Défendue par les chantres de l’égalité hommes-femmes, l’écriture « inclusive » fait, de nouveau, débat en France.
Conçue pour lutter contre les stéréotypes liés aux sexes et les inégalités, l’écriture inclusive se caractérise par l’accord des noms et des adjectifs à l’aide d’un « point médian », comme « cher•e•s », « électeur•rice•s », « déterminé•e•s »…. Cette écriture « militante » propose aussi de nouveaux mots comme « iels » pour « ils/elles », « toustes » pour « tous/toutes », « celleux » pour « celles/ceux »…
D’actualité il y a de cela plusieurs années, la polémique autour de l’écriture inclusive a refait surface dans l’hexagone après que des députés d’un parti politique de la place, Europe Écologie Les Verts (EELV), ont décidé de l’utiliser dans leur correspondance officielle.
Une décision qui n’a pas été du goût d’autres élus français qui ont crié au scandale et se sont empressés au nom de la « défense de la langue française » de déposer à l’Assemblée nationale deux propositions de Loi visant à interdire voire à pénaliser son utilisation.
Le premier texte, déposé en février dernier par plusieurs députés y compris de la Majorité présidentielle, veut interdire l’usage de l’écriture inclusive pour les personnes morales en charge d’une mission de service public. Le second, enregistré le 23 mars, « vise à interdire et à pénaliser l’usage de l’écriture inclusive dans les administrations publiques et les organismes en charge d’un service public ou bénéficiant de subventions publiques ».
« L’égalité entre les femmes et les hommes est un objectif qui doit être défendu de manière forte, mais l’usage accru du féminin dans la langue française, faisant fi des règles en vigueur et créant une confusion importante, ne permettra en rien d’atteindre l’objectif voulu, bien au contraire », avancent les députés dans leur argumentaire.
Pour étayer leur motif, ils s’appuient sur une déclaration de l’Académie française dans laquelle la prestigieuse institution dénonce l’écriture inclusive qu’elle considère comme un « péril mortel » pour l’avenir de la langue française.
En effet, le 26 octobre 2017, l’Académie française, réagissant à la diffusion d’une « écriture inclusive qui prétend s’imposer comme norme », a lancé « un cri d’alarme » devant cette « aberration ».
Selon la vénérable institution dont la fonction est de normaliser et de perfectionner la langue française, la démultiplication des marques orthographiques et syntaxiques de cette écriture aboutirait à une « langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité ».
Les défenseurs de la pureté de la langue française s’appuient également sur la Constitution du pays qui considère que la langue française est « un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France » et qu’ »elle est la langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics ».
Ils se réfèrent aussi à une circulaire en date du 21 novembre 2017 relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel. Cette circulaire invite à ne pas faire usage de l’écriture inclusive et rappelle que l’administration de l’État devait se conformer aux règles orthographiques et grammaticales en vigueur.
Pourtant, dénoncent-ils, des départements ministériels comme le Secrétariat d’État en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes continue d’adresser aux parlementaires des courriers intégralement écrits en écriture inclusive. Cette pratique est même directement encouragée par le ministère du travail qui a présenté un guide « de bonnes pratiques » à destination des TPE et PME recommandant de « délester la communication des stéréotypes de genre ».
Dès lors, quel crédit accorder à cette circulaire ?, s’insurgent les députés à l’origine de ces propositions de loi, regrettant au passage qu’il n’existe pas aujourd’hui en France une interdiction générale de l’utilisation de l’écriture inclusive au sein des administrations publiques et des entreprises ou associations en charge de mission de service public ou bénéficiant de subventions publiques.
Ils trouvent cette situation encore plus dommageable lorsqu’il s’agit de l’enseignement. En effet, soulignent-ils, l’apprentissage de la lecture et de l’écriture se révèle déjà laborieux. En 2020, à l’entrée en sixième, près d’un élève sur deux n’avait pas le niveau de fluidité requis en lecture, affirment-ils.
C’est pour cela, considèrent-ils, que l’écriture inclusive est « un non‑sens » d’un point de vue de l’apprentissage de la langue française et représente une difficulté supplémentaire pour les enfants. Pire encore, l’écriture inclusive exclut les enfants souffrant de dyslexie et/ou de dysphasie. Or en France, 4 à 5 % des élèves d’une classe d’âge sont dyslexiques, 3 % sont dyspraxiques, et 2 % sont dysphasiques.
Ces enfants souffrent déjà beaucoup de ces handicaps « non visibles », il paraît impensable de leur rajouter des complexités dans leur apprentissage du langage pour une simple volonté politique, sous couvert « d’égalitarisme », plaident les parlementaires.
Pareil pour les malvoyants ou aveugles qui sont aussi inquiets de sa progression, car les dispositifs de lecture qu’ils utilisent sont inopérants.
Certains linguistes comme Bernard Cerquiglini, professeur émérite de l’Université de Paris, ne portent pas eux aussi dans leur cœur cette écriture « inclusive », qui bien qu’empreinte d’une « louable intention », serait « une fâcheuse erreur ».
Dans une tribune au Monde en date du 20 avril, Bernard Cerquiglini, auteur de Un Participe qui ne passe pas (Points, 2021) et Le ministre est enceinte (Points, 2018), estime que l’écriture « inclusive » ne correspond pas à une féminisation de la langue française, et que son usage et son extension promettent de se révéler socialement excluants, avec sa typographie (parenthèses, points médians, etc.), « incompréhensible, illisible, imprononçable et difficilement enseignable ».
Mais les défenseurs de l’écriture « inclusive » ne l’entendent pas de cette oreille et promettent de poursuivre leur lutte jusqu’à imposer l’écriture « Inclusive » et qu’elle devienne la norme.
Eliane Viennot, professeure de littérature à l’université et auteure de « Non le masculin ne l’emporte pas sur le féminin », défend son importance, car « le langage structure notre pensée. Expliquer aux enfants que ‘le masculin l’emporte sur le féminin’ ne peut guère contribuer à forger des consciences égalitaristes », affirme-t-elle.
Pour cette membre honoraire de l’Institut universitaire de France, la langue française a longtemps été plus égalitaire qu’elle ne l’est aujourd’hui. « Les hommes ont dominé la parole publique pendant des siècles. Mais il y a eu aussi, en France, une masculinisation délibérée du langage, à partir du XVIIe siècle, sous l’influence de ‘puristes’ ».
Dans une tribune cosignée avec Raphaël Haddad, Docteur en sciences de l’information et de la communication, directeur associé de l’agence Mots-Clés, le 24 septembre 2020 sur Marianne, Eliane Viennot déplore que l’on critique « les impertinent.es qui osent se réapproprier leur langue, au lieu de participer à un mouvement qui ne s’arrêtera plus –sauf à ce que l’égalité régresse ».
Selon elle, les défenseur.es de l’écriture « inclusive » vont continuer leur action et exiger des réformes de l’orthographe. Et « s’il le faut, nous irons jusqu’à mettre la main à la poche pour que les logiciels de Braille sachent traiter le point médian, comme certains logiciels orthographiques le font désormais », martèle-t-elle.
Bref, le jour où l’on pourra voir l’écriture « inclusive » s’imposer en France semble encore lointain; le chemin étant parsemé d’embuches et les réticences demeurent nombreuses et majeures !
Jalila AJAJA