« Dans tes yeux, je vois mon pays »

Ça se passe à Jérusalem, intérieur nuit, plus exactement dans un appartement, une lumière tamisée, une vieille chanson juive marocaine qui nous rappelle la voix de la chanteuse Zahra Al Fassia. On dirait un play-back improvisé en cet instant par une jeune femme. C’est dans cette atmosphère que le réalisateur franco-marocain, Kamal Hachkar, a voulu nous introduire dans un premier lieu dans cette quête des origines.

Il y a un appel fort et incessant de retrouver la paix intérieure et retrouver la terre promise que les parents ont quittée dans les années cinquante pour rejoindre le rêve du rassemblement d’un peuple qui a souffert de l’errance et de l’exil. Il s’agit cette fois-ci pour Kamal Hachkar, d’attaquer une partie de l’histoire qui est restée occultée et moins visible dans cette épopée juive marocaine.

Il a choisi un intitulé poétique « Dans tes yeux, je vois mon pays », on dirait un titre d’une chanson. Il est tout à fait légitime de verser vers ce registre car les deux protagonistes principaux de ce deuxième documentaire, sont bien ancrés dans le domaine musical. Il s’agit de Neta Elkayam, chanteuse et Amit Haï Cohen, musicien et compositeur. La génération qui a vu le jour après départ des juives marocains.

Ce film ouvre un autre chapitre de son premier film: « Tinghir-Jérusalem: les échos du Mellah », sorti en France en 2013 où il était question d’appréhender le départ fort regrettable des juifs marocains et de faire parler les anciens sur la cohabitation fusionnelle entre les Marocains musulmans et les Marocains juifs. Une façon de mettre la lumière et essayer de résoudre cette énigme relative à ce départ brusque. Un film qui avait suscité beaucoup de polémique car il a lancé un pavé dans la marre du silence lié à cette histoire étonnante. Cependant il a reçu énormément de prix en briguant une place dans l’histoire du patrimoine cinématographique tout en faisant l’objet d’études dans les universités aux Etats-Unis et en France.

Le voyage aux sources via un road-movie voué à un dénouement identitaire, le dernier film saisit avec délicatesse cette génération qui avait vu le jour à Jérusalem et qui a reçu dans un silence total un héritage de la vie antérieure des parents. Ces derniers ont préservé dans leurs nouvelles maisons la langue du pays et la trace de toute une vie riche par les saveurs d’un pays qu’ils ont quitté du jour au lendemain. Edmond Amran El Maleh avait résumé cette odyssée par un titre majeur de son roman « Mille ans, un jour », (Édition « La pensée sauvage » 1986).

Ces juifs marocains qui ont vécu Mille ans en terre arabe et en un jour ils l’ont quittée, ce jour marquera les esprits. Les enfants ont été bercés dans cet univers de ce Maroc non prononcé. Mais un jour les chansons et la musique du répertoire juif marocain vont souffler le vent du retour et guideront Neta Elkayam, et Amit Haï Cohen d’entreprendre le chemin du pays qui les habite.

Le voyage est doublement présenté par Kamel Hachkar, qui a su composer cette fresque en double écran où les retrouvailles humaines sont accompagnées par d’autres rencontres musicales. Du Nord au sud, de Tanger à Tinghir, les visages changent mais les traits d’un attachement fort à cette mémoire marocaine restent intacts.

« Dans tes yeux, je vois mon pays » rend à l’espoir ses lettres de noblesse. Un film plein de moments de grâce et de fortes émotions, un hommage captivant d’un Maroc pluriel.