LE DISCOURS DE L’ARAIGNEE (PAR MUSTAPHA SAHA)

Par Mustapha Saha*

Paris, 15 janvier 2022. Depuis deux ans, les médias ne parlent que de l’Araignée. Une araignée colossale, en perpétuelle mutation,  imprévisible, insaisissable. Elle sévit par vagues successives. Ses variants portent des noms grecs, des malédictions alphabétiques. Elle tisse inlassablement sa filandreuse arantèle. Les mouches humaines sont invariablement piégées. Plus elles se débattent, plus elles s’empêtrent dans les mailles collantes. L’araignée couronnée, assoiffée de sève cellulaire, se rapetisse, se rétrécit, se transforme en atome pour pénétrer dans les cellules de ses proies. Une Araignée algorithmique, devenue la maîtresse du monde. Elle corrompt les gouvernances, détourne les prouesses technologiques, récupère les manipulations génétiques. Elle transforme les lumières en ténèbres et les prières en oraisons funèbres. Araignée de Sainte-Odile, hérissée de boutons lumineux, brandisseuse de torches enflammées, lanceuse de grenades incendiaires. Terreur des villes et des montagnes. Rien n’arrête son entreprise dévastatrice. Les campagnes se désertent. Les villes se dépeuplent. Les maisons se vident. Les ombres se figent sur les murs. Ne persistent que les sirènes hurlantes.

Discours de l’Araignée.

Je suis invertébrée, sans squelette, sans os, juste protégée par une carapace de cuticule. Je n’ai pas de nez. Je n’ai pas d’oreilles. Mais, j’ai huit yeux. Et pourtant, je suis myope comme une taupe. Mes nombreux yeux ne sont que des lentilles. Je ne distingue directement les choses qu’à quelques centimètres. Je vois de jour et de nuit. Mes yeux d’une blancheur nacrée sont nocturnes. Mes yeux colorés sont diurnes. Mes huit pattes sont munies de poils sensoriels avec lesquels je peux toucher, percevoir les vibrations, déceler les substances chimiques, détecter les changements de température, envoyer des messages à travers mes chorégraphies subtiles. Je danse. Je chante. Je stridule dans une fréquence inaudible aux oreilles humaines. Ma soie a des qualités et des propriétés prodigieuses que les scientifiques peinent à décrypter. Mes chefs-d’œuvre sont des embuscades fatales. Le mâle, je n’en fais qu’une bouchée. Je n’ai aucune vocation d’épouse, mais je suis une mère consciencieuse. Quand le mâle m’étreint de ses palpes, il finit dévoré en plein élan.

Je suis une ascète. Je peux tenir un jeûne pendant plusieurs semaines. Je suis un arthropode aux pieds articulés. Je suis un chélicérate doté de deux pinces coupantes avec des agrafes à venin. Je suis un aranéomorphe aux crochets croisés. Je suis un cribellate. Je suis un Arachnide. Nul ne sait comment je suis apparue sur terre. Ce n’est pas par hasard que Mohammed Khair-Eddine m’a choisi comme parabole de sa poésie. Il me réserve une place centrale dans sa jungle des mots. « Horoscope. La roue du ciel tue tant d’aigles hormis toi / sang bleu / qui erres dans ce coeur oint de cervelle d’hyène / voiries simples – du mica dérive une enfance fraîche / et scinques mes doigts de vieux nopal / en astre noué péril à mes nombrils / vieux nopal / mal couronné par mes rêves de faux adulte / sans chemin / le simoun ne daigne pas réviser ma haine / pour qui je parle de transmutations en transes / pour qui j’érige un tonnerre dans le mur gris du petit jour / cadavres – que parmi le basilic où je me gave / du cambouis des peurs géologiques / s’ouvre en volte-face / l’oubliette qui me démange sous l’ongle du pouce / la roue du ciel et les pucelles à bon marché / par les barreaux fétides de la cage de ma gorge / par ma voix de marécage endossant subrepticement / une histoire d’anse perlière / par le lait amer des pérégrinations / je vous crève famines de pygmée / dans un rythme où les mains se taisent / je vous écrabouille /  hommes-sommeils-silos-roides / vous dégueulez nos dents blanches salissant / la vaisselle onéreuse de par mes sangs sacrés / du midi exigu d’où fuse mon tertre populeux / terre sous ma langue / terre / comme la logique du paysan / silence sciant les têtes de lunes tombant / dans mes caresses de serpent / et mors à même les lèvres noires du douanier / giclé d’un hors bâtard de seps corruptible / reste ami quand même / canaille de tous temps / de tes serrements d’algue vétuste / de tes normes / de tes soldes de nom ayant gardé / un éclat du pur cristal des noms / de ces bouges plein tes vingt jambes / de ton humidité / sors comme une aile / l’Europe te fabrique un asthme de sable / et de gouttières / l’Europe / avec sa queue de rat fatal / sors pour entendre le dernier acte de l’hiver / le miracle ne soudoie pas la roue du ciel » (Mohammed KhairEddineSoleil arachnide, éditions du Seuil, 1969 ).

Depuis des millions d’années, je suis tour à tour adulée, abominée, idolâtrée, anathématisée, fétichisée, encensée, damnée, louangée, blasphémée, glorifiée, excommuniée. Je vous révèle les ressorts indévoilés de mon omnipotence, ma fragilité trompeuse. Je suis génétiquement outillée pour les reviviscences, les résurrections,  les palingénésies, les réincarnations. Mes pattes locomotrices, fines et délicates, sont d’une extraordinaire agilité. Elles sont montées sur amortisseurs. Elles sont parfaitement synchronisées. Elles peuvent se briser comme des porcelaines et se reconstituer intégralement.  Vous me confondez avec vos insectes honnis. Avec vos pesticides, vos alexitères, vos molécules prodromiques, vos acides ribonucléiques messagers, vous croyez m’anéantir. Aujourd’hui, je ressuscite dans la peau inexpugnable du coronavirus.

Le bonze et l’Araignée.

Halte à Patan, Népal. Je demande au bonze Caudhari, retiré depuis ses jeunes années dans une grotte, de me dire les secrets de l’Araignée.  Il m’apprend que l’Araignée règne désormais sur toute la terre. Elle est l’interconnectrice universelle, la téléportatrice de virus insurmontables. Elle agit sous l’autorité morale de monstres sacrés, les seuls dont le grimoire des tyrans ait retenu les génocides, des immortels retirés dans des donjons inaccessibles, portant jour et nuit leur uniforme incrusté d’étoiles ensanglantées, projetant de loin leurs faisceaux contaminateurs. Toutes les gouvernances du monde sont impliquées dans le jeu de massacre, d’où n’échappent que les mathématiciens incollables, les désobéissants inébranlables, les endeuillés inconsolables. L’Araignée code, filtre, contrôle toutes les informations émises sur la planète. Aucun mot, aucun symbole, aucun signal n’échappe à sa vigilance.   

A mon grand étonnement, le bonze sort de sa bibliothèque, encastrée dans la roche, un livre qui m’est familier. Il me dit : « l’Araignée fonctionne selon les combinaisons rhizomiques explicitées par Gilles Deleuze et Félix Guattari dans leur ouvrage Mille plateaux ». Elle est ubiquitaire, énigmatique, inscrutable. Elle ne se rattache à aucune racine. Elle se joue de toutes les médecines. Elle surgit n’importe où, se multiplie, se dissémine. Elle disparaît, reparaît sous multiplicités linéaires. Elle se segmentarise, se stratifie, se déterritorialise, se confond avec ses sillages, se réincarne dans mille avatars. L’Araignée est une antimémoire. Elle procède par démultiplications continuelles, variations perpétuelles, invasions  ponctuelles. Elle contrarie les certitudes cliniques, renverse les courbes statistiques, contrecarre les études épidémiologiques. Elle échappe aux géo-positionnements par satellite. Elle se métamorphose en puce incessamment modifiable, démontable, modulable, en extension, en rétractation, animée par un flux d’énergies vouées à une irrémédiable extinction. Elle ne se fixe pas. Elle ne s’implante pas. Elle contagionne et disloque les destinées. Elle dévie de leurs trajectoires les devenirs prometteurs.  Elle désintègre les modélisations technocratiques. Elle déséquilibre les institutions, les administrations, les rouages étatiques. Elle abolit les constitutions, les conventions, les sémiotiques, les significations, les communications, les vies privées, les aspirations objectivées. Elle détraque les certitudes scientifiques. Elle démantèle les corpus théoriques. Elle obsolétise les  transcendances et les immanences, les éthiques et les didactiques, les doctrines et les vitrines, les omnisciences et les bonnes consciences. Elle ne s’énonce pas. Elle ne s’élucide pas. Elle est l’omnipotence absolue en implosion annoncée. Elle est le suprême simulacre de l’ordre néolibéral en décomposition avancée.

Le bonze Caudhari ajoute : « Pour ma part, je me contente des araignées de l’ancienne génération, en voie de disparition. Elles me tiennent compagnie dans ma caverne. Quand le grand froid s’installe, je les vois se regrouper sous une même toile. Je ne sais pas ce qu’elles complotent. La montagne m’apprend la musique des vents. Les araignées m’apprennent le silence ». Un souvenir de lecture me revient à l’esprit, Le Silence, un article de Maurice Maeterlinck : « La parole est du temps, le silence est l’éternité. Nous ne parlons qu’aux heures où nous ne vivons pas, dans les moments où nous nous sentons à une grande distance de la réalité. Dès que nous parlons, quelque chose nous prévient que des portes divines se ferment quelque part. Les paroles passent, mais le silence, s’il a l’occasion d’être actif, ne s’efface jamais. La vie véritable, la seule qui laisse quelque trace, est faite de silence. Il y a un silence passif, qui n’est qu’un reflet du sommeil, de la mort, de l’inexistence. C’est le silence qui dort, et tandis qu’il sommeille, il est moins redoutable que la parole. Mais, une circonstance inattendue peut l’éveiller soudain. Et alors, c’est son frère, le grand silence actif qui s’intronise. Soyez, dès lors, en garde. Deux âmes s’éteignent. Les parois s’écroulent. Les digues se rompent. La vie ordinaire laisse place à une vie très grave, sans défense, où plus rien ne sourit, où plus rien n’obéit, où plus rien ne s’oublie. (Maurice Maeterlinck, Le Silence, 1896,  in Le Trésor des humbles, éditions Mercure de France, 1920).

2

Métamorphoses.

Quelle mouche a piqué Friedrich Nietzsche pour qu’il me fasse allégorie de l’éternel retour ?  Il me piste. Il me guette. Il me scrute. Il m’épie. Il m’attribue tous les rôles, bénéfiques et maléfiques. Il m’affuble de tous les vices. Il me gratifie de toutes les vertus. Il tatoue de mon signe le front du juge. Je suis, à ses yeux, le véritable visage de la justice. Je sème le ciel d’orages de la vengeance. J’arrache les masques des hypocrites, des opportunistes, des  arrivistes. Je débusque les envieux, les cupides, les vaniteux, les perfides, les rapaces, les sordides. Il  me  qualifie d’araignée venimeuse, tapie dans ma caverne, calomniatrice du monde, allumeuse de bûchers. Il prétend savoir mes transformations, mes métempsychoses, mes anamorphoses, mes mutations, mes transfigurations, mes transmigrations. Il me flatte. Il m’exorcise. Il me parabolise. Il me romantise. Il me transmute en  métaphore. Il me défie. Il méconnaît ma musique ensorceleuse. Il ignore ma danse merveilleuse, ma ronde périlleuse. Dans ma grotte, se dissimulent  les sagesses condamnées, les  connaissances abandonnées, les rêveries damnées. Je transparais en filigrane sur chaque page de ses livres. Je glisse entre les lignes. Je me couvre de couleurs phosphorescentes. Je suis l’éternel retour. Je suis le présent perpétuel. Je suis sa succube, sa dragonne, sa démone. Il fulmine. Il tempête. Il invective les dieux. Il les trucide. Je tisse inlassablement ma toile. Par une nuit orageuse, embrasée d’étoiles filantes, de comètes rutilantes, Friedrich Nietzsche prend d’assaut mon repaire. Je le mords au doigt. Il revient à la charge. Il veut s’accaparer mon secret. Je n’en fais qu’une bouchée.

J’existe depuis l’origine du monde. J’ai connu les dinosaures, les baluchithères, les mammouths des steppes, les ours des cavernes,  les bisons des steppes, les mégacéros et toutes les créatures disparues et tous les mammifères pérennisés par la nature. Les chinois ont retrouvé des fossiles de mes ancêtres, des araignées géantes du Jurassique, de cent quarante millions d’années. Je me décline en cent mille espèces vivantes, tisseuses et non tisseuses. Les scientifiques n’ont recensé que la moitié de mes configurations. Je suis la plus grande prédatrice d’insectes nuisibles. Je suis prophylactique. Je suis préventive. Je suis curative de la planète. Je suis la mémoire des temps révolus. Je prolifère dans des milliers avatars. J’échappe au filet du temps. J’évolue dans la durée, sans début, sans fin. Ovide, dans ses Métamorphoses, reconstruit mon histoire à l’aune hellénique. Il me confronte à la déesse grecque de la guerre et de la sagesse. Ils me victimise. Il me coule dans le personnage d’Arachné, une tapisserie surdouée. Les nymphes désertent leurs lacs et leurs bois pour admirer mes ouvrages. Je refuse, par orgueil de pauvre,  la tutelle d’Athéna. Je la défie dans un concours. Elle représente les dieux dans leur omnipuissance et leur majesté.  Je décris  les amours divines. Je dévoile leur luxure, leur débauche, leur lubricité, leur intempérance. Leur impudicité, leur salacité. Athéna, entre deux combats sanglants, n’a qu’un passe-temps plaisant, tisser une petite draperie pour le toilettage de sa chouette adorée. Je la déleste de son expertise. Elle se met dans une terrible colère. Elle lacère mon œuvre. Je me pends à une corde suspendue au plafond. Elle est prise de remords.  Elle me rend la vie. Elle me transforme en araignée. Elle me condamne à broder des toiles translucides et soyeuses jusqu’à la fin des temps.

Mon mythe, consigné dans les grimoires, remonte à l’époque archaïque des rivalités entre artisanat grec et artisanat d’Asie mineure. Pline l’Ancien me donne une ascendance lydienne dans les provinces d’Izmir et de Manisa de l’actuelle Turquie. Le poète Nonnos de Panopolis fait de moi une princesse perse. Je suis associée par d’autres chroniqueurs au devin aveugle de Thèbes, Tirésias, qui garde le don de prophétie jusqu’aux Enfers où Ulysse se déplace pour le consulter. Je suis sa confidente. Tirésias accablé des pires malheurs.  Transformé en femme après avoir tué la femelle d’un couple de serpents entrain de s’accoupler. Il ne reprend son genre masculin que sept ans plus tard après avoir tué le serpent mâle. Tirésias rendu aveuglé par la cruelle Athéna parce qu’il l’a épiée entrain de se dévêtir pour prendre son bain. Nous avons cette rancœur en commun. Tant de philosophes me pensent. Tant de poètes me chantent. Tant de mauvais esprits me vilipendent. Je suis gardienne des nitescences stellaires, des soirées crépusculaires, des éclipses solaires, des visions spéculaires.

Ecritures.

Je suis l’écriture. Je suis la calligraphie. Je suis l’âme des poètes. Je suis l’aura  des mages, des devins, des oracles. Des pensées inimaginables, des prosodies insoupçonnables surgissent de mon arantèle. Je suis la sentinelle des songes. Je suis la muse. Stéphane Mallarmé me perçoit  éblouissante sous les étoiles. Il se baptise poète-araignée. Je suis le fil d’Ariane de Paul Valéry. Je suis Clotho, la fileuse des destins. René Char me voit rayonnante dans la nuit comme un soleil. Je trace en pesanteur ma route dans le firmament. Je suis le masque toujours changeant. Chacune de mes apparitions est un masque. Je suis dionysiaque. Le masque, la ruse, la dissimulation, le stratagème,  le subterfuge, la simulation sont des lois de la nature. J’en fais mes préceptes. Je suis le mal et son contraire. Mon poison est un élixir, un électuaire, un antidote. Les poètes se régénèrent de mon nectar.  Je tais mes mystères.  Les philosophes portent des masques de prophètes. Ils se sacralisent. Ils se divinisent. Ils scandent leurs mots comme des sentences. Ils vaticinent. Ils présagent. Ils disparaissent. Leurs paroles au loin les suivent. Ils occultent leur existence. Ils effacent leur vie. J’oppose au masque de la philosophie la philosophe du masque. Les philosophes ne sont que des concepts. Gilles Deleuze est un masque. Michel Foucault est un masque. Jean Baudrillard est un masque. Jacques Derrida est un masque. Jean-François Lyotard est un masque. Jean-Luc Nancy est un masque. Je les ai connus. Je les ai fréquentés. J’arpente leurs sillages. Ils ne pensent qu’à leurs livres. Rattrapés de leur vivant par leur postérité. Des concepts errants dans la sensation du déjà vu. Le marketing fructifie leurs simulacres. Socrate est le premier démiurge de la déchéance humaine. La vie mise en accusation par l’idée, jugée par l’idée, condamnée par l’idée, châtiée par l’idée, rachetée par l’idée. L’être arraché à la nature, dépossédé de sa propre nature. Les socratiques culpabilisent l’existence. Ils la dénaturent. Ils la moralisent. Ils la politisent. Ils la dépouillent de ses valeurs essentielles, indispensables,  vitales. Ils font de la vie une faute, une douleur, une tourmente, une pénitence, une malédiction. De ma grotte, j’observe les guerres, les génocides, les ethnocides, les liberticides, les destructions massives, les boucheries humaines. Je remets sans relâche mon ouvrage sur le métier. Je tisse ma toile jour et nuit. Je purifie la terre.

Je suis l’excellence et l’ambivalence. Je suis la finesse et l’opulence. Je suis l’indolence et l’insolence. Les livres sacrés m’énigmatisent. Je murmure à l’oreille des visionnaires. Je magnifie leurs stances et leurs versets. Je suis leur égérie clandestine. Je suis la voix intérieure des nabis,  des prédicateurs, des déclamateurs, des rhéteurs, des harangueurs, des missionnaires, des sermonnaires, des divinateurs, des transmetteurs de vérités étranges venues des limbes cosmiques. Je leur fournis la soie des mots. Vérité de l’ineffable. L’enjeu, la croyance uniquement fondée sur la confiance. La foi écarte d’emblée la critique. La foi s’éprouve et ne se prouve pas. La fides et sa déclinaison foedus  suggèrent  un pacte inviolable, une alliance intangible. Je suis la gardienne du temple.

Je chois pour mon gîte les cavernes, les souterrains, les ruines, les catacombes, les enfoncées introuvables, les hypogées invisitables,  les alvéoles imprenables, les mausolées des saints. Les cultures africaines me révèrent. Je suis Anansi, préparatrice de l’argile primordiale, réceptrice du souffle initial. Je suis l’archange ailé, régulateur du temps, aspergeur de rosée. Dans les montagnes atlassiennes, je suis le métier à tisser, relieur du ciel et de la terre. Le philosophe n’est-il pas une araignée du réel et de l’irréel, du l’existentiel et de l’immatériel, de l’imaginaire et de l’extraordinaire ? Ne prend-t-il pas les connaissances au piège de sa toile conceptuelle ? Emmanuelle Kant me compare à l’âme siégeant au centre du cerveau, dans un endroit d’une petitesse indescriptible, une âme, heurtée sans conséquences par les agitations des nerfs, qui se répercute dans les parties lointaines du corps. Je remue les cordages et les  leviers de la machine entière. Je suis l’âme sous-estimée du monde.

*Sociologue, poète, artiste peintre

Bio Express. Mustapha Saha, sociologue, poète, artiste peintre, cofondateur du Mouvement du 22 Mars et figure historique de Mai 68. Ancien sociologue-conseiller au Palais de l’Elysée. Nouveaux livres : « Haïm Zafrani. Penseur de la diversité » (éditions Hémisphères/éditions Maisonneuve & Larose, Paris, 2020), « Le Calligraphe des sables », (éditions Orion, Casablanca, 2021).