Par Jaouad TOUIOUEL*
Parallèlement à la Journée internationale de la femme, célébrée le 8 mars de chaque année, le débat et la polémique s’accentuent autour des problématiques et difficultés ayant marqué la mise en œuvre des dispositions du Code de la famille, en tant que mécanisme juridique portant sur les questions les plus importantes de la femme marocaine.
Après 18 ans de mise en œuvre du Code de la famille au Maroc, de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer la nécessité d’une révision globale de ses dispositions, afin d’être en ligne avec les mutations sociales et économiques au cours des dernières années, ainsi que pour s’adapter aux nouvelles dispositions constitutionnelles et conventions internationales ratifiées par le Maroc.
Le débat actuel, qui vise principalement l’actualisation et la réforme de ce dispositif juridique ou bien son amendement et sa révision, vient répondre aux voix du mouvement féministe des droits de l’Homme quant à la nécessité d’une refonte de ce code.
Dans ce sillage, le chercheur et académicien Anas Saadoun a indiqué que le code de la famille a constitué bel et bien après sa promulgation en 2004 une « révolution calme » en prenant en compte les acquis réalisés en matière d’égalité entre hommes et femmes et de consolidation des droits de l’enfant et ceux de la femme, de l’élargissement du rôle de la justice dans l’application des dispositions du code, la création de sections de justice de la famille, en permettant au ministère public d’agir comme partie principale dans les affaires familiales.
Après environ 18 ans de sa promulgation et l’application de la constitution 2011 qui a consacré le principe de la primauté des conventions internationales sur le droit interne, l’expérience de la mise en œuvre du code de la famille a engendré des problématiques et des défaillances, a souligné M. Saadoun qui est également docteur en droit de famille marocain et comparé et membre du Club des magistrats du Maroc.
Dans ce sillage, il a mis l’accent sur certains dysfonctionnements et défaillances contenus dans le code de la famille, citant à cet égard le mariage des mineurs.
Si le code de la famille a considéré que la capacité matrimoniale s’acquiert à 18 ans grégoriens révolus pour le garçon et la fille et a autorisé au juge de la famille, par décision motivée, de justifier ce mariage, la pratique a révélé que l’exception est devenue une règle, preuve en est le taux élevé des réponses favorables aux demandes de mariage de mineurs, estimées à environ 90% des demandes soumises, a-t-il expliqué.
Dans la pratique, la plupart de ces demandes concernent les filles, a-t-il avancé, pointant du doigt une mauvaise manipulation de l’action en reconnaissance de mariage, qui est utilisé comme un outil pour légaliser ce genre de mariage, dans l’absence de dispositions coercitives sanctionnant le mariage illégal des filles.
En dépit des dernières statistiques du ministère de la Justice qui révèlent une baisse des taux de mariages des mineurs, a poursuivi l’académicien, de sérieuses inquiétudes sont de mises, vu que ce type de mariage puisse prendre des formes ambiguës, soulignant la nécessité de mener une réflexion pour supprimer les articles liés au mariage des mineurs, hormis les cas de polygamie et du mariage des mineurs dans les actions en reconnaissance de mariage.
Le deuxième volet concerne le grand nombre de procédures de divorce judiciaire et de divorce sous contrôle judiciaire, et la divergence de certaines de ses dispositions d’une manière qui n’assure pas la sécurité juridique, a-t-il poursuivi, citant, à cet égard, certaines démarches procédurales liées au divorce sous contrôle judiciaire stipulant la dissolution du mariage fixée par décision judiciaire, en l’occurrence le divorce pour discorde, tandis que d’autres procédures de divorce stipulent la dissolution du lien conjugal après l’autorisation de faire dresser acte par deux adouls habilités à cet effet.
A ce propos, il a jugé nécessaire d’unifier les procédures de divorce judiciaire et de divorce sous contrôle judiciaire, partant du fait que les justiciables s’intéressent davantage à deux modes de dissolution du mariage à savoir le divorce judiciaire sur demande de l’un des époux pour raison de discorde(Chiqaq) et le divorce par consentement mutuel.
Le troisième point concerne l’expertise génétique dans les affaires de filiation. En fait, bien que le code de la famille ait pris l’expertise génétique comme moyen pour prouver la filiation paternelle ou la réfuter, le seul fait de la limiter aux raisons de rapports conjugaux (Al Firach), de l’aveu du père (Iqrar) et des rapports sexuels par erreur (Chobha), a réduit les possibilités du recours à l’expertise génétique pour ainsi épargner le sort de milliers d’enfants qui voient le jour hors du cadre de l‘institution du mariage, mettant en cause l’effectivité des motifs légalement adoptés pour l’établissement de la filiation paternelle et la mesure dans laquelle ils réalisent le principe de la Justice et l’égalité entre les deux parties d’une relation, a-t-il expliqué.
« Comment est-il possible d’accepter la filiation paternelle d’un enfant par la seule reconnaissance de son père biologique sans avoir besoin d’établir les rapports conjugaux, alors que la mère, même en présence d’une expertise génétique, est toujours tenue de produire des preuves probantes des rapports conjugaux pour pouvoir établir la filiation paternelle », s’est-il interrogé, faisant observer que ces dispositions portent atteinte à l’intérêt de l’enfant tel que stipulé par l’article 54 du code de la famille et la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989.
« Il est temps de considérer l’expertise génétique comme étant une preuve de la filiation paternelle au lieu de l’aveu du père », a-t-il ajouté.
M. Saadoun a aussi mis l’accent sur le quatrième point qui est lié à la représentation légale des enfants, faisant savoir que le code de la famille établit une distinction entre la mère et le père dans la tutelle des enfants, où la mère est considérée comme représentante légitime en cas de décès ou d’absence du père, avec la possibilité de faire exceptionnellement certaines affaires urgentes au profit des enfants.
Selon lui, la solution est d’entériner le principe d’égalité entre mère et père dans l’exercice des fonctions de la représentation légale en cas de mariage et de lier la représentation légale à la garde de l’enfant en cas de dissolution du mariage, compte tenu du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant comme base dans les cas de garde et de représentation légale.
Concernant la nécessité de revoir les dispositions du code de la famille, M. Saadoun a jugé nécessaire de modifier plusieurs dispositions, afin de les adapter aux évolutions sociétales, au nouvel environnement constitutionnel ainsi qu’aux conventions internationales ratifiées par le Maroc.
Dans cette lignée, il a souligné l’impératif d’amorcer un débat public auquel prennent part toutes les forces vives sur la portée de l’amendement.
Cet amendement doit porter également sur l’aspect procédural, en mettant en exergue l’expérience des sections de la justice de la famille, afin qu’ils puissent devenir des juridictions spécialisées dans la famille, en les dotant de ressources humaines qualifiées, ainsi que l’institutionnalisation de la conciliation et les modes alternatifs de règlement des litiges, l’élargissement de l’assistance juridique et judiciaire, a-t-il enchaîné.
De même, il a souligné la nécessité d’accorder une intention particulière à la diaspora marocaine en termes de conflits de lois et les problématiques du mariage mixte et son impact sur la situation des époux et des enfants.
Pour sa part, le chercheur en sciences sociales, Khalid Fathi a indiqué que la réforme du code de la famille est une nécessité, étant donné que « tout le monde est unanime sur la nécessité de réviser ce code, vu que la famille est devenue menacée dans son existence, partant du fait qu’un bon nombre de dispositions contenues dans ce dispositif juridique ne sont pas en phase avec le développement sociétale ».
Pour M. Fathi, le problème réside dans la nature de cette réforme, vu que certaines personnes souhaitent poursuivre le modèle occidental garantissant aux époux leur liberté individuelle, alors que d’autres estiment qu’il est temps d’évaluer les nouveautés du code de la famille.
Il a aussi jugé nécessaire d’amorcer un diagnostic précis sur la situation familiale via le taux de nuptialité, le taux de divorce, l’âge moyen au mariage, le nombre de naissances et le nombre d’enfants du divorce, en adoptant des études comportementales et psychologiques au profit de ces enfants, avec un focus sur l’impact socio-économique du divorce.
L’une des défaillances du code de la famille est la facilité de recourir à la procédure de divorce, a-t-il fait observer, notant que « la famille est devenue très fragile et un simple désaccord peut l’affaiblir, notamment via le recours au divorce judiciaire sur demande de l’un des époux pour raison de discorde (Chiqaq) ».
M.Fathi a estimé que « la solution réside dans le fait d’adopter une approche humaine et sociale », appelant à « ne pas appliquer plusieurs textes de lois, à changer de méthodologie en misant sur la conscience sociétale ».
Journaliste MAP