Le bal masqué (Par Zakia Laâroussi)

Paris – Zakia Laaroussi* 

 

Alors que je déambulais dans une salle en contemplant les œuvres d’art saisissantes lors du vernissage d’un des peintres les plus en vue à Paris, un sentiment profond de conflit intérieur m’envahit. Il oscillait entre le blanc et le noir, entre la lumière et l’ombre, comme si mon esprit était pris dans une dialectique sans fin. Les pensées se bousculaient dans ma tête, jaillissant et s’éteignant tour à tour, comme si je luttais intérieurement pour trouver les mots justes qui expriment ce tumulte. En pleine confusion, mes yeux captaient l’essence du spectacle qui m’entourait: des visages de politiciens et d’hommes d’affaires, des figures d’influence et de pouvoir, tous offrant une image récurrente, malgré la diversité de leurs cultures et de leurs couleurs, révélant au fond une même essence humaine.

Je ne pouvais échapper à la réminiscence des paroles de l’imam al-Ghazâlî dans son ouvrage « Revitalisation des sciences religieuses »: «Comme si en l’être humain se cachaient un porc, un chien, un démon et un sage». Ce profond aperçu reflète la diversité et la complexité de l’âme humaine, indépendamment des visages ou des positions qu’elle prend. Il ne s’agit pas ici pour moi de jouer le rôle de moraliste, mais simplement d’émettre une réflexion sur la nature des comportements humains, qui, peu importe où l’on se trouve – à l’Est ou à l’Ouest –, restent inévitables.

Dans ce contexte, une anecdote amusante me revint en mémoire, tirée du Sual al-Nawadir de Shihab al-Din al-Ishbihi, concernant une femme qui prétendait à la prophétie sous le règne du calife al-Mutawakkil. Avec une malice désarmante, elle parvint à déjouer une objection théologique avec une simplicité pleine d’esprit: «Une femme se présenta devant le calife, affirmant être prophétesse. Celui-ci lui demanda: « Es-tu prophétesse ? » Elle répondit: « Oui. » Il lui dit alors: « Crois-tu en Muhammad ? » Elle acquiesça. Il répliqua: « Mais Muhammad a dit: ‘Il n’y aura pas de prophète après moi' ». Elle, avec un sourire rusé, répondit: « A-t-il dit qu’il n’y aurait pas de prophétesse après lui ? » Le calife éclata de rire et la laissa partir».

Curieusement, j’observais autour de moi lors de ce vernissage, certains qui semblaient prolonger une extase futile en se laissant envoûter par les apparences éclatantes, tout en ignorant les réalités dures et les contradictions profondes qui façonnent nos vies quotidiennes. je voyais des visages, comme le décrivait al-Jahiz dans Al-Bayan wa at-Tabyin, «prolongent l’extase pour dissiper la complexité et apaiser les tensions». Une image complexe se dessinait dans mon esprit alors que je sollicitais des autorités l’opportunité de donner des conférences pour faire découvrir notre culture arabe et mettre en lumière nos grands écrivains. Ce tableau mêlait ce que mes yeux percevaient et ce que mon imagination construisait, entre la réalité et le symbolique, dans une mise en scène digne d’une véritable Bal masqué. Les actes se succédaient à différents niveaux, empreints de tromperies subtiles, camouflées derrière des sourires polis.

Je constatais alors que les réponses à mes demandes étaient détournées et évasives: «Consultez telle personne» ou «Adressez-vous à telle autre». Comme si le simple fait de demander que notre culture soit intégrée dans un tel cadre prestigieux nécessitait de surmonter des obstacles sans fin. Il semblait que l’accès à ce pain culturel devenait de plus en plus amer, et que chaque tentative sérieuse le rendait encore plus difficile à obtenir, chaque goutte d’eau de la source se chargeant davantage de sel.

Je n’irais pas jusqu’à dire que les défis auxquels nous faisons face dans le monde arabe diffèrent fondamentalement de ceux rencontrés en Occident, mais les méthodes se ressemblent, bien que les expressions varient. Chez nous, l’on dit: «Si tu as du piston ou un appui», alors qu’ici, l’on parle de «besoin d’un soutien». Le fond demeure identique, même si les moyens et les mots diffèrent.

Finalement, j’en suis venue à réaliser que la nature humaine partage une profonde similitude dans son essence, et que le mensonge et l’hypocrisie se manifestent partout, dissimulés derrière des masques élégants et des apparences séduisantes. L’homme, qu’il soit à l’Est ou à l’Ouest, reste prisonnier des mêmes passions, des mêmes instincts, et d’un même culte pour le pouvoir et le prestige. Le bien et le mal continuent à se jouer sur la scène de la vie, interprétés par des visages différents, mais le message reste inchangé. Ces apparences, cette arrogance, et cette logique du «dis-moi qui tu connais, je te dirai qui tu es» ne sont que des traits partagés, aussi bien chez les «têtes blanches» que chez les «têtes noires».

En conclusion, je reviens à la réalité, plus consciente que jamais des difficultés inhérentes à la diffusion de notre culture. Cette entreprise ne s’annonce pas aisée, car elle se heurte sans cesse à des réponses détournées qui ne varient guère. Cependant, je garde foi en l’idée que la persévérance et l’effort constant pourraient bien être notre unique voie pour nous affranchir de cette répétition lassante et enfin trouver une place légitime dans ce monde complexe, où la lumière elle-même, parfois, ne fait que dissimuler les ténèbres.

* Poétesse marocaine basée à Paris