Ramadan, mois de la repentance ou de l’abondance?

Paris: Zakia Laaroussi

 

« Que Dieu ait pitié du temps où Ramadan était le véritable Ramadan.. Hélas ! ». Telle est la phrase souvent répétée par les aînés, empreinte de mélancolie, comme s’ils pleuraient la perte d’un mois qui n’est plus ce qu’il était. Où est passée la simplicité des tables ? Où est la solidarité et la sérénité ? Où sont les cœurs qui tremblaient et les âmes qui se purifiaient ? Aujourd’hui, il n’est plus question que de la consommation effrénée, comme si Ramadan était devenu une saison d’abondance plutôt que de sacralisation !

Autrefois, la faim était partagée, les vivres étaient communs, et les gens échangeaient des plats de bienfaisance de maison en maison, incarnant ainsi le véritable sens du jeûne : se détacher des biens mondains et réconforter les démunis. Mais aujourd’hui, le voisin a oublié son voisin, les affamés implorent Dieu pour leur salut, tandis que les tables débordent, s’emplissent à tel point qu’elles pourraient nourrir un village entier, tandis que les ventres se saturent… Mais où est donc le voisin ? Ce voisin « qu’Allah remplace », comme le disent nos frères égyptiens, qui se pourrait bien qu’il ne trouve rien pour apaiser sa faim, alors que des sacs de stockage s’entassent dans les foyers comme si les marchés allaient fermer leurs portes à jamais !

Avons-nous donc oublié que Ramadan est le mois du jeûne, et non celui de la suralimentation ? Le Prophète (paix et bénédictions sur lui) n’a-t-il pas dit : « Le fils d’Adam n’a jamais rempli un récipient plus mauvais que son ventre » ? Et pourtant, ô ironie, nous avons transformé ce mois censé nous rapprocher de la terre en une période dédiée à l’indigestion. « Mange et sers ton voisin », disent certains.

Aujourd’hui, nous voyons l’Iftar se transformer en un étalage de plats gargantuesques, comme si chacun cherchait à se venger de ce qu’il a perdu durant la journée. Des pâtisseries fourrées de mille variétés de crèmes, des boissons sucrées à l’excès, des tables débordant de mets suffisants pour nourrir dix familles. Et après cela, des plaintes de ballonnements et de dyspepsie, comme si nous ignorions que l’estomac a ses limites ! Si la faim durant le jour nous permet de ressentir la souffrance des pauvres, la voracité nocturne efface-t-elle leur peine ? « Celui qui ne se rassasie pas le jour ne se rassasiera pas la nuit », disent certains. Et la compensation des heures de jeûne par un festin empli de mets en abondance ne restaurent en rien la spiritualité de ce mois. Ramadan, qui était jadis une école de patience, est désormais un examen de la capacité de l’estomac à résister !

Ce n’est pas seulement la nourriture qui a franchi ses limites, mais même l’habillement est devenu un spectacle. Quant aux femmes, il n’est plus besoin d’en dire davantage ! Leur souci ne se limite plus à « Que vais-je manger aujourd’hui ? », mais a transcendé cette question pour devenir: « Que vais-je porter lors du dîner somptueux ce soir ? ». Voici le caftan pour la 15e nuit, voici la djellaba pour la 27e, voici les chaussures de l’Aïd qui ne seront portées qu’une fois, comme si le mois de la repentance était devenu une saison des modes ! Autrefois, les gens portaient des vêtements neufs pour l’Aïd, mais sans ostentation, et économisaient leur argent pour la charité, plutôt que de le dépenser dans un « look » exubérant pour une seule nuit. Aujourd’hui, les apparences dictent la norme, et il semble que celui qui ne change pas d’habit chaque nuit de Ramadan ait manqué à l’essence même du jeûne ! Certains ont oublié que « le suaire n’a pas de poches »… Pourquoi donc tant de luxe ?

Le concept du « fish » s’est tellement étendu qu’il ne se limite plus aux aliments et aux vêtements, mais s’est désormais transformé en une démonstration de bijoux : « Combien de grammes d’or sont nécessaires pour accompagner ce caftan ce soir ? », et tout ce qui peut être exposé sur Instagram ! Est-ce une ignorance démesurée, ou une culture de la consommation minutieusement orchestrée ? Dans l’agitation des plats accumulés, des vêtements constamment renouvelés, de la course au doré et aux accessoires, certains ont oublié, cher lecteur, que Ramadan est un mois de test, non de spectacle ; un mois de dépouillement, non de vanité. C’est une occasion annuelle pour semer le bien et récolter la proximité avec Dieu, et non un simple événement commercial.

Félicitations à ceux qui ont su faire de ce mois un temps de repentance et de dévotion, et malheur à ceux qui en ont fait une fête des désirs et du gaspillage ! « Celui qui ne sème pas le bien récolte le regret. »

Retournons, cher lecteur, à l’essence même de Ramadan, et laissons de côté tout ce qui en dénature l’esprit, avant qu’il ne soit trop tard, et que nous nous surprenions un jour à dire, comme nos mères : « Il était une fois le Ramadan… Hélas ! »