Le récit des évasions de prisonniers de guerre marocains du goulag de Tindouf, se poursuit avec le cas saisissant de Salim Moha. Malgré une première tentative manquée, ce brave soldat a réussi à rejoindre la mère patrie.
Pour le qualifier j’ai eu recours à la définition du «Petit Robert » qui nous dit que l’intrépide «c’est celui qui ne tremble pas devant le péril, l’affronte sans crainte ; c’est aussi celui ne se laisse pas rebuter par les obstacles, un homme hardi et déterminé».
Déterminé, Moha l’ était vraiment. Il ressemble à ses berbères (je préfère le mot chleuh) du Haut Atlas de la région montagneuse de Béni Mellal. Des hommes purs et durs.
Moha un simple soldat qui fut capturé comme prisonnier de guerre durant la grande opération de Ras el Khanfra en 1980. Il faisait partie d’un groupe envoyé à l’endroit où un Mirage F-1 fut abattu par un missile pour essayer de récupérer le pilote (un capitaine) et cela après avoir vu scintiller une lumière croyant que c’était un SOS de sa part. Moha et ses camarades tombèrent dans une embuscade et 34 d’entre eux dont un Aspirant furent capturés.
Après avoir vécu un calvaire de deux ans dans l’enfer de Haouza où les prisonniers de guerre marocains travaillaient comme des forçats nuit et jour, Moha fut affecté au centre de Rabouni à Tindouf en construction à l’époque. Il y était resté de 1985 à 1992 date à laquelle il pensa s’évader.
Pour ne rien enlever à son histoire, je le laisse raconter au lecteur ses deux tentatives d’évasion.
Première tentative (non réussie)
(mais un exemple de courage)
«C’était moi qui avais eu l’idée en août 1992 d’organiser cette évasion. Dans le centre principal des prisonniers de guerre dit Hamdi Ba Cheikh près de Rabouni, il y avait une canalisation d’évacuation des eaux usées et des urines obstruée. Le chef de poste m’appela pour la déboucher. Ce fut fait et c’était là que j’eus l’idée d’agrandir le trou pour sortir le jour de l’évasion. J’en parlai à mon ami Mhita originaire du même patelin que moi. Il revint à moi quelques jours plus tard pour m’apprendre qu’il avait une jeep qui était en réparation tout près du centre. Des mécaniciens prisonniers dont Abdelaziz Brioul (mécanicien principal) étaient chargés par le chef du centre de la réparer. Je les mis au parfum et tout le monde accepta.
Le 21 novembre 1992 à une heure du matin, nous sortîmes par le trou que j’avais déblayé et agrandi à la tombée de la nuit. Nous étions huit au total. Nous nous faufilâmes le long de la tranchée derrière le mur pour rejoindre le véhicule qui avait été préparé la veille par l’équipe des mécaniciens. Une fois dehors, deux étaient allés chercher du carburant et firent le plein. D’autres allèrent se procurer deux pneus de secours. Comme nous n’avions pas les clés de contact, le mécanicien Brioul débrancha les fils du démarreur pour les brancher directement sur les cosses de la batterie. Malheureusement et selon Brioul, un autre mécanicien qui tenait le capot laissa tomber par inadvertance la tige qui retenait le capot sur les deux cosses de la batterie. Il y eut un cours circuit et la batterie ne donnait plus rien: soit brulée soit complètement déchargée. Le sergent Sammer tenta de ramener une autre batterie du garage mais en vain.. C’était donc fini !! Il était 4 heures du matin. Nous n’avions pas d’autre choix que de revenir au centre passant par le même trou».
Le lendemain certains parmi les huit avaient été bavards. Et la garde fut au parfum de leur tentative d’évasion. Ils furent ligotés et emmenés à la direction des services de sécurité avec un bandeau sur les yeux. Là ils furent enquêtés séparément et torturés. De là ils furent transférés à la « fameuse prison Dkheil » dite aussi prison « Rachid » où ils furent jetés dans des cellules individuelles toujours ligotés. Des cellules qui font un mètre sur un mètre et sur une hauteur où il était impossible de se tenir debout. Comme aération, une boite de conserve en haut du plafond, percée de quelques trous.
Ils y subirent un calvaire d’un mois. Le sergent Sammer Abdellah, de par son grade, fut accusé d’être l’instigateur principal. Il fut très malmené par les tortionnaires. Suite au langage dur qu’il leur tint, l’un deux lui porta un coup dur sur la tète avec une barre métallique dont la blessure avait mis longtemps à cicatriser et dont il porte toujours les séquelles.
Les autres cas de mauvais traitements et de la torture seront mentionnés dans le chapitre « traitement des prisonniers de guerre marocains chez le polisario ».
Sortis de la prison « Rachid » les huit connurent des destinations différentes: deux étaient très malades et furent ramenés au dispensaire au centre principal dit Hamdi Ba Cheikh. Sergent Sammer fut mis en cellule au centre 9 juin. Les cinq autres dont Salim Moha furent affectés aux travaux forcés dans une école dite « Ammi » qui était encore en construction à quelques kilomètres du centre principal. Après trois mois on les transféra à Mhiriz près de Tifariti au Sahara. Après 20 jours ils furent emmenés très loin en Mauritanie à l’Est de Zouirate pour creuser des puits. Le polisario avait ramassé son cheptel de chameaux au nord de la Mauritanie, soit aux alentours de Zouirate soit à Oum Chiaf à plus de 150 km Est Zouirate où travaillaient six autres prisonniers marocains. Suite à l’évasion réussie de ces six prisonniers en 1993, Moha et ses camarades furent ramenés dare dare à la base arrière de la 4ème région militaire du polisario à 15 km de Rabouni où ils furent maintenus à faire des travaux de tous genres de 1993 à 1997 date de la deuxième évasion. Celle-là était réussie !
Deuxième tentative de Moha (réussie):
Pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur, je le laisse lui-même vous raconter son épopée. « Je n’avais jamais cessé de penser à m’évader ni perdu l’espoir de revoir un jour mon pays et ma mère. Le calvaire que nous vivions en terre algérienne avait également fortifié notre amour et notre attachement à notre patrie.
Nous étions dans ce centre où transitaient les combattants du polisario venant du Sahara. C’était un passage obligé pour eux où ils déposaient leurs paquetages et leurs armes avant d’aller en permission. Il y avait là en permanence une quarantaine de combattants.
Le jour de l’Aid el Fitr de 1997, des militaires polisariens visitèrent le centre qu’ils quittèrent d’ailleurs le jour même laissant à la garde un land rover Toyota presque neuf. Tout le monde était parti en permission à l’occasion de l’aïd. Nous étions donc 5 prisonniers sous les yeux vigilants de 5 gardiens. C’était donc l’occasion unique ! Après quelques hésitations, je n’eus pas de peine finalement à convaincre mes camarades de la nécessité de profiter du véhicule pour nous évader. En effet avec une Toyota, nous étions à moins de deux heures du mur de défense marocain. Nous vivions dans une cave couverte de zinc. Nous avions attendu que le gardien descendît de la tour pour rejoindre en bas ses 4 camarades. Au moment où deux d’entre eux étaient en train de remplir des futs d’eau de la citerne, je sortis suivi de mes camarades et fonçâmes sur eux pour neutraliser le plus costaud que nous ligotâmes. Deux autres, assez âgés eurent peur et se sauvèrent dans la direction d’un hôpital militaire situé à une quinzaine de kilomètres de là. Pendant ce temps mon camarade sergent Belghiti tentait d’ouvrir en vain le magasin d’armement. Je dus casser le cadenas avec une barre de fer. Je pris au hasard un nombre de kalachnikovs que je jetai dans le véhicule. Très vite nous découvrîmes qu’ils ne possédaient pas de percuteurs. L’un des deux garde échappa à mes camarades et commença à me jeter des pierres, mais fut tout de suite neutralisé par mes camarades. Je repartis au magasin. En fouillant dans tous les sens je pus trouver une kalachnikov avec chargeur. J’armai et tirai : la balle partit. Quel fut mon soulagement !!Je sortis en courant et rejoignis mes camarades. Les deux autres gardes étaient déjà ligotés. Nous n’avions pas les clés de contact. Mais notre ami Sehmoudi, un mécanicien averti sut neutraliser le système de verrouillage et sut mettre le véhicule en marche. On prit un petit tonneau de 50 litres plein de carburant. Un de nos camardes, un vieux d’origine des ait Baamrane, se désista. Nous primes donc la route à quatre.
Il devait être 13 heures. Nous partîmes dans la direction nord avec l’idée qu’une fois Tindouf en vue, on devait virer à gauche plein Ouest pour atteindre rapidement la ceinture à 35 km de la caserne marocaine de Mahbas. Nous savions de la part d’autres camarades où se trouvait la ceinture de l’armée algérienne.
Lorsque le premier réservoir de la Toyota fut vide, le moteur s’arrêta parce que le chauffeur pourtant chevronné, avait oublié de brancher le deuxième réservoir. Il était impossible de redémarrer le moteur. Il y avait une prise d’air nous confia le chauffeur et il n’avait d’outillage pour l’éliminer.
Il devait être un peu plus de 14 heures. A ce moment nous décidâmes de nous séparer. Mes camarades partirent d’un coté et moi de l’autre parce que j’étais sûr que si le polisario nous rattrapait, pour moi et compte tenu de mon passé, ce serait la mort. A un moment donné-je crus que c’était ma fin. Mais je repris mon souffle et mis ma confiance en Dieu. J’entamai une marche rapide en fils de la montagne. Je mis une seule image devant mes yeux, celle de ma mère et la scène des retrouvailles avec ma famille. J’avais pu franchir discrètement la ceinture algérienne et évité deux autres postes algériens, le crépuscule aidant. Nous étions au mois de février et la nuit tombait très tôt. J’avais très soif. Je mangeai des feuilles de plantes vertes que je ramassais au hasard de nuit sur mon chemin. Je savais que j’étais au niveau de Tindouf que j’avais laissé assez loin sur ma droite. Je virai à gauche et pris la direction plein Ouest. Je fis un petit calcul dans ma tète : On avait déjà mesuré la distance Mahbas-Tindouf ( 120 km) sur une carte lors de la première tentative de 1992. Le mur était à 35 km de Mahbas. Comme je devais être déjà à 50 km du centre d’où nous nous étions évadés, il devait me rester encore une trentaine de km à franchir avant d’arriver au mur. Donc c’était faisable avant le lever du jour. J’avais marché jusqu’à 21 heures.
Tout à coup je vis devant moi une ligne noire, continue, assez haute. Je fus intrigué. Je continuai à marcher pieds nus. Soudain je tombai dans un fossé. Je remontai et ce fut le barbelais. Je sus à ce moment que c’était le mur de défense. Je pus me frayer un passage en soulevant le barbelais et je pus passer par-dessous. Je savais que je courrais un risque énorme à cause des mines ou même d’être tiré par une sentinelle. Soudain j’entendis des gens parler non loin de moi. Je tendis l’oreille. Quelle fut ma joie quand je reconnus le dialecte marocain. C’est à ce moment que je décidai de les appeler. Un sergent chef me reçut chaleureusement. Il ordonna à ses hommes de me préparer du thé et de me chauffer l’eau pour un bain des pieds. Je n’eus réellement conscience que j’avais réellement ressuscité que lorsque je fus reçu par un adjudant qui m’emmena chez son capitaine. Après quelques questions d’usage, je fus emmené chez un colonel qui ordonna qu’on me soignât avant d’être transféré à l’Etat Major de la Zone Sud à Agadir.
J’étais simple soldat ; à mon arrivée je fus promu au grade de caporal chef. Puis plus rien après jusqu’en 2004 date à laquelle je fus mis à la retraite avec ce même grade de caporal chef.
Dans tous les cas d’évasion traité jusqu’ici j’ai remarqué que le commandement, pour récompenser ces militaires qui firent pourtant preuve d’un grand courage et d’une grande audace pour avoir organisé des évasions épiques, fut très avare dans leur avancement. Il a certainement fait le raisonnement suivant: quel grade ces militaires auraient-ils eu le jour de leurs évasions s’ils n’avaient pas été capturés. Pour prendre le cas de Moha, à son retour au Maroc, le jour de son évasion, il devait totaliser à peu près 18 années de service, durée largement suffisante pour un soldat de sa trompe d’être caporal chef sur le point de passer sergent. Au lieu de les considérer comme des héros donc des cas exceptionnels sur le plan de l’avancement et des décorations, le commandement les a tous considérés des cas normaux comme tous les autres militaires de l’armée royale. Ce fut là une occasion ratée pour rehausser le prestige de notre armée et de montrer la bravoure de ses soldats.