition émise par une autorité judiciaire étrangère ou un tribunal religieux peut acquérir une efficacité juridique dans l’État italien.

Ce mécanisme concerne également les peines ecclésiastiques de nullité matrimoniale prononcées par les tribunaux canoniques de l’Église catholique. Ce système a été institué par le Concordat du Latran de 1929 et ultérieurement mis à jour par l’Accord entre l’État italien et l’Église catholique du 18 février 1984. Ce règlement établit que la sentence ecclésiastique de nullité d’un mariage concordatoire (c’est-à-dire célébré selon le rite catholique et transcrit à des fins civiles) peut obtenir une efficacité juridique en Italie sur demande d’une ou des deux parties, à la Cour d’appel territorialement compétente.

La compétence territoriale est déterminée en fonction de la municipalité où le mariage a été transcrit. Cette procédure n’a pas été abolie même avec la réforme du droit international privé, intervenue avec la loi n° 218 de 1995. En effet, la reconnaissance des sentences ecclésiastiques de nullité matrimoniale continue d’être une pratique consolidée dans notre système juridique. Son effet est d’annuler rétroactivement les effets civils du mariage à compter de sa célébration, laissant toutefois inchangés les rapports de filiation et les obligations juridiques qui y sont liées.

De cette façon, il n’est pas nécessaire de demander le divorce si la nullité du mariage a été reconnue, à moins que le divorce n’ait déjà été prononcé. Si le divorce a déjà eu lieu, ses effets patrimoniaux et personnels demeurent valables et efficaces. La contradiction évidente réside dans le fait que, tandis que la possibilité de reconnaître des effets civils aux sentences des tribunaux religieux catholiques est acceptée et appliquée sans provoquer d’alarme, l’idée qu’un système similaire pourrait être accordé à d’autres confessions religieuses est au contraire utilisée comme un outil de propagande politique.

La droite, en particulier, exploite la peur de l’islam pour obtenir un consensus électoral, en évoquant des scénarios catastrophes liés à la charia et à l’influence de la loi islamique sur la société italienne. En même temps, la gauche évite de soulever la question, car son électorat est constitué des mêmes personnes qui votent à droite, c’est-à-dire des personnes qui s’effraient facilement sans approfondir la question. Ainsi, même la gauche ne défend pas réellement les immigrés. Si la droite comprenait que les immigrés sont en grande majorité conservateurs, peut-être cesserait-elle de s’accrocher à ces messages.

Cette instrumentalisation politique conduit à un débat public très déformé, où la question de la reconnaissance des peines religieuses est abordée de manière sélective et idéologique. D’un côté, l’ingérence du droit canon dans les affaires civiles est acceptée sans réserve, de l’autre, la possibilité que d’autres religions puissent bénéficier d’un traitement similaire est diabolisée. En réalité, la question devrait être abordée avec plus de cohérence et d’impartialité, en analysant les principes juridiques qui sous-tendent l’évaluation sans se laisser influencer par des préjugés ou une instrumentalisation politique.

La reconnaissance des décisions des tribunaux religieux, dans le respect des lois nationales, est une pratique bien établie dans de nombreux pays démocratiques et peut être gérée de manière équilibrée sans compromettre les principes fondamentaux de l’État de droit.

Le débat sur l’islam et la charia devrait donc être abordé avec une plus grande honnêteté intellectuelle, en évitant d’alimenter des peurs irrationnelles et en se concentrant plutôt sur les véritables problèmes d’intégration et de coexistence entre différentes traditions juridiques et culturelles. Si l’Italie accepte depuis près d’un siècle la validité des sentences ecclésiastiques dans les procédures civiles, il faut alors se demander quelles sont les véritables raisons pour lesquelles la même possibilité est refusée aux autres confessions religieuses, au lieu de surfer sur la vague de la peur à des fins politiques.