LES PROFESSEURS CONTRACTUELS. GRAND MALENTENDU ET CALCULS ÉTROITS

*** La « contractualisation » dans l’Ecole Publique: une fausse bonne idée

Les images de la dispersion de la dernière manifestation à Rabat des enseignants contractuels ont suscité un grand malaise au sein de l’opinion publique. Ce ne sont ni des casseurs, ni des émeutiers, ni des anarchistes…

Avant ces images, on ne voyait en ces manifestations que des expressions ordinaires de  revendications socio-économiques, comme tant d’autres mouvements. On n’accordait pas plus d’importance à l’événement.

On savait aussi qu’il y avait un dialogue entre le ministère de l’Éducation Nationale et leurs représentants. Il n’y avait pas lieu de s’inquiéter.

Mais la dernière manifestation avec ses images chocs a tout bouleversé ! Notamment celle d’un énergumène qui n’avait aucune qualité d’agent de la force publique et qui va répondre de ses actes insoutenables devant la Justice.

L’affaire s’est donc compliquée. Ce n’est plus un épiphénomène! On était probablement dans l’erreur ! Ils sont plus de 100 000 « enseignants contractuels » et leur situation pose une vraie question qu’il ne faut pas prendre à la légère:

« Quelle École Publique voulons-nous pour demain ? »

C’est en 2016 que le gouvernement (dirigé par le populiste matamore Benkirane) avait lancé cette idée des « contrats » pour les professeurs.

A ce moment, il fallait résorber d’urgence le déficit d’enseignants après des départs massifs à la retraite. On s’est retrouvé avec des classes de 60 élèves !

On nous avait tellement vendu et enjolivé  l’idée que la « masse salariale » était trop élevée…que la fonction publique devait s’orienter vers la « contractualisation »… que  « l’emploi à vie » même dans l’administration était une approche dépassée. On y a cru et on a applaudi !

On s’est laissé séduire par le discours de la rigueur financière !! On s’est dit… enfin une gestion moderne sur la base de « contrat »… management moderne… évaluation sur la base d’objectifs et de résultats…

Mais tout montre aujourd’hui que le raisonnement du financier technocrate avec sa « calculette » doit obligatoirement être tempéré par  celui du « politicien réfléchi »… plus à l’écoute des attentes et des besoins des gens !

On voit les résultats aujourd’hui ! Une crise qui perdure, diffusant un climat malsain et dont le Maroc, qui connaît des réussites incontestables dans de nombreux domaines,  aurait pu se passer.

La « contractualisation » (non réfléchie et mal préparée) dans un secteur aussi stratégique   que l’École Publique, dans notre pays émergent, est venue trop tôt.  Une fausse bonne idée !

Le corps professoral (en charge de la transmission du savoir et également formateur à la citoyenneté) ne peut pas être géré comme les ressources humaines dans d’autres secteurs du Service public.

***Sans des filets sociaux après la perte de l’emploi… la notion de « contrat » ne sera jamais attractive !

Le Maroc n’a pas les ressources d’un pays industrialisé… avec un secteur privé ultra performant… pour se permettre le luxe d’expérimenter ou de copier des solutions managériales,  très pointues, et pour lesquelles nous ne sommes pas préparées, mentalement, socialement et matériellement !

Dans ces pays,  lorsqu’un employé sous CDD perd son emploi,  il y a toute une batterie de filets sociaux qui dédramatisent le traumatisme de perte du job.

Un revenu est toujours assuré, accompagné aussi de formation et de recyclage pour pouvoir exercer dans d’autres secteurs. Une mobilité et flexibilité professionnelle assumée et acceptée. Sans parler du système de santé avec sa couverture généralisée.

Dans un pays où les filets sociaux n’existent pas … ou bien sont en train d’être installés ou généralisés progressivement… le « CDD » est perçu avec méfiance.

Le « professeur contractuel » rumine constamment un  sentiment anxiogène de précarité. A l’approche de l’échéance du contrat: va-t-il partir ou va-t-il rester ? De ce fait, il ne saurait constituer un modèle de réussite, face à ses élèves. Cela a un impact sur la préparation de ses cours, son rendement, sa relation avec ses élèves et aussi avec lui-même…

Une question de symbole et de sens. Le professeur est un « influenceur » (qu’on le veuille ou non !)… un montreur de chemin… Pour qu’il puisse rayonner positivement, il  est légitime qu’il soit  tranquillisé sur son devenir professionnel… Seul un statut stable offre les conditions de travailler sereinement dans l’École Publique.

En plus – question banale mais primordiale- comment obtenir un crédit  pour acquérir un logement ou un véhicule… avec un CDD ? Le marasme !!

  ***L’État Protecteur et les leçons d’une crise

L’École publique n’est pas un secteur de l’économie où on peut recruter sur contrat  en fonction des commandes et des donneurs d’ordre. Embaucher et dégraisser !! L’École Publique est constitutive de l’âme d’un peuple et ne peut être évaluée à l’aune des sous.

L’enseignement privé même s’il vise la qualité, reste dans une logique de profit.  Ce qui est compréhensible ! Par contre, la mission de l’École Publique est issue des racines profondes et généreuses de la Nation.

Dans les pays émergents comme le nôtre, le développement et la prospérité  socio-économique sont encore largement portés par l’État qui fait le gros du travail.

L’image de l’État Protecteur est forte chez nous… L’État est perçu comme l’interlocuteur principal et le recours. Une question  socio-culturelle.

Cette affaire porte, aussi, en elle les signes incontestables d’une réelle avancée socio-économique. Pourvoir un salaire de près de 5000 dh  à 100 000 professeurs même dans le cadre d’un contrat est une prouesse.

Cela veut dire que le Maroc, malgré ses ressources limitées,  sait créer la richesse qu’il se développe; même si la redistribution doit encore s’améliorer !

Le Dialogue Social, inscrit dans nos traditions de justice sociale et de solidarité, est un outil pour redistribuer la richesse même si parfois il patine. En 1999 le PIB était de 41,63 milliards dollars… En 2022 il est estimé à 130 milliards de dollars. Incontestablement une performance.

Mais on doit toujours garder à l’esprit  que c’est toujours dans ces moments où un pays s’enrichit… où il développe une bonne croissance … c’est là où surgissent les crises sociales les plus imprévues… lorsque la redistribution n’est pas au point.

C’est bien de créer de la richesse mais c’est encore mieux de savoir la répartir au mieux !!

Notre pays ne connaît pas ces manifestations basiques pour la nourriture ! Ces histoires de pain et de « koumira » appartiennent à un passé définitivement révolu.

Ces jeunes qui manifestent aujourd’hui sont dans une autre configuration mentale. Ils  aspirent à la sécurité de l’emploi. Ils ont déjà un « revenu »  mais ils aspirent à une meilleure  « qualité de vie », au « mieux vivre » dans leur pays qu’ils aiment.

Il faut les entendre et les écouter. Cela veut dire tout simplement que la société évolue, connaît plus de prospérité et qu’il faut adopter d’autres démarches pour  répondre aux attentes et espérances.

Les milieux hostiles qui ont voulu présenter ces mouvements comme ceux de la misère, du sous-développement… se sont plantés.

Une secte rétrograde avec des dirigeants plus « illuminés » que politiciens… a essayé d’exploiter ce mouvement pour son propre agenda.   Une secte où il faut avoir rêvé du « guide » ou du « morchid »  pour y être  membre. C’est dire que ses limites sont déjà tracées !

Il faut aussi et malheureusement rappeler ces faux pas consternants qui  ont contribué à créer un climat tendu autour de la « contractualisation ».

Certains leaders politiques… supposés être  des modèles de citoyenneté … tout en vantant les mérites du « contrat »  n’ont pas manqué de caser leur progéniture, en catimini,  dans le secteur public ou semi public… sans leur faire subir les clauses draconiennes d’un CDD. Un double langage insoutenable.

*** »Salaire des fonctionnaires » ou « dépenses diverses »: c’est toujours le budget de l’État.

La masse salariale est un « épouvantail » et  sa croissance constitue une « horreur » pour les institutions financières internationales qui ne raisonnent qu’en termes d’investissements productifs…

Alors que l’Éducation Nationale est l’investissement  le plus précieux, le plus productif et le plus stratégique dans la vie d’une Nation !! A condition bien sûr qu’il soit astreint à une bonne gestion ! Les pays asiatiques performants l’ont très bien compris.

Pour « contourner » l’augmentation de la masse salariale sur le budget de l’État, l’idée était  de recruter sur contrat à travers les « Académies Régionales de l’Éducation et de la Formation » A.R.E.F. Établissements publics dotés de la personnalité juridique et de l’autonomie financière…

Mais l’autonomie financière des A.R.E.F est balbutiante et n’a pas encore pris toute son ampleur.

« Salaire des fonctionnaires » ou  « dépenses diverses »  ce sont toujours les deniers publics…le budget de l’État quelles que soient ses déclinaisons…

Ce n’est pas l’intégration des professeurs et leur adhésion à la CMR (Caisse Marocaine des Retraites) au lieu du RCAR (Régime collectif des allocations de retraites) qui va ruiner les finances de l’État.

Le paradoxe est que le gouvernement a répondu à un très grand nombre de doléances des professeurs contractuels… pour les aligner sur leurs collègues titulaires.

Le gouvernement a même vidé de sa substance la notion de « contrat »… mais il continue de s’accrocher à ce mot presque « fétiche »…

Il a accompli un long chemin pour se rapprocher des revendications des professeurs…  mais il ne veut pas entendre parler  d’ »intégration ».

Le contenu du contrat tel qu’il a été conçu et formulé en 2016 n’existe plus… et il faut être conséquent et cesser de se crisper  face à la notion d’intégration.

Pour ceux qui disent que  la  « contractualisation » avec les Académies Régionales permet de pourvoir en professeurs les localités éloignées ou les zones enclavées… la réponse est connue.

Elle est pratiquée partout dans le monde. Des primes consistantes, selon les zones, sans qu’elles soient inscrites dans la grille statutaire, motiveront  plus d’un.

Pour ceux qui disent que le contrat permet de « remercier »  ceux qui se sont révélés « incompétents » … on répondra que c’est aussi la mission de l’État d’assurer la formation continue et tous les types de recyclage et mise à niveau au service de l’École Publique.

***La Paix sociale a un coût mais elle n’a pas de prix !

Notre pays qui a réussi des actions remarquables en santé publique, en industrialisation, agriculture, nouvelles technologies, tourisme… possède les moyens pour dégager des solutions efficaces pour 100 000 professeurs contractuels.

Ils font partie de l’élite. Ils ont fait le choix de manifester, en blouse blanche. C’est à la fois une fierté de soi… fierté d’être prof… Un signe et un message.  Une marque de respect et de considération. Une carte de visite.  C’est ce que n’a pas compris cet énergumène lorsqu’il a violenté un jeune manifestant  qui avait sa blouse blanche à la main.

Un hashtag, paru il y a quelques mois, vient de connaître une large diffusion : # PROTECT_TEACHERS_IN_MOROCCO.

Il est à la fois excessif  et tendancieux. Pourquoi? Parce qu’il y a un dialogue qui va reprendre. Parce que ce qu’il ne faut pas généraliser à tous les « teachers ». Parce que ce dossier ne concerne que la catégorie des enseignants contractuels. Ils bénéficient déjà de la  sympathie de l’opinion publique.

Parce que les enseignants – dont je fais fièrement partie – méritent mieux qu’un hashtag ressemblant à celui  créé pour « protéger » des espèces naturelles menacées. Parce que les professeurs ont leur dignité. Nous ne sommes ni des ours, ni des abeilles, ni des loutres…

Enfin, au-delà de tous les calculs, la paix sociale a certainement un coût mais elle n’a pas de prix. Et ce dans tous les pays du monde.