CARNETS DE VOYAGE. MOSTAGANEM. SUR LA TERRASSE DU RESTAURANT « TOUT VA BIEN »!!!

ALGERIE
MOSTAGANEM

Une forte tension régnait sur le «Constanta» à la veille de son arrivée à Mostaganem, le 27 juin 2003. Les passagers sont sur la brèche. Ils savaient, on le sentait, que leur équipée en Algérie n’allait pas être une promenade de santé.

Une réunion urgente est alors convoquée par Richard Martin. Lors de cette réunion, ce dernier a tenu à dissiper les craintes. Des consignes de sécurité ont toutefois été données: rester ensemble et éviter les lieux de grande fréquentation.

A l’heure du coucher de soleil, les amarres sont jetées. A quai, des amis algériens pour nous accueillir.

Mais non, il n’y avait personne à quai!!!

À part des hommes en kaki, kalachnikovs en bandoulière, se pavanant de long en large… L’Algérie est en guerre!

Mais que les hommes en uniforme se rassurent, le «Constanta» ne portait pas d’armes. C’est avec des branches d’oliviers que nous étions venus marquer notre soutien à des frères algériens meurtris par tant d’années de violences.

Preuve de solidarité, nous étions venus avec plusieurs tonnes d’aides au profit de la population de Boumerdes alors secouée par un tragique tremblement de terre. En retour, la moindre des choses était de nous accueillir convenablement.

C’est chose faite. Au lendemain de notre arrivée, un quotidien algérien nous a gratifié d’un article incendiaire.

Quoi? «Nous espions?», fulmine Richard Martin, très outré par cet acte inhospitalier.

Omar Fetmouch, responsable de la section algérienne de l’Institut international du théâtre méditerranéen, est interdit d’accès au port. Le public, lui, a été éloigné et ne pouvait regarder le navire que depuis les rampes à fer du port. «Les passagers du Constanta sont non grata à Mostaganem», nous apprend notre ami Fetmouch, via son GSM. La patience des passagers est mise à rude épreuve, la bataille ne fait que commencer…

Assiégés par des éléments de l’Armée nationale populaire (ANP), les pacifistes, restés confinés au beau milieu du bateau, ne sont pas au bout de leurs peines tellement le temps était exécrable. «Il paraît que le vent va se lever», demande Richard Martin, descendu voir un militaire. «Que non!», assure ce dernier.

Richard Martin a eu tort de le prendre au sérieux, car le vent ne tardera pas à se lever. Au-dessus du navire, comme pour compléter ce tableau sombre, venaient s’accumuler quelques nuages…

«Mais que viennent faire des nuages dans un ciel d’été ?», s’interroge un pacifiste, d’une voix grave. Qu’importe, mieux vaut traiter avec les nuages qu’avec… la bête vert-kaki!!! Un constat qui a fait s’esclaffer de rire mes amis du « Constanta » au moment où ils négociaient une autorisation de sortie du port.

C’est alors qu’un monsieur, joufflu et ventriloque, intervient, l’air grave. Sans s’embarrasser de formules de politesse, il taille dans le vif. «Vous êtes Moghrabi ?», me demande-il d’un ton faussement accueillant. «Vous êtes le seul Arabe sur ce navire?», enchaîne-t-il…

Ce n’étaient là que de fausses questions, il savait très bien qui j’étais, d’où j’étais et pour quelle raison j’étais venu.

Mon «délit», paraît-il, est d’avoir simplement voulu, en militant de paix, marquer ma solidarité avec des frères algériens opprimés…

Las, j’ai renoncé à visiter Mostaganem cette nuit-là. Mes amis, italiens, espagnols et français, me diront par la suite ce qu’ils ont vu.

Or, quelle n’a été ma surprise de découvrir qu’ils étaient talonnés à tout bout de rue par des éléments du DRS (Département du renseignement et de la sécurité, renseignement militaire). Il n’était pas question de faire quoi que ce soit sans être suivi des regards indiscrets des taupes. Un constat que j’ai vérifié in situ…

Après un nouveau round de discussions avec mon interrogateur-bourreau, j’ai pu finalement décrocher l’autorisation-sésame!!!

Mon interrogateur était en fait « un cousin » originaire d’Oujda… sa belle-famille devait  toujours résider dans la capitale de l’Oriental marocain.

Mais passons, car tout cela restait à prouver…

Il était 11h00, quand j’ai pris place sur la terrasse du restaurant-café «TOUT VA BIEN», situé au centre ville de Mostaganem. Une heure plus tard, voilà arriver mes amis du «Constanta», flanqués (encore eux !) de deux agents des services algériens. C’était à ces deux-là que devait revenir la charge de «nous protéger» ! Et contre qui? Le Groupe islamique armé (GIA, bras armé de l’ex-Front islamique du Salut)? Ou les Robocops de l’armée algérienne elle-même?

Au fait, les deux agents avaient pour mandat de contrôler particulièrement mes mouvements. On me considérait comme espion!!!

La présence de journalistes à bord du bateau n’était pas pour dissiper les craintes desdits services soucieux de maintenir coûte que coûte le black-out sur les dérapages sécuritaires: rafles musclées, détentions arbitraires, exécutions sommaires, tortures et autres bavures perpétrées au nom de la sacro-sainte «lutte antiterroriste».

«Les attentats terroristes ont certes nettement diminué, mais les arrestations abusives, les détentions arbitraires et la pratique de la torture sont monnaie courante», s’insurge un jeune Algérien en s’invitant dans notre pause au café «TOUT VA BIEN», sous le regard inquisiteur des services…

Le régime vert-kaki a semé la psychose d’attentats chez le civils algériens sans défense, pour justifier tous les excès imaginables.

S’agissant de notre équipage, il est clair qu’il n’avait pas besoin de la présence desdits services.

Notre déplacement à Mostaganem-ville a fait plutôt du bien à la population. Cette présence incarnait, du moins pour les jeunes Mostaganémois, un espoir d’évasion « hrig »… hors du chaudron militaro-sécuritaire.

Ce n’était d’ailleurs pas un hasard si nombre d’entre eux étaient interdits d’accès au port, le jour de notre arrivée. Ils ont dû suivre le spectacle joué sur l’héliport du bateau depuis les rampes de la corniche. Malgré le siège, ils ont pu communier, bougies à la main, avec des pacifistes venus leur dire qu’ils n’étaient pas seuls face aux outrances. Galonnées ou barbues!!!

Il n’en restait pas moins que cette situation profitait plutôt aux militaires qui ont amassé des fortunes au détriment du «Fils du pauvre». Les barbouzes, lancées sur nos pas, ne se gênaient d’ailleurs pas à s’afficher en voitures branchées, leur carrure jurant avec les silhouettes qui rôdaient dans les ruelles dégarnies de Mostaganem.

Des jeunes abandonnés se livraient à des petits métiers pour subvenir à leurs besoins alimentaires. D’autres, lauréats d’universités, ne savaient pas à quel saint se vouer. «Après avoir décroché ma peau d’âne, je ne sais plus où donner de la tête», déplore cette étudiante qui venait d’obtenir sa licence à l’université d’Agriculture de Mostaganem. Un autre jeune, croisé le 28 juillet 2003 sur la corniche, n’avait plus qu’un rêve: prendre le large le plus tôt possible… Une tentative qui n’est pas sans risque, il le savait, mais, pour ce jeune, mieux vaut mourir noyé que crever de déprime. Les jeunes se sentaient très mal à l’aise dans ce maudit rôle de «hittistes», passant tout leur temps à raser les murs. Un état difficile à supporter dans un pays regorgeant d’énergies fossiles, avec ce que cela comporte de milliards de dollars.

Mais passons, le 28 juillet, le «Constanta» change de cap. Destination: Alger. Les pacifistes devaient prendre leur courage à deux mains. Ils se mettront bientôt à regretter l’étape de Mostaganem, plus clémente que celle qui les attendait à Alger…