
Abdallah Khammari, ingénieur hydrologue, auteur et conférencier algérien installé en France, a fait parvenir au journal le Collimateur un courriel sous forme de « lettre ouverte » à un ancien dirigeant de la Sonatrach, Saïd Kloul, dénonçant l’appel lancé par ce dernier sur la plateforme « clubenergy-dz » sous l’intitulé: « Le Gaz de Schiste: C’est maintenant ou jamais ».
Dans sa réponse, M. Khammari met en garde contre les risques d’une telle extraction: pollution des nappes et de l’environnement par des mixtures très toxiques, émanations suffocantes par les fuites de méthane, et par conséquent hausse de l’effet de serre et réchauffement climatique à l’aplomb d’un désert d’une extrême aridité…
Pour rappel, le projet ultracontroversé d’extraction des GdS soulève des vagues en Algérie, notamment dans la ville saharienne d’In Salah, située au cœur du plateau du Tidikelt.
Le journal Le Collimateur joint sa voix à celle de M. Khammar pour dénoncer ce projet d’extraction des GdS qui présente un risque de catastrophe écologique au-delà de l’Algérie. Voici le texte intégral de la lettre ouverte.
Par: Abdallah KHAMMARI
« Bonjour Monsieur KLOUL,
Je viens seulement de prendre connaissance de votre injonction : « Les Gaz de Schiste : C’est maintenant ou jamais ». D’emblée, la présentation de votre problématique commence, hélas, par une malheureuse assertion qui se mord inutilement la queue : « Le but de cette contribution, écriviez-vous, est d’éclairer le plus large public possible sur le gaz de schiste et d’essayer de convaincre ceux qui sont contre ce gaz qu’ils se trompent ». Auriez-vous exclusivement la vérité infuse face à nos prudentes incertitudes ? Votre approche s’appuie lourdement sur l’expérience américaine, non transposable en l’état pour plusieurs raisons que vous êtes à même d’entrevoir. L’analogie entre les modes d’exploitation me paraît grossière, du fait qu’ils sont incomparables, ne serait-ce que du point de vue des environnements technologiques spécifiques à chaque gîte. Les USA ont toute la technologie et les produits in situ, nécessaires à l’extraction des gaz de schiste (GdS). Parmi les adjuvants fracturant, il y a un sable très spécial, à gains sphériques, résistant à la compaction et à la solubilité et qu’il va falloir importer, à défaut de pouvoir exploiter l’affleurement du Cambrien à Djanet, moyennant un traitement laborieux par des prestations spéciales. L’Algérie est loin d’avoir autant de technologie et va devoir l’importer, ce qui va rendre dérisoire l’efficience d’une telle extraction. Vous savez très bien que l’exploitation des GdS est néfaste à bien des égards, sinon malvenue pour l’intérêt commun. Et vous la préconisez quand même. Une telle exploitation sera tout juste bénéfique aux multinationales, pas pour l’Algérie. Et c’est ce bénéfice que vous voudriez accorder à ces prestataires de services très spéciaux, leur permettre de vendre leur quincaillerie, leurs produits nauséabonds, leurs étranges investigations, tout en mettant à leur disposant d’énormes prélèvements dans la nappe albienne. Là est le motif de votre « contribution » à nous « convaincre » d’exploiter les GdS « maintenant ! », toute affaire cessante, triste « contribution » qui enfume plus qu’elle n’éclaire…
Vous me semblez bien expéditif, alors que vous n’avez « aucune idée de la qualité des réservoirs », avouiez-vous. Vous avouez n’être pas chimiste, ni biologiste, et c’est à peine si vous reconnaissez du bout des lèvres la pollution causée par l’exploitation des GdS. Le gain en termes d’énergie me paraît dérisoire en regard des méfaits engendrés : déversement des produits nocifs sur les plate-formes d’injections, dilapidation des ressources en eau, pollution des nappes et de l’environnement par des mixtures très toxiques, émanations suffocantes par les fuites de méthane, et par conséquent hausse de l’effet de serre et réchauffement climatique à l’aplomb d’un désert d’une extrême aridité… De plus, la masse d’eau nécessaire à la fracturation, estimée à quelque 89 millions de m3, est à prélever à partir d’horizons aquifères très profond, loin des sites d’extraction où la nappe albienne n’est pat éruptive. Il faut déjà pouvoir les pomper, puis les acheminer sur de longues distances, par une myriade de citernes, vers les plats-formes de fracturation hydraulique qui reste à réaliser par de brutales injections sous pression de 300 à 600 kg/cm2. Le développement de telles pressions nécessite beaucoup d’énergie et une prestation de service très spécial… Très faiblement renouvelable, mais déjà fortement surexploité, l’Albien sera dilapidé, éventré et ouvert à la pollution de la manière la plus difficile à pardonner par les générations à venir qu’on aura déshérité sans scrupule. Il y aurait là un manquement regrettable à l’éthique anthropocentriste intergénérationnelle. Impactant sensiblement l’environnement, la multitude des forages à implanter pour une durée d’exploitation de 20 à 30 ans, auront aussi à être laborieusement démanteler dans les règles de la préservation de l’environnement, quand ils ne serviront pas de puits poubelles. Un énorme gâchis pour lequel les générations futures auront du mal à vous pardonner.
Vous ne donnez aucune évaluation des risques d’une telle extraction, ni aucune appréciation quantitative des nombreux effets néfastes qu’elle génère. La demande énergétique est à rechercher dans le solaire qui reste à promouvoir. Et de cette énergie-là, nous aurons à en revendre. J’observe, avec dégoût, que ces multinationales continuent sans vergogne de piller les richesses de l’Afrique – avec la complicité de quelques dirigeants véreux… S’interdisant l’extraction des GdS dans leurs propres territoires, l’Europe, et plus particulièrement la France, voudraient paradoxalement l’envisager chez nous. Les GdS , pas maintenant, voire jamais.
Avec mes cordiales salutations »





