Par Idriss Tekki*
Dans sa pratique « jupitérienne » du pouvoir, le président Emmanuel Macron s’attire les foudres d’une grande partie de la classe politique, des médias et de la société en France, qui redoutent une “dérive autoritaire” sans précédent, se manifestant déjà par un recul marqué des libertés publiques et des batailles politiques aux lourdes conséquences pour les citoyens, l’économie et l’image du pays.
Derrière son obstination à faire passer sa très controversée réforme des retraites, sans un vrai dialogue avec les partenaires sociaux ou au sein du parlement, en passant outre les revendications des représentants syndicaux et des élus et en demeurant indifférent aux clameurs de la rue, les observateurs voient un président “qui ne veut rien lâcher”, et qui cherche “à imposer plutôt que dialoguer”, quoique qu’il en coûte, pour reprendre sa phrase fétiche lors de ses différents discours pendant la pandémie du Covid-19.
En voulant imposer sa réforme portant à 64 ans l’âge de départ à la retraite et en faisant la sourde oreille aux revendications des syndicats, des oppositions et d’une large majorité des Français, farouchement opposés à ce texte et qui sont descendus massivement dans la rue, notamment ce mardi qui marque la 14ème journée de grève et de manifestation contre cette réforme depuis janvier dernier, Emmanuel Macron a plongé le pays dans plusieurs mois d’incertitudes, qui ont valu à la France une dégradation d’un cran de sa note par l’agence Fitch et des critiques qui ont fusé de toutes parts.
Avec son “goût immodéré pour la conflictualité”, selon certains commentateurs politiques, le chef de l’Etat est désormais perçu par ses concitoyens comme un “autocrate froid enfermé dans ses certitudes et au tempérament impétueux, voire incontrôlable”.
C’est ce que révélait d’ailleurs un sondage de l’institut Viavoice pour le journal Libération datant d’avril dernier. D’après cette enquête d’opinion, 61% des personnes interrogées estiment qu’Emmanuel Macron est aujourd’hui “plus autoritaire” que lors de son premier mandat.
Sa pratique du pouvoir est perçue comme solitaire par 53% des sondés et irrespectueuse des oppositions politiques pour 69% d’entre eux, alors que 55% des électeurs interrogés pensent que les libertés ont régressé depuis son entrée en fonction.
Cette évolution s’inscrit dans un contexte politique très tendu où les signes de raidissement et de radicalisation se multiplient avec un recul des libertés publiques, des attaques notamment contre la Ligue des droits de l’homme ou encore la crispation du climat socio-économique dans un pays fortement touché par une inflation galopante qui ne cesse d’éroder le pouvoir d’achat de larges pans de la société et une dette publique qui atteint des records.
A en croire les observateurs, le deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron, qu’il a entamé privé de sa majorité absolue à l’Assemblée nationale, est clairement marqué par “le désordre et une dérive absolutiste et autoritaire du pouvoir, au détriment des valeurs démocratiques et sociales de la Vème République”.
En témoigne en ce sens, tout particulièrement, le déni des institutions, à leur tête l’Assemblée nationale, où l’exécutif a dû dégainer plus d’une dizaine de fois le fameux article 49.3 de la Constitution pour faire passer, sans le vote des représentants du peuple, des textes décisifs pour la vie politique du pays, à leur tête la très décriée réforme de retraites.
Une situation qui n’a pas échappé aux politiques, intellectuels, défenseurs des droits et des libertés et aux médias, aussi bien en France comme ailleurs, à leur tête la Ligue des droits de l’homme (LDH) qui dénonçait, début mai, un “tournant autoritaire” et un “mépris” de la démocratie parlementaire et sociale en France, qui s’étend désormais aux droits fondamentaux.
La défense des libertés est devenue le “sujet le plus brûlant de la période” en France, alors que la liberté de manifester est mise en cause par le durcissement des instructions données aux forces de police et de gendarmerie, y compris à l’égard de citoyennes et citoyens non violents, ce qui se traduit par des blessures graves, des mutilations et par une instrumentalisation toxique des forces de police, écrivaient Patrick Baudouin, président de la LDH et ses présidents et présidente d’honneur, dans une tribune collective publiée dans le quotidien Le Monde.
Quelques jours auparavant, le Conseil des droits de l’homme avait rappelé la France à l’ordre concernant la situation des droits de l’homme dans le pays, pointant notamment des attaques contre les migrants, le profilage racial, des violences policières et un usage excessif de la force par les autorités lors des manifestations.
Les signataires de la tribune dénonçait également le passage en force d’un pouvoir privé de majorité parlementaire, désavoué par une large majorité de citoyennes et citoyens, et contesté par la totalité des organisations syndicales de ce pays, qui vient, selon eux, de mettre en lumière un blocage sans précédent de l’agenda politique du président et une crise démocratique profonde, touchant à la fois le fonctionnement réel des institutions de la République, le dialogue social, la confiance des citoyens en celles et ceux qui ont le devoir de les représenter et de les respecter.
Un constat peu reluisant qui n’a pas échappé à l’anthropologue et historien reconnu, Emmanuel Todd pour qui “toute la présidence d’Emmanuel Macron est associée au désordre”.
“Il m’arrive de penser que Macron survit par le désordre”, soulignait l’historien dans un entretien à une chaîne de télévision française.
*Journaliste MAP