Chronique philosophique. C comme Conscience de soi- 3ème partie et fin (Par Nasser-Edine Boucheqif)

Par Nasser-Edine Boucheqif*

  1. W. Leibniz[1] mentionne à ce sujet l’importance des « petites perceptions ». Selon lui, notre âme est sans cesse touchée par des objets ou des images que ne nous percevons pas consciemment –car à cet instant même notre attention est concentrée sur autre chose ne laissant place à ces objets en question- mais qui sont cependant enregistrés dans l’inconscient. C’est ce qu’on appelle les états implicites.

Selon l’hypothèse de H. Bergson, tous nos souvenirs sont aussi minutieusement enregistrés et ils sont tous présents en nous par le menu détail. Leur sélection ne fait pas la conscience. Mais si notre attention se relâche, si nous dormons par exemple, ils resurgissent soudain : « alors les souvenirs immobiles, sentant que je viens d’écarter l’obstacle, de soulever la trappe qui les maintenait dans le sous-sol de la conscience, se mettent en mouvement[2] ».

Mais c’est avec l’apparition de la psychanalyse et par la suite avec S. Freud que nous possédons plus ou moins la certitude que nos pensées et nos désirs découlent en majeure partie de l’inconscient et non du conscient. On distingue pour cela trois instances psychiques distinctes. Tout d’abord le « ça » qui englobe les instincts sexuels -ou libido- créant dès le plus jeune âge les complexes, ensuite vient le Moi dans lequel sont confrontés la partie inférieure et la partie supérieure de notre être, puis enfin le Surmoi qui est en fait un « Moi idéal » formé par l’éducation des parents et par la vie sociale : «  par le langage, la coutume, les croyances, les valeurs sociales, par l’éducation, la société pèse d’une manière insoupçonnable sur nos manières de vivre, de sentir, d’agir et de réagir[3] ».

Le Ça et le Surmoi sont inconscient tandis que le Moi est la zone du préconscient et de la conscience. Mais étant donné que le Ça et le Surmoi sont inconscients, cela entraîne forcément le fait qu’une partie de notre Moi est également inconsciente, le Surmoi lutte de façon permanente pour que le Ça n’envahisse pas le Moi d’où un refoulement systématique empêchant ainsi notre Moi de se révéler sous sa véritable identité, « le Moi ainsi pressé par le Ça, opprimé par le Surmoi repoussé par la réalité lutte pour accomplir sa tâche économique (…) » nous dit la psychanalyse.

Il arrive parfois que la censure élaborée par le Surmoi se relâche, laissant échapper des actes et des paroles que nous ne pensions pas être capables d’engendrer, déclenchant alors un véritable conflit intérieur. La psychanalyse s’est ensuite prolongée dans des directions variées avec entre autres O. Rank[4], A. Adler[5] et C. G. Jung[6]. Pour O. Rank, les complexes se forment avant l’enfance, c’est-à-dire dans la vie fœtale. A. Adler, lui, prend en compte, pour le cas des névroses la généalogie du patient et C. G. Jung, reprenant cette théorie aboutira à ce qu’il nomme l’inconscient collectif, c’est-à-dire la transmission héréditaire des complexes qui surgissent sous forme de réminiscences chez la personne.

Si nous prenons donc en compte –en plus du reste- la psychanalyse élaborée par les uns et les autres et les prolongements qui en découlent, nous constatons une fois de plus qu’il est impossible de nous connaître étant donné que la majeure partie de nos influences sur notre comportement provient de l’inconscient voire d’un passé antérieur à notre existence.

Nous avons donc la multiplicité de nos Moi qui débouche sur une multitude de comportements qui varient selon la durée, les situations et le milieu social dans lequel nous évoluons.

Ainsi, les gens confondent ces représentations du Moi avec le Moi profond. De plus, nous vivons dans une perpétuelle confrontation intérieure due à la présence inconsciente du Surmoi qui refoule en permanence les pulsions de la libido.

Ainsi donc, prenant en compte les multiples représentations du Moi qui nous sont le plus souvent incompréhensibles, rassemblées par une substance pensante qu’il nous est tout aussi impossible de connaître et prenant également en considération la théorie psychanalytique sur l’inconscient… : sommes-nous contraints de penser que nous sommes loin de nous connaître, autrement dit, que nous ne sommes pas ce que nous avons conscience d’être ?

 *Poète, essayiste, dramaturge et peintre

Bibliographie: 

[1] Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716), juriste, scientifique, mathématicien, philosophe et diplomate allemand.

[2] Henri Bergson.

[3] Abram Kardiner (1891-1981), psychiatre, anthropologue et psychologue américain.

[4] Otto Rosenfeld Rank (1884-1939), psychothérapeute et psychanalyste autrichien.

[5] Alfred Adler (1870-1937), ophtalmologiste, psychiatre autrichien.

[6] Carl Gustave Jung (1875-1961), essayiste, psychiatre et psychothérapeute suisse. À ne pas confondre avec son grand-père paternel Karl Gustave Jung (1794-1864), anatomiste, médecin et chirurgien suisse-allemand.