GOULAG DE TINDOUF: ÉVASION SPECTACULAIRE DE SEPT PRISONNIERS DE GUERRE MAROCAINS (PAR ALI NAJAB, EX-PILOTE DE CHASSE)

Dans ce nouvel épisode de la saga épique des prisonniers de guerre marocains évadés du goulag de Tindouf, racontée par l’ex-pilote de chasse Ali Najab dans son livre « 25 ans dans les geôles de Tindouf: mes mémoires d’un prisonnier de guerre », vous retrouvez le cas de sept soldats ayant réussi une évasion spectaculaire. Récit.

Une évasion spectaculaire: (ses auteurs : sept soldats)

Leurs noms:

Guerjou Moha : caporal

Faraji Ziad

Zhar Ali

Gasmi Iich

Aziz Mohammed

Labzioui Benacer

Rouidi Mohammed

Ils font tous partie des unités des FAR à l’exception de Zhar Ali qui est mokhazni des Forces auxiliaires. Guerjou est caporal, les autres sont tous de simples soldats deuxième classe.

Ils faisaient partie d’un groupe de prisonniers de guerre marocains, environ une soixantaine, qui travaillaient dans un centre dit El Hanafi ou encore « Centre Ould Chrif ». C’est un centre où était stocké tout l’armement que le polisario recevait d’Algérie, de Libye et d’autres pays de l’Est.

L’affectation de ces prisonniers de guerre dans ce centre était définitive. Ils étaient logés sur place. En cas de maladie grave, on faisait venir un infirmier pour les soigner sur place.

À cause de l’importance des stocks de l’armement varié et sophistiqué qu’ils déchargeaient à l’arrivée et rechargeaient à destination du front, les prisonniers étaient toujours consignés à l’intérieur du centre et tout contact avec l’extérieur du centre leur était interdit sous peine d’une punition sévère qui pouvait conduire jusqu’à la torture, jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Le caporal Guerjou et ses camarades y travaillaient jour et nuit depuis déjà trois ans. Ils avaient repéré les magasins d’armement léger, des munitions, du carburant, etc. Ils connaissaient également l’état des véhicules légers d’utilisation courante comme les jeeps dont ils étaient chargés d’assurer l’entretien régulièrement.

C’est dans ces conditions que l’idée d’évasion germa dans l’esprit du caporal Guerjou, l’instigateur. « L’idée de m’évader, raconte-t-il, me vint à l’esprit trois mois avant le jour J ».  Il en parla d’abord à un seul de ses camarades, Zhari Ali, plusieurs fois. Dans un premier temps ils pensèrent à faire évader l’ensemble des prisonniers au nombre de 59. Mais cette idée fut vite abandonnée à cause du risque qu’elle fut très vite répandue de bouche à oreille. La liste fut réduite à 12. Mais cinq se désistèrent. La liste définitive fut donc ramenée à sept. Immédiatement ils se mirent à préparer l’évasion. Guerjou raconte:

« Sur le plan moral, je disais à mes camarades qu’il faut garder à l’esprit que le but de l’évasion est d’arriver au Maroc. Donc revenir sur sa décision soit au cours de la préparation soit au cours de l’évasion elle-même, est un suicide. Si l’évasion présente des risques, ces risques valent la peine que nous les prenions pour échapper au calvaire que nous vivons tous les jours aux mains d’un ennemi sans pitié. Et puis nous n’allons pas continuer à charger de l’armement et des munitions destinés à être utilisés contre notre propre armée ».

Ce discours joua le rôle de catalyseur et renforça la cohésion du groupe.

Ils définirent les moyens comme suit :

1- L’armement: dix kalachnikovs

2- Munitions: deux caisses (au total 2400 cartouches de 7,5 mm

3- Soixante grenades offensives et défensives

4- Un bidon d’acide chlorhydrique.

5- Du TNT.

6- Des poignards et des matraques.

7- Des boîtes d’allumettes.

8- Un véhicule: une jeep 109 avec une boîte d’outillage, cric et du carburant.

Il fut décidé de se procurer tous ces moyens et de les mettre dans une cachette à l’exception des fusils, des munitions et de la jeep qui ne seront pris qu’au moment du départ.

Ils formèrent deux équipes. Chacune devait, juste avant le départ, exécuter avec précision la tache qui lui était assignée. Il fut décidé de sortir du centre vers 3 heures du matin après le lever de la lune. Le choix du mois de février était propice car durant cette période le polisario était occupé à préparer la commémoration de la fête du 27 février.

L’évasion proprement dite:

Le 26 février 1984, Guerjou fit le tour de ses sept camardes pour s’assurer qu’ils étaient tous prêts physiquement et moralement et que les préparatifs étaient bien au point. Le départ fut fixé au lendemain (27 février) à 3 heures du matin.

A 2 heures ils creusèrent un trou de 60cm sur 50cm pour sortir de l’enceinte où logeaient les prisonniers. Une fois dehors, Ils se trouvaient au cœur du centre où était stocké tout le matériel de guerre soit dans des magasins soit à l’air libre sur des plateformes cimentées. A partir de ce moment chaque équipe partit exécuter les taches qui lui étaient assignées.

Trois partirent chercher les deux caisses de munition, les grenades et les autres produits. Les quatre autres allèrent ramener les 10 kalachnikovs. Une fois ce travail terminé selon le timing prévu, Guerjou fit l’appel pour s’assurer que tout le monde était présent.. Immédiatement après ils se dirigèrent au garage pour prendre la jeep 109 et faire le plein de carburant. Avant de quitter les lieux, ils eurent l’idée géniale d’enfoncer le tuyau de la citerne d’essence dans un tas de sable et d’abandonner le robinet ouvert pour vider la citerne pour qu’en cas de poursuite le lendemain, les gardiens du polisario n’eurent pas de carburant pour les poursuivre. Guerjou raconte:

« Comme j’étais chauffeur, je pris le volant. Nous partîmes dans la direction nord pour atteindre rapidement la route goudronnée reliant la ville de Tindouf à celle de Bechar.  Après 21 km, avant même d’atteindre la route,, nous nous trouvâmes en face d’un poste de contrôle algérien entre Tindouf et le camp des réfugiés dit Laâyoune. Chacun de nous arma son fusil pour face à toute éventualité. Un des soldats algériens nous aperçut et partit avertir ses camarades. Il y eut un moment de cafouillage chez les soldats algériens. Cela nous permit d’accélérer et de nous éloigner en déviant de notre route pour leur échapper.

Nous traversâmes la route goudronnée Tindouf- Bechar au point 40 km. Nous déviâmes à gauche dans la direction du point de passage obligé dit « Margala » sans avoir l’intention de passer par là parce que nous savions que c’était un poste algérien: L’un de nous le connaissait pour avoir souvent patrouillé dans la région avant d’être capturé.

A 6 km de « Margla », nous décidâmes d’abandonner la jeep pour être plus discrets.  Mais nous primes nos fusils, les munitions, les grenades avec nous. Il était 6 heures du matin. Comme il allait très bientôt faire jour, nous nous éloignâmes de Margala pour éviter les soldats algériens. Nous continuâmes à pied pour un moment. Puis nous décidâmes de nous terrer sur un piton dominant les alentours. Nous y sommes restés jusqu’à la tombée de la nuit. Nous marchâmes toute la nuit laissant le poste algérien Foum Laachar à gauche. Nous arrivâmes au lever du soleil à la chaîne de montagnes Ourk Ziz qui domine oued Deraa sur lequel nous nous dirigeâmes.

Nous étions épuisés d’autant plus que nous n’avions rien mangé comme nous n’avions pas d’eau non plus. Heureusement, nous nous trouvions par hasard face à face avec le point de contrôle marocain rattaché au centre d’Al Ghazoua. Nous n’étions convaincus que le poste était marocain que lorsque nous entendîmes des soldats parler le dialecte marocain. Nous commençâmes par leur faire des signes avec nos « chachs ». Notre rencontre avec les soldats marocains eut sur chacun de nous un effet bizarre. Nous avions la sensation d’être nés une deuxième fois. Certains parmi nous rejoignirent après être restés à distance le temps de s’assurer qu’ils étaient bien en territoire marocain.

De là nous fumes transférés tous les sept au poste dit Al Ghazouia puis au poste Iich où le Commandant de la localité nous accueilla comme des héros et nous fit une belle réception. Sans trop tarder, nous fumes transférés à l’Hôpital Bou Izakarne pour y subir une visite médicale avant d’être transférés à l’Etat-Major de la Zone Sud à Agadir ».

Nos sept héros subirent une enquête d’un mois. Ensuite on les ramena à Agadir. Ils déposèrent une demande d’audience à Sa Majesté le Roi. Cette demande leur fut refusée leur promettant de voir Sa Majesté plus tard. Pour les éloigner un peu plus de Rabat, on les muta à Laâyoune où ils étaient restés deux ans portant toujours le même grade qu’ils avaient le jour où ils furent pris prisonniers. A l’issue de ces deux années et après s’être plaints, ils furent promus tous les sept au grade de caporal chef c’est-à-dire pour Guerjou, l’instigateur de cette évasion héroïque, un seul grade par rapport à celui qu’il portait déjà. Il fut maintenu dans l’armée. Et ce n’est que sept ans plus tard qu’il fut promu au grade de sergent et cinq ans plus tard au grade de sergent chef qu’il garda jusqu’à sa mise à la retraite en 2004.

Que voulez-vous qu’il lui arriva ? il fut atteint comme tous les prisonniers de guerre marocains qui se sont évadés ou rapatriés par le CICR, d’un syndrome de stress post –traumatique connu sous l’appellation anglo-saxonne de PTSD (post Traumatisme Syndrome Disease).