Chronique philosophique. P comme Progrès – Réflexion sur le progrès, création et folie du monde – 1ère partie – (Par Nasser-Edine Boucheqif)

Par Nasser-Edine Boucheqif*

Le progrès donne-t-il vraiment la possibilité à l’homme de se rapprocher d’autrui ou plutôt l’isole ?

Que nous reste-t-il dans un monde où la croyance dans le progrès est devenue pathologique ?

Nos sociétés qui s’engouffrent dans la mécanisation, à tous les étages, peuvent-elles survivre sans poésie ?

L’art ressuscite en l’artiste la peur de la démence mais aussi la joie que la pratique de l’art lui procure, que lui reste-t-il de cet idéal de l’espoir qu’il bâtit par son imagination à travers les modes de ses représentations pour identifier, interroger sa conscience sur la part du réel et de l’ivraie dans son art ?

L’artiste est celui qui rend possible et plausible son action et définit un avenir commun, libérateur, et qui repense les idées reçues, les modes de vie du monde aliéné par la frénésie de la consommation, de la compétitivité…

Lorsque l’homme dépendait encore de la terre qui le nourrissait, s’établissait entre lui et la nature un contact direct, une liaison avec le monde dont la beauté et la force l’imprégnaient tout entier.

Mais dans nos villes où tout n’est que machines et affolements, nous ne percevons plus rien des forces qui nous transcendent, nous ne voyons plus la beauté. Nous sommes comme jetés au hasard.

Une société qui se mécanise a plus que jamais besoin, pour sauver les personnes, de poésie libératrice.

Il est vrai que l’homme n’a jamais autant senti ce besoin de se libérer, de fuir, de se détacher du concret.

Mais dans la mesure où la poésie n’est faite que de mots, parfois violents, parfois révoltés, est-elle vraiment en mesure de répondre à ces besoins ?

Le décachètement et les dégoûts liés à un monde qui déçoit, tantôt absurde, tantôt cruel ne sont pas nés au vingtième siècle. Ils sont déjà venus pensés, écrits au début du dix-neuvième siècle par une jeunesse révoltée contre l’ordre bourgeois, désabusée après les événements de 1830 en France. Leurs inquiétudes, leurs déceptions les poussent à se replier sur eux-mêmes ou à aller chercher ailleurs d’autres consolations.

L’artiste, le poète n’y trouve aucune explication, ni réponse et demeure spectateur passif face à ses inquiétudes.

Ainsi, le romantisme bohème, poussa de nombreux poètes sur les routes : (F. R. de Chateaubriand[2], A. de Lamartine[3], G. Nerval[4]) d’Italie, d’Espagne, du Moyen-Orient ou de Grèce sur les bases de voyages réels, ils s’imaginaient, s’appuyaient sur les mythes, créaient des figures légendaires. L’imagination et la sensibilité sont en cela primordiales, elles leur servent à projeter sur le monde leurs fantasmes et leurs visions personnelles. La nature joue un rôle important car elle permet de s’abandonner tout entier à la rêverie.

Si dans son poème L’isolement, A. de Lamartine marque son indifférence face à la nature, elle n’en constitue pas moins les raisons de ses états d’âme nostalgiques. Les montagnes et les plaines lui donnent la force de s’élever, « les vagues écumantes » et « les eaux dormantes » du « Lac immobile » lui permettent de s’élancer vers l’infini, un infini où plus rien, ni le temps, ni la beauté du paysage ne pourront le consoler de la mort de sa femme : « un seul être vous manque et tout est dépeuplé [5]».

Les méditations sur la mort et les « angoisses métaphysiques » constituent un thème qui revient souvent chez le poète de ce siècle, qui découvre, non sans révoltes, les limites de son existence, « désespérante conviction de notre néant » écrit A. Esquiros[6].

*Poète, essayiste, dramaturge et peintre

Bibliographie:

[1] Cet essai écrit à Paris en 1988 et publié dans le journal Al Bayane (Maroc) puis dans les Cahiers du C.I.C.C.A.T en 1994, traite du progrès tel qu’il a été perçu par certains poètes et artistes etc en Occident.

[2] F. R. de Chateaubriand

[3] Alphonse de Lamartine (1790-1869), poète, romantique français.

[4] G. Nerval

[5] Alphonse de Lamartine.

[6]Alphonse Esquiros (1812-1876) auteur romantique français.