Par Amadou Lamine Sall*
Au Sénégal, la pente s’adoucit. La montagne qui montrait une échine brisée s’est redressée. La vie reprend son cours et écarte de son chemin les grosses pierres des barricades, des vitrines éventrées, panse les cœurs en émoi.
Dieu ne saurait être neutre, dit-on ? Le mal, en effet, se distingue du bien et il faut toujours opter pour le bien ! C’est que Le Seigneur et les Grands Livres nous enseignent. Mais est-il aussi possible d’opter pour le bien quoi que cela puisse coûter en mal ? Nous nous posons ici des questions difficiles : opter pour le bien peut signifier être intransigeant face à l’adversaire mais cela peut signifier aussi ne pas franchir le pas vers la confrontation, la mort, la tuerie. Et si finalement le bien ne pouvait sortir que d’une confrontation ? Ce n’est pas le plus souhaitable ! Quant à la Vérité, il faut choisir celle qui ne se trompe pas, mais celle qui s’impose à la justice, à la foi, la raison, au respect du plus grand nombre. Dans le contexte de braise de notre pays, ils arrivent l’injure à la bouche, le couteau entre les dents, si vous osez caressez Macky Sall ou si vous osez louez Ousmane Sonko ! Ridicule et clivant !
Notre beau pays en est pourtant là, aujourd’hui ! Et pourtant ils ne sont rien d’autre que deux fils du Sénégal -sans compter tous les autres- que certes, des idéaux et des visions opposent, mais que l’amour de la patrie devrait unir forcément. Faut-il coûte que coûte en dénoncer un seul et lui faire porter tout le malheur de ce pays, de ce peuple de paix et de prière ? La réponse est aisée mais elle est complexe, complexe comme la politique, complexe et hideuse comme la quête et l’ivresse du pouvoir.
La meilleure posture est de se ranger du côté du peuple sénégalais, c’est à dire de la quête de la paix dans la sérénité et le respect des institutions. Seule la paix, seule la réconciliation autour de la paix, la concorde, doivent vaincre. Tout le reste n’est que politique et la politique sent désormais mauvais, très mauvais dans ce pays et corrompt tout ! Il s’y ajoute la perte de toute valeur, de toute noblesse.
Dans un dialogue « la sincérité de chacun en constitue l’intérêt. » Il faut surtout être porteur de beaucoup de paix en soi et d’humilité ! L’homme étant un « être de langage, il a naturellement vocation au dialogue. » Bien sûr, quand chacun « vient de loin, il faut du temps pour se comprendre. » Mais l’humilité, le sens du respect, la mesure qui n’exclut pas la fermeté des principes, la dimension mystique de la foi et de l’amour, peuvent aider à un rapide et prompt rapprochement entre tous. Au nom de la sauvegarde de la nation, s’entend ! C’est ce à quoi sont appelés le pouvoir et l’opposition !
Je me rappelle toujours ce médecin qui ne prenait pas d’argent, par principe, tant que le malade n’était pas guéri. Voilà des êtres et des âmes dont notre pays a besoin. Ce ne sont ni les temps ni les hommes qui ont changé. C’est le Diable qui a tout vaincu ! Et le pire visage du diable c’est l’avidité en toute chose !
Les hommes politiques dans leur grande et si petite majorité, sont notre seul et grand malheur. Ils sont devenus le bois de chauffe et le briquet dans un pays de gaz et de pétrole. En plus, ils nous ont toujours serré la main avec deux doigts. Ils sont tellement démunis, pauvres, parce que n’ayant rien d’autre que pouvoir et argent ! L’esprit est la seule quête qui vaille et l’esprit est apeuré à leur vue ! Le peuple sénégalais, quant à lui, est notre seule et immense espérance !
Si la jeunesse nous fait peur, nous sommes partis pour avoir toujours peur et toute notre vie, car c’est elle l’avenir. Elle est incontournable. Écoutons-la plutôt, considérons et regardons plus ses larmes que ses cris légitimes de révolte !
L’avion est le seul oiseau qui se pose sans fermer ses ailes. Telle est la jeunesse. Elle étonne. Elle se démarque. Elle a vocation à nous réveiller, à braver le doute, à défoncer des portes qu’elle refermera ou rouvrira. C’est ainsi.
L’Afrique est hélas encore habitée, malicieusement et de manière subtile, par des Républiques de droit divin ! Il faut les absoudre, les vaincre, au nom de l’égalité, du partage des richesses, de l’éducation pour tous, de la formation pour tous, de la liberté, de la démocratie ! Ces deux femmes méritent que nous leur cousions des pagnes que personne n’osera leur ôter !
Le Sénégal vaincra. Ce pays ne sera pas médaillé d’or des olympiades de l’horreur et de la mort. Ce qui s’y est passé est déjà étonnant, douloureux, agressif, sauvage, terrifiant. Ce à quoi nous avons assisté est de trop ! L’image que notre pays a donné de l’étranger est de trop ! Aucun communiqué de l’Onu ou des instances des droits de l’homme ne devait nous concerner, même en nous lavant à grande eau, ce qui soulève des grincements de dents et des contestations chez certains observateurs. Nul doute que quelque chose a emballé le monstrueux moteur de la haine et de la division chez nous. Mais Dieu veille ! IL est revenu après de très, très longues vacances! IL nous a manqués !
Oui, la pente s’adoucit et elle s’adoucira encore mieux et davantage pour mener au jardin de la paix. Des prédateurs sont venus chez nous et ont mangé de l’ail en empruntant notre bouche. Refusons de leur prêter notre bouche et notre salive et gardons propre et sain notre haleine, notre être, notre foi, notre vivre ensemble, « épaule contre épaule ».
Le Sénégal est une île en Afrique et dans le monde. Gardons cette plage, ce sable fin, ce chant, ce soleil, cette noblesse, cette grandeur, ce patrimoine hérité de notre histoire commune et abreuvé des prières de nos saints dans un dialogue fécond des religions, un métissage aux anneaux d’or qui rassemblent, fêtent toute une nation.
Ce pays n’est pas un murmure. Ce pays est un matinal chant de muezzin, une cloche doucereuse de cathédrale !
Puisse le Président Macky Sall, très vite, à la fin du réconfortant dialogue national qu’il a lancé, nous réconcilier avec notre grand pays, dans le respect dû à un peuple sénégalais qui l’a librement choisi. Puisse l’opposition, demain et toujours, élever encore plus haut les murs de la liberté, de la démocratie, en sacralisant l’État ! l’État est notre toit à tous ! Que personne ne s’en serve pour vaincre. Que personne ne tente de le minorer, de l’humilier.
*Lauréat 2023 du Grand Prix de Poésie africaine
Lauréat des Grands Prix de l’Académie française