TRIBUNE. COVID-19: LA CRISE MONDIALE DÉCRYPTÉE PAR HAKIMA ELHAITÉ, EX-MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT

Nous vivons un temps sombre de notre histoire commune: une crise sanitaire dévastatrice qui, à ce jour, a déjà infecté 1. 850. 220 personnes dans le monde et a fait 237. 340 morts.

Alors que le COVID-19 fait rage, un sentiment général se dégage: L’incertitude. L’incertitude de gérer la crise sanitaire et la peur de ne pas disposer des capacités d’accueil, de traitement, de réanimation, et même d’enterrement des personnes qui tristement, y succombent. À travers le monde la presse nous décrit un triste spectacle, des hôpitaux de fortune, des corbillards à perte de vue devant les cimetières en Italie, des enterrements dans des fosses communes au États-Unis…

L’incertitude quant aux bons gestes pour éviter la propagation du virus (porter un masque ou non, confined ou non, etc).

L’incertitude de pouvoir vaincre le virus dans les meilleurs délais et fabriquer enfin le vaccin ou trouver la formulation magique. De nombreux pays dans le monde y travaillent sans relâche et le jackpot sera à celui qui va y parvenir le premier.

L’incertitude quant à l’évolution du virus et de l’immunité de ceux qui l’ont contracté. Est-on immunisé une fois le virus contracté ou restons-nous vulnérable à une deuxième contamination?

L’incertitude quant à quand et comment réussir le déconfinement ?

L’incertitude de pouvoir redémarrer l’économie en minimisant les séquelles sociales.

Quel que soit le pays, sa puissance, sa richesse et son niveau d’infrastructures sanitaires, le sentiment est le même: le monde navigue dans l’inconnu et chaque pays a été livré à lui-même du moins au début de la crise.

Nous avons assisté au début de la pandémie à des déclarations de chefs d’Etat de grandes puissances s’enorgueillir d’avoir les meilleurs systèmes de santé, les meilleurs médecins, les meilleurs corps de soins, les meilleurs, les meilleurs et encore les meilleurs.

Mais malheureusement, les meilleurs n’ont pas pu contenir l’ennemi.

Ce n’est qu’après que la pandémie a commencé à éroder la santé des citoyens et le cœur des économies qu’on a commencé à se poser quelques questions: Comment ont fait les autres pour contrer le virus ?

COVID-19 nous donne une première leçon: l’humilité

Se référer à des pays mois « développés » qui ont su contrer rapidement le virus n’a pas été le réflexe du moment. Le début de la crise a laissé se dégager un sentiment d’indifférence par rapport à se qui se passait en Chine. Pour certains, les problèmes de santé de la Chine n’intéressait que les Chinois, pour d’autres, la Chine est trop loin et le risque d’être affecté par un virus chinois est nul; pour d’autres encore, la Chine est suffisamment peuplée, a des cultures étranges de consommation alimentaire et devrait en assumer les conséquences.

Aucun pays au monde ne s’attendait à cette mondialisation rapide et ravageuse du virus qui montre à quel point le régime de santé des Nations était interdépendant. Le virus nous rappelle qu’on peut ériger des frontières sur sol mais que l’atmosphère, l’air, ne les tolère point et qu’aucune puissance ne peut lui imposer un visa ou un quelconque droit d’entrée.

C’est dire que le Covid-19 nous ramène à la nécessité d’examiner plus sérieusement la santé /l’air comme un bien public mondial commun. Il a été difficile de faire adopter cette notion de bien commun de l’air dans les négociations climatiques, le Covid 19 permettra-t-il de gagner ce pari?

Par ailleurs, personne ne peut nier que l’idéologie politique, la guerre commerciale, la compétition conventionnelle avec la Chine et peut-être un peu de dénigrement de sa médecine ont quelque part déterminé la position des uns et des autres: Oui, il est dit que la Chine a dissimulé pendant un mois les informations mais nos trébuchements ont duré bien trop longtemps après que la Chine ait communiqué sur la gravité de l’épidémie, après même que le virus ait gagné plusieurs pays et après que l’organisation mondiale de la santé ait annoncé que l’épidémie est une urgence sanitaire globale le 31 janvier.

Les raisons de ces trébuchements sont multiples

D’abord le système de santé relève de la responsabilité des États et de leur souveraineté et malgré l’existence de l’OMS, il n’existe pas de mécanisme mondial multilatéral doté d’un fonds et d’un organe subsidiaire d’experts chargé d’établir la stratégie, le plan d’action et le stock mondial du matériel de sécurité et de riposte aux pandémies.

Pris de court, chaque pays a œuvré dans l’urgence et sous la pression du flux croissant des malades notamment de ceux devant aller en réanimation. Tous les pays avait un stock insuffisant des produits et outils de protection. La règle générale qui a régné au démarrage de la pandémie était: chacun pour soi et Dieu pour tous. Mieux encore, on a assisté à des détournements de matériels de protection d’un pays par un autre, à du vol ou même à des surenchères d’achat de masques sur le tarmac de l’aéroport: les masques sont tombés, la solidarité est un mot vain inexistant dans un monde pris d’assaut.

Nous n’avons réfléchi solidarité que lorsqu’on a entériné la crise, appris plus sur le virus, ses menaces aussi bien sanitaire qu’économique et social.

Un autre facteur non négligeable est le trébuchement de l’OMS elle-même 

Le 31 décembre, la Chine informe l’OMS de l’existence d’un nouveau virus dont la propagation est méconnue et incontrôlée. Ce n’est que le 31 janvier, soit un mois après que l’OMS déclare le Covid-19 une épidémie.

Le 4 février, l’OMS estime encore que l’on ne peut pas parler de pandémie et qu’il s’agissait d’une épidémie malgré que la contamination avait touché plus de 20.000 personnes dans une vingtaine de pays (Chine, Makao, Tibet, Corée du Sud, Japon, Taïwan, Cambodge, Malaisie, Philippines, Singapour, Thailande, Vietnam, Inde, Népal, Sri-Lanka, quelques cas au Canada, aux États-Unis et en Europe), de quoi justifier largement la déclaration de la pandémie.

Il fallu attendre le 11 mars pour que l’OMS déclare que le Covid 19 est une pandémie. À ce moment-là, on comptait plus de 118.000 cas dans 114 pays et 4291 décès. Mais peut on reprocher à une instance avant tout normative, et n’ayant pas le pouvoir d’imposer des règles telle une organisation supranationale, sa gestion d’une pandémie ?

Peut-on reprocher à une instance fortement politisée d’obéir aux directives de ses principaux administrateurs d’autant plus que deux d’entre eux aussi puissants l’un que l’autre sont toujours en compétition ?

Les tiraillements entre la Chine et les Etats-Unis dans le cadre de l’OMS aurait de dramatiques répercussions, notamment une gestion déficiente de futures pandémies, avec à la clé un nombre affolant de victimes. Avec le Covid-19, l’OMS se trouve devant un test vital grandeur nature.

La forte politisation de l’organisation n’est pas sans danger: elle risque de saper sa nécessaire indépendance.

La pression de ses donateurs n’est pas non plus sans risque sur l’impartialité des décisions et des programmes, rappelant qu’aujourd’hui l’OMS reçoit plus de fonds du secteur privé que des États.

Alors il est grand temps de mettre de l’ordre dans nos désirs. L’OMS a été créée justement pour faire face aux défis des épidémies et pandémies dans le monde mais ce n’est pas en la sous-dotant de moyens financiers, d’autorité et des conditions d’impartialité qu’elle va être au rendez-vous

Le Covid-19 et toutes les autres pandémies qui ont existé avant lui nous ramène à la conclusion: si L’OMS n’existait pas, on devrait la créer… alors il est temps de réformer cette instance et de revoir ses allocations budgétaires, ses donateurs et de lui reconnaître toutes les avancées qu’elle a pu réaliser en matière de santé à travers le monde