Fedwa Misk s’est livrée à un exercice de désintoxication des mots périlleux qui empoisonnent la vie et notamment les mères. La culpabilité et le sacrifice, deux mots marquant l’atmosphère écrasant qui règne dans de cette pièce de théâtre écrite en six actes.
Les portraits de ces filles, Maria, Fedwa, Hanane, Imane et Samira et dans « chacune trimballe un tas de blessures et sûrement peu de confiance en elles, héritées de leurs propres mères » (p. 47, acte 4). Elles ont décidé de quitter un monde d’hypocrisie, de dire non aux injonctions ancestrales portées par leurs mères afin d’asseoir un monde juste et équitable. Mais il s’avère que la situation de la femme est Kafkaïenne, c’est Samira qui n’arrive pas à comprendre et qui résume son état « telle une coupable d’un crime que j’ignore, mais que je suis sommée de trouver moi-même. C’est complètement absurde ». (p. 50, acte 5).
La mobilisation de ces femmes ne fait pas appel à une révolte fracassante. Il y a de l’amour au fin fond de ces êtres fragiles donnant lieu à une révolte douce avec la volonté de dire les choses, percer le mystère du silence. C’est pour cela que Maria écrit à sa mère: « Mais ne le prend pas comme un acte de rébellion et surtout pas comme un début de désamour. Tu sais que je t’aime, maman…« (p. 16, Acte 1). En face de de « Nos mères » – ces femmes qui ont abandonné toutes formes de résilience – « Nos filles » tissent avec force un cri de survie, un appel à une renaissance. Le sacrifice ne doit pas avoir lieu et la culpabilité – ce fardeau- énorme doit être abolie.
Assumer est le mot d’ordre d’une conscience qui ne cesse de mettre en crise l’image d’un être oublié, bafoué, écrasé par un ordre phallique. L’homme n’est qu’un bouffon aux yeux de cette femme écrasante (Acte 3, portrait de Fedwa). Ce n’est qu’un ingrat qui peut quitter le navire à n’importe quel moment. Laissant ainsi la femme seule dévorée par les responsabilités énormes liées au ménage et aux enfants afin qu’elle subisse le sort du forçat.
Dans « Nos mères », Fedwa Misk nous offre un univers polyphonique, chaque portrait est l’incarnation d’un stigmate, d’une blessure. Chaque visage est animé par les mots qui dressent un pont entre le silence et l’exaltation d’une existence autre que celle des mères. Mais, à la lecture de ces actes, ce qui nous frappe est loin d’être de l’ordre du palpable, c’est plus profond car ces personnages sont extrêmement blessés dans le corps et dans l’âme. Ils portent un si lourd héritage qui rend le combat féroce où les démons de l’incertitude voilent le visage de la quiétude.
On ne sort jamais indemne après la lecture de ce texte car ce sont des cris qui nous interpellent, qui nous dérangent et qui nous rappellent la voix/voie étouffée de nos mères.
« Nos mère », pièce de théâtre de Fedwa Misk, Collection Kayna, Editions la Croisée des Chemins 2021.