Par Nasser-Edine Boucheqif*
En effet, les lois sont garantes de la justice entre les hommes puisqu’elles ont en vue « l’utilité commune » et qu’elles tendent à « produire ou à conserver le bonheur (…) pour la communauté politique[2] ».
Elles mettent en place une justice alors considérée comme « la plus haute des vertus » puisqu’elles garantissent que les hommes usent des vertus pour eux mais aussi pour les autres.
Les lois ont alors un rôle prépondérant à jouer dans l’éducation publique car elles permettent de diffuser la vertu dans le corps social et c’est dans ce sens que « seulement de bonnes lois produisent une bonne éducation », de même qu’une bonne constitution.
Ceci étant, on peut alors facilement objecter que les lois elles-mêmes dépendent du type de pouvoir qu’exerce le législateur et que si ce dernier est un tyran, elles ne serait plus une garantie d’aucune sorte, « Des vices, qui n’en a qu’un peu, n’est pas content, nous dit François De Sales, et qui en a beaucoup est mécontent : mais des vertus, qui n’en a qu’un peu, encore a-t-il déjà du contentement, et puis toujours plus en avançant[3]. »
C’est bien pourquoi Aristote, dans l’extrait qui nous intéresse distingue les bonnes constitutions des mauvaises. Cette distinction est assez complexe, puisqu’elle fait l’objet d’un ouvrage entier et justifierait à elle seule tout un commentaire.
Pour aller vite, disons que le philosophe distingue trois sortes de constitution dites « bonnes » ou « droites » : la royauté, l’aristocratie et la démocratie (ou république) ; de trois autres qui eux sont directement dérivées et qui sont dites « mauvaises » : la tyrannie, l’oligarchie et la démocratie, celle-ci devant être comprise comme une sorte de « dictature du prolétariat ». Même si Aristote écrit que « la meilleure des constitutions est la royauté », il semble que la royauté soit la plus juste car « elle a pour idéal l’égalité et la vertu des citoyens ».
On voit donc, à travers l’extrait que nous venons de commenter, combien la vertu est une affaire humaine (et non pas divine), et le rôle capital de l’éducation morale et politique qu’elle implique. Le fait de considérer que la vertu n’est pas innée constitue un formidable moteur d’action dans la mesure où, même si elle résulte d’un long travail, elle est accessible à tous. Aussi, l’éthique aristotélicienne est-elle une entreprise radicalement pédagogique qui a pour but de former aussi bien les citoyens que les législateurs. C’est la forme de gouvernement suprême, capable d’exprimer la puissance et la vertu. Nous savons que la vraie vertu c’est l’exercice de la raison : « Agir par vertu absolument n’est rien d’autre en nous qu’agir, vivre, conserver son être (ces trois mots signifient la même chose) sous la conduite de la raison, d’après le principe de la recherche de l’utile propre. »[4]. La vertu est absolue et l’absolument absolu est la vertu individuelle et collective, la démocratie.
La vertu réconcilie l’affectif et le rationnel en recherchant l’utile propre du point de vue de la nécessité et sous une sorte d’éternité : « Il est de la nature de la raison de percevoir les choses sous une certaine espèce d‘éternité »[5] c’est-à-dire sans aucun rapport au temps, en rapport avec la nature éternelle de Dieu et sa nécessité. La vertu humaine est une praxis de l’absolu, une vertu collective par laquelle on peut parvenir à un état de joie qu’il nous faut appréhender de façon adéquate et en faire une éthique valable pour tous et la nature de chacun et non une éthique du surhomme et peut-être même, « sous une certaine sorte d’éternité ».
L’intention de Spinoza est de faire une éthique valable pour tous où l’ignorant peut sortir de son état de servitude s’il observe la vertu, « la droite règle de vie », « le courage », « la générosité »… Tous ces efforts ont pour fondement son propre intérêt, tous sont inspirés par une intention rationnelle dans leur principe qui exige de se plier à une règle de vie raisonnable et de se subordonner à la mise en œuvre complète du pouvoir de l’intellect non pas pour une éthique du surhomme mais pour avoir le « souci des autres », c’est-à-dire que le fondement de la communauté est inscrit dans la nature de l’homme. C’est par un même élan que les hommes s’opposent ou s’associent, s’aiment ou se haïssent. Qu’il y ait en chaque homme une tendance et une propension à se rassembler en une communauté toujours plus puissante, voilà ce que confirme ma réflexion. La vie communautaire est nécessaire parce qu’elle est inscrite comme la vertu au fond de chaque être.
*Poète, essayiste, dramaturge et peintre
Bibliographie:
[1] Paris 1987.
[2] Idem.
[3] Et toujours plus de contentement à mesure qu’il avance dans la vertu.
[4] Ethique IV.
[5] Ethique II.