Mohammed V : un souverain contre les lois antisémites de Vichy (Par: Marco Baratto)

Dans une tribune parue dans le média italien « focusmediterraneo », le politologue Marco Baratto a rendu un fervent hommage à feu SM Mohammed V pour son courage exemplaire dans la défense des Marocains de confession juive contre la politique antisémite du gouvernement de Vichy. Il a bien voulu partager ce coup de cœur dans les colonnes de lecollimateur.ma. En voici la traduction. 

Par: Marco BARATTO ★

Mohammed V, sultan du Maroc à partir de 1927 puis Roi à partir de 1957, fut une figure clé de la résistance morale contre les lois antijuives imposées par le régime de Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale. Son rôle ne fut pas seulement symbolique, mais actif et décisif dans la protection de la communauté juive marocaine des persécutions nazies et des mesures discriminatoires mises en œuvre par le gouvernement collaborationniste français.

En 1940, la France tombe sous occupation allemande et le maréchal Philippe Pétain instaure le régime de Vichy, qui adopte une série de lois raciales visant à discriminer la population juive. Ces lois, similaires à celles promulguées en Allemagne avec les lois de Nuremberg, prévoyaient la révocation de la citoyenneté des Juifs, l’exclusion des emplois publics et des professions réglementées, ainsi que la confiscation de biens et des restrictions économiques.

Le Maroc, alors protectorat français, fut directement impliqué dans cette politique discriminatoire. Le gouvernement de Vichy a tenté d’étendre ses lois raciales aux territoires coloniaux, dont le Maroc, où vivaient environ 250 000 Juifs. Cependant, la mise en œuvre de ces mesures s’est heurtée à la ferme opposition du sultan Mohammed V.Dès le début, Mohammed V a refusé de collaborer avec les autorités de Vichy dans l’application des lois raciales. Bien qu’il n’ait aucun pouvoir exécutif direct sur les décisions françaises, le sultan a utilisé son autorité morale et politique pour protéger la communauté juive marocaine. On raconte que, lors d’une réception officielle, le sultan aurait déclaré aux représentants du régime de Vichy :  «Il n’y a pas de Juifs au Maroc. Il n’y a que des sujets marocains», soulignant ainsi son opposition à toute forme de discrimination.

Mohammed V a en outre insisté pour que les Juifs marocains continuent de jouir de leurs droits en tant que citoyens du royaume, refusant de remettre des listes de Juifs aux autorités françaises ou d’imposer des mesures ségrégationnistes dans les écoles et les lieux publics. Lorsque le régime de Vichy émit des décrets restreignant l’accès des Juifs à l’éducation et à l’emploi, le sultan trouva des moyens de contourner ces impositions en s’assurant que de nombreux Juifs puissent conserver leur poste ou recevoir une aide indirecte. Bien qu’il n’ait pu empêcher complètement l’application des lois de Vichy, son opposition publique a contribué à atténuer leurs conséquences.

La position de Mohammed V n’est pas passée inaperçue. Les autorités de Vichy ont tenté de le persuader de coopérer, mais sans succès. Avec l’opération Torch, le débarquement allié en Afrique du Nord en novembre 1942, le régime de Vichy perd le contrôle de la région et le sultan peut reprendre un rôle plus actif dans la politique marocaine.

Dans la période d’après-guerre, la communauté juive marocaine resta profondément reconnaissante envers le sultan pour sa protection. Sa figure est encore aujourd’hui respectée dans la mémoire collective des juifs marocains, dont beaucoup ont ensuite émigré en Israël, en France et au Canada. Son engagement dans la défense des Juifs a également contribué à renforcer son image de dirigeant juste et éclairé, encourageant l’essor du mouvement nationaliste marocain qui conduira, en 1956, à l’indépendance du Maroc vis-à-vis de la France.

Mohammed V représente un exemple de courage moral dans une époque marquée par la discrimination et la violence raciale. Son refus d’appliquer les lois antijuives du régime de Vichy démontre son attachement à l’égalité et à la dignité de tous ses sujets, quelle que soit leur religion. Son rôle dans la protection de la communauté juive marocaine reste l’une des pages les plus brillantes de l’histoire du Maroc moderne et un symbole de résistance contre l’oppression.

Politologue italien