Paris- correspondance de Zakia Laaroussi: L’Église et le célibat

Paris- Zakia Laâroussi

Depuis l’aube des temps, le rapport entre l’âme et le corps s’est imposé comme un théâtre de lutte intérieure, où l’homme se heurte aux paradoxes de sa propre nature. Ce conflit intime ne s’est pas limité à l’individu ; il s’est inscrit au cœur des civilisations et des institutions religieuses qui, tour à tour, ont tenté d’élever, dompter ou réprimer l’humanité dans ses élans les plus profonds. Parmi elles, l’Église catholique offre un exemple édifiant de cette quête du contrôle par l’imposition du célibat clérical, transformant une démarche spirituelle en instrument de pouvoir.

Pour saisir les racines de ce phénomène, il est nécessaire de remonter aux origines de l’histoire et de plonger dans les contextes symboliques qui l’ont façonné. Le mariage du Christ et la décision d’un pape d’instaurer le célibat comme règle intangible sont autant d’épisodes qui ont redéfini le visage de l’Église au fil des siècles.

La question est alors la suivante : la problématique réside-t-elle dans les règles imposées par l’institution ou dans la responsabilité de ceux qui les acceptent, en toute conscience, au moment de leur engagement ? Ou peut-être la vérité se situe-t-elle dans un entrelacement de responsabilités partagées ?

Dans son œuvre «Les Prairies d’or», Al-Mas‘ûdî souligne combien les autres créatures vivent en parfaite harmonie avec leurs instincts, là où l’homme se retrouve écartelé entre les appels du corps et les aspirations de l’âme. Les religions, en cherchant à encadrer ce tiraillement, ont parfois créé des tensions profondes. Le catholicisme, en érigeant le renoncement au corps en condition de sainteté, a incarné l’un des visages les plus frappants de cette contradiction.

Mais l’Histoire enseigne que ce choix n’a pas été uniquement motivé par une vision spirituelle. Derrière la décision du pape Grégoire VII, au XIe siècle, d’imposer le célibat aux prêtres, se dissimulaient des considérations politiques et économiques. Le but était de préserver les biens de l’Église des revendications des héritiers et d’assurer la fidélité exclusive des clercs à l’institution. Cependant, une telle mesure négligeait une réalité inaltérable : les prêtres restent des hommes, porteurs de pulsions qu’aucune règle ne peut étouffer sans conséquences.

Il est certes vrai que nul ne pénètre dans la prêtrise sans savoir ce qui l’attend. Le célibat n’est ni un secret ni une surprise ; il s’agit d’une condition claire et explicite. En ce sens, les religieux assument une part de la responsabilité lorsqu’ils choisissent, en toute lucidité, d’embrasser cette voie. Mais pourquoi, alors, persistent-ils à emprunter ce chemin semé d’obstacles ?

Parfois, ce choix est dicté par la pression sociale ou familiale. D’autres fois, il résulte d’une aspiration idéalisée à la pureté spirituelle, une volonté sincère de servir Dieu par un renoncement total au monde matériel. Certains croient pouvoir dominer leurs désirs ; ils découvrent souvent, trop tard, que le combat est plus ardu qu’ils ne l’avaient imaginé.

Cependant, même cette lucidité initiale n’exonère pas l’institution de sa propre responsabilité. Car imposer un cadre aussi rigide, en décalage flagrant avec la nature humaine, revient à soumettre l’homme à une tension permanente, presque inhumaine.

Un rapport français de 2021 a révélé des milliers d’abus sexuels perpétrés par des membres du clergé catholique. Ces actes ne sont pas de simples déviances individuelles ; ils témoignent d’un système qui place les prêtres dans une confrontation injuste et déséquilibrée avec leurs propres besoins. Comme l’a expliqué Freud, la répression des désirs ne les annihile pas ; elle les pousse à resurgir de manière souvent destructrice.

En revanche, les civilisations qui ont su reconnaître les besoins intrinsèques de l’homme et proposer des solutions équilibrées ont réussi à instaurer une harmonie durable entre l’âme et le corps. L’islam, par exemple, valorise le mariage comme une voie d’accomplissement spirituel. L’imam Al-Ghazali, dans sa sagesse, a souligné que l’union conjugale n’est pas uniquement une réponse aux besoins physiques, mais une étape essentielle dans l’élévation spirituelle de l’être humain.

L’Église catholique doit, elle aussi, assumer une part importante de responsabilité. Le célibat obligatoire n’a jamais été une règle immuable du christianisme. Certains historiens avancent même que le Christ aurait mené une vie équilibrée, conciliant l’âme et le corps. Pourquoi donc l’Église s’entête-t-elle à maintenir un idéal souvent inaccessible ?

La nature nous enseigne une leçon évidente : l’harmonie entre l’instinct et la responsabilité est la clé de la pérennité. Si les autres créatures vivent en accord avec leurs instincts, pourquoi l’homme persiste-t-il à se créer des prisons intérieures ? La foi véritable n’est pas le déni du corps, mais l’acceptation sereine de son humanité, dans toute sa complexité.

Si l’Église veut répondre à ce défi, elle doit avoir le courage de revoir sa vision du célibat. Permettre aux prêtres de se marier ne ternira en rien leur sainteté ; au contraire, cela pourrait leur offrir l’équilibre nécessaire pour mieux servir leur mission spirituelle.

Mais ce changement demande de l’audace. Il exige une reconnaissance humble que certaines règles, bien qu’ancrées dans l’histoire, ne correspondent plus à la réalité contemporaine. Les prêtres doivent admettre que la sainteté n’est pas synonyme d’abnégation totale, et l’Église doit trouver la sagesse de revoir ses politiques.

Le combat entre l’âme et le corps n’est pas une fatalité. Il est le fruit de choix humains, et ces choix peuvent être réévalués. L’homme n’est ni une bête gouvernée par ses instincts, ni un ange en dehors de la chair. Il est un être complexe, en quête perpétuelle de cet équilibre fragile mais essentiel.

Si l’Église aspire à redevenir une source de paix intérieure, elle doit apprendre à embrasser cette complexité et à s’inspirer des leçons que la nature et d’autres traditions offrent généreusement. C’est ainsi, et ainsi seulement, qu’elle pourra redéfinir une spiritualité authentique, où l’âme et le corps cessent de s’affronter pour enfin se réconcilier.
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