Colombie: des présidentielles atypiques augurant d’un tournant historique

Par Khalid ATTOUBATA*

Une polarisation inédite, une conjoncture politique atypique et une gauche déjà euphorique. Les présidentielles colombiennes de ce dimanche pourraient marquer un tournant historique dans ce pays sud-américain qui ne jure que par la droite.

Dans ce pays mondialement connu pour le conflit interminable entre son armée et des groupes paramilitaires prolifiques, qui veulent avoir la mainmise sur le trafic international de drogue, c’est un ancien guérillero qui est donné favori à l’emporter et à permettre au passage à la gauche d’accéder au pouvoir pour la première fois de l’histoire du pays.

Gustavo Petro, de l’alliance du Pacte Historique, a terminé sa campagne sur un ton confiant, après les soutiens dans la dernière ligne droite qu’il a reçus de certaines figures du centre. Son poursuivant immédiat dans les sondages, Federico Gutiérrez, de l’Equipe pour la Colombie » (droite) nourrit l’espoir de renverser la tendance au deuxième tour, prévu le 19 juin prochain.

La campagne présidentielle avait également pris un nouvel élan avec la montée dans les intentions de vote du populiste Rodolfo Hernández (indépendant), conforté par le soutien de l’ancienne candidate Íngrid Betancourt, qui s’est retirée de la course présidentielle à quelques jours de la fin de la campagne.

Après les déboires dans le comptage des bulletins lors des élections législatives du 13 mars dernier, le Registre de l’état civil, chargé d’organiser les élections, a procédé à une simulation de vote pour rassurer les candidats, notamment Gutiérrez qui a avait appelé à un audit polémique du scrutin.

« Nous donnons toutes les garanties, l’accès à l’information est totalement garanti. Le logiciel de comptage a fonctionné tout à fait normalement », a rassuré le registraire national, Alexander Vega.

L’autorité électorale tentait d’apaiser les tensions issues d’une méfiance croissante à l’égard du système. Gutiérrez s’est dit mercredi dernier « très préoccupé » par l’absence d’audit externe international aux élections de ce dimanche.

Comme dans une partie d’échecs, les candidats se sont investis dans un jeu d’alliances visant à mettre toutes les chances de leur côté. Le mouvement de Betancourt, qui n’était crédité que de 1% des intentions de vote, a décidé de se retirer et de soutenir Hernández.

La candidature de Betancourt, seule femme dans la course présidentielle, a duré 111 jours depuis qu’elle a annoncé le 29 janvier qu’elle quittait la coalition « Centre de l’Espoir », qui a finalement choisi Sergio Fajardo pour représenter un centre affaibli par les divergences.

De son côté, Petro fait preuve de confiance, se disant pouvoir l’emporter dès le premier tour. Le candidat de gauche a célébré aux extra times de la campagne le ralliement de l’ancien secrétaire du gouvernement de Bogotá, Luis Ernesto Gómez, qui a affirmé après sa démission la semaine dernière que « la Colombie est, une fois de plus, à la croisée des chemins » et que « la cohérence » l’a amené à prendre cette décision.

Gómez était l’un des hommes forts de la maire de Bogotá, Claudia López, qui est l’une des figures du centre les plus critiques de Petro. Elle s’est rangée du côté de Sergio Fajardo (Centre de l’Espoir, centre), un professeur universitaire qui est crédité de 5% des intentions de vote.

Outre Gómez, Petro a pu s’offrir « deux des voix les plus importantes du pays », comme il les a lui-même qualifié. Il s’agit des députés Catherine Juvinao et Duvalier Sánchez, l’un des plus votés de l’Alliance verte lors des dernières législatives.

Mais au-delà de la bataille politique et idéologique sans merci à laquelle se livrent les candidats, les programmes des protagonistes tendent en général à apporter des réponses similaires à des défis connus de tous en Colombie, notamment la sécurité, la corruption et le développement socio-économique et les principales revendications exprimées lors des protestations sociales en Colombie ces dernières années.

Les promesses des candidats s’articulent autour du maintien de la croissance économique -de 10,6% du PIB en 2021-, à travers le parachèvement des réformes sociales piétinantes, comme celles de la fiscalité et des retraites, deux grands chantiers législatifs pour lesquels le prochain président devra chercher l’appui du Congrès, où il se heurtera à un autre défi : la polarisation.

Mais le défi majeur reste la mise en œuvre de l’accord de paix, surtout après la recrudescence de la violence ces derniers mois et les critiques contre l’administration sortante pour son inefficacité contre les groupes paramilitaires et les narcotrafiquants.

Or, même avec certain enthousiasme à l’égard d’un possible accès au pouvoir de la gauche en Colombie, ce historique nourrit des incertitudes sur ce que pourrait être un gouvernement de gauche en Colombie et la manière avec laquelle il fera fonctionner le système institutionnel colombien à travers un changement aussi radical par rapport à la culture politique du pays.

*Journaliste MAP