VIDÉO. LE TESTAMENT ESTHÉTIQUE DE MOHAMED MELEHI: « JE REVENDIQUE L’EFFET DÉCORATIF DE MON TRAVAIL ! »

DEUXIÈME PARTIE

** PAS DE DÉSENGAGEMENT… MELEHI A TOUJOURS ÉTÉ DANS L’ACTION

Certains se sont interrogés si cette déclaration de Melehi de 2017 sur la revendication de l' »effet décoratif de l’art »… pouvait être interprétée comme un repli idéologique ou un « désengagement » consacré par la formule « l’art pour l’art ».

Tout cela, parce que le souvenir de Melehi engagé politiquement – pris dans d’autres combats au-delà des questions esthétiques – est resté vivace.

Il n’a jamais été dans le reniement ni dans les ruptures. Ceux qui ont perçu un éventuel « désengagement » n’ont pas compris son parcours et son mode réflexif. La loyauté aux principes n’empêche pas une interaction avec l’environnement socioculturel.

Melehi était porteur d’idées de transformation sociale. Il était d’un abord facile. Il est resté toujours engagé au côté des artisans, des gens simples et modestes. Sa déclaration sur « l’effet décoratif » de son art reste militante. Elle fait partie d’un combat. Elle est étroitement connectée à sa volonté de « magnifier » les arts traditionnels portés par les artisans, qu’il cite et valorise constamment.

 

 

Il était également fidèle à cette vision militante de l’artiste du « tiers-monde » qui valorise, dans la sérénité, son héritage culturel « menacé » par l’hégémonie de l’Autre !

Son engagement, c’était aussi sa contribution pour que son pays comble les retards par rapport au Monde… mais sans perdre son âme. Il a exercé une mission importante au Ministère de la Culture où il a beaucoup agi en faveur des Arts.

Mais, le malentendu l’a souvent poursuivi concernant ses engagements. On lui a même reproché son mode de créativité (la peinture) c’est-à-dire ce choix quasi-existentiel… de « transmettre ses idées à travers le visuel ». Il fut affecté d’entendre, dans des années de crispation, que la peinture, les Beaux-Arts relevaient de la sphère bourgeoise et n’apportaient rien à la lutte des classes. C’était dans l’air du temps !

Il a poursuivi son chemin en répondant à sa manière. Sa démarche était tout autant progressiste qu’humaniste en défendant les cultures face aux hégémonies et en réhabilitant les travailleurs des arts populaires. Ça valait tout autant l’engagement auprès du mouvement ouvrier chez certains.

A ce niveau, il fut pertinent. Il rapprocha (en une forte démarche pratique et pas seulement symbolique) l’artiste-artisan de l’ouvrier. Il établit à travers ses techniques, des « passerelles » entre « création artistique » et certains process de peinture utilisés dans « l’industrie ». Il utilisa dans ses oeuvres la « laque cellulosique », en usage dans l’industrie automobile, diffusée par pistolet à pression.

La main de l’ouvrier couvrant de laque cellulosique une carrosserie et la main de l’artiste couvrant de la même matière les panneaux de bois étaient, selon lui, en écho et pouvait dialoguer.

Il était aussi opposé à l’idée élitiste de l’artiste, indifférent au monde, isolé et obnubilé exclusivement par sa recherche. Il a tenu aussi à « démystifier » (il emploie beaucoup ce mot) la notion même de « chef-d’œuvre » qui pour lui ne voulait rien dire.

La création du festival d’Asilah en 1978 a aussi été une forte réponse: transformer l’homme et la société par la culture et les arts. « L’ÉDUCATION SOCIALE ET LA CITOYENNETÉ ACTIVE », répétait-il souvent.

Faire de la culture un facteur de développement socio-économique, une source de prospérité pour les habitants et les territoires.

L’enseignement, la formation, le partage, la transmission aussi bien au Maroc qu’à l’étranger relevaient aussi de son engagement.

Lors du 50ème anniversaire de la création de la revue « Souffles » le 15 février 2016 à Rabat, Mohamed Melehi a préféré revenir sur la réaffirmation de la place de la culture marocaine dans le monde:

« AVEC LA CRÉATION DE LA REVUE SOUFFLES, LE MAROC A JOUÉ UN RÔLE AU NIVEAU DE LA CULTURE MONDIALE. IL A OBTENU LE DROIT À LA PAROLE DANS LE TISSU CULTUREL ET POLITIQUE DU TIERS MONDE ». 

**LA QUESTION DU GROUPE ET DE L’INDIVIDU

Melehi a toujours été dans une configuration mentale où l’équation collective primait sur l’équation individuelle !

Il avait une terminologie usant souvent de termes comme « collectivité, groupe, collectif, vie sociale, patrimoine collectif, éducation, citoyenneté, réalité sociale… ».

La question des « individualités et des égos » étaient, chez lui, secondaire.

Le souci du groupe s’exprimait également à travers son militantisme de « citoyen du tiers-monde » qui ne voulait pas d’une prétendue « hiérarchie » ou « classification » entre les cultures. Ces antagonismes allaient par la suite être dissous dans une dynamique de dialogue entre les cultures et civilisations à laquelle Melehi a adhéré.

Sur le plan purement artistique ou esthétique, c’est cette priorité qu’il accordait au « groupe » à la « collectivité » qui, probablement, l’a amené à cette « réserve » ou « distance » pour le courant « expressionniste », dans ses diverses déclinaisons.

Un courant qui privilégie l’individualité, la subjectivité, l’émotion forte… ou parfois l’angoisse émotionnelle du créateur. Avec des couleurs très vives, des formes dissolues parfois chaotiques, l’expressionnisme ne tient pas spécialement à « agréer » l’œil… La représentation du « beau », dans son acception classique, n’étant pas son souci principal.

L’expressionnisme a produit des chefs d’œuvre, comme « Le Cri » du norvégien Edvard Munch… mais c’est un autre type de sens, en lien avec une émotion intense ressentie par l’artiste.

Avec les règles précises et ordonnées de son art, Melehi ne pouvait être trop « attiré »… par une démarche esthétique basée sur le visuel parfois chaotique de « l’émotion ».

Il cherchait dans ses œuvres, la beauté géométrique, la symétrie, l’harmonie, les équilibres, les assortiments, les correspondances chromatiques… Un langage des formes et des couleurs, accessible à tous sans trop de décryptage.

Une grammaire esthétique, liée à un héritage partagé, immédiatement repérable par les récepteurs

** MÉLEHI MODERNE ET CONTEMPORAIN

Ces déclarations de 2017 où il revendique sereinement « l’effet décoratif », est la consécration d’une paix intérieure, d’un cheminement paisible.

Une conviction esthétique, presque une philosophie, issue de l’expérience et la vision d’un artiste mature et serein qui prône l’exploration du patrimoine culturel.

Mais il est aussi lucide et distant lorsqu’on lui demandait si la machine pouvait faire mieux que l’artiste en matière de « décoration »… Il répond que l’artiste et l’artisan ont leurs « mains ». Et il souligne que par rapport au « big data », il préfère « se retirer de ce bruit, et se concentrer sur son travail artistique ».

Bien évidemment, la vision de Melehi cohabite avec celles, nombreuses, qui ont enrichi la scène plastique et l’histoire de l’art au Maroc. Cette vision se complète avec celles de ces grands noms dont il était proche comme Chebaa… Belkahia… Gherbaoui…Cherkaoui…

Mais sa personnalité, sa vaste culture, son parcours de vie et ses conceptions ont une place très particulière. Un fondateur et pionnier, dont la réflexion a englobé tous les aspects de la dynamique socio-culturelle de son pays.

C’est pour cela que ses déclarations de 2017 n’ont pas encore fini de livrer leur sens profond.

Il a parlé du « futur » de son travail et si la Providence lui avait accordé plus de « temps », il aurait plus encore affiné ses conceptions.

NOUS AVONS UN ART QUI EST TRÈS FORT. C’EST L’ART DÉCORATIF. LA DÉCORATION C’EST LE FUTUR DE MON TRAVAIL… IL VISE À TROUVER LA BEAUTÉ DANS LES CHOSES SIMPLES « , disait-il.

Selon lui, les arts plastiques marocains… auraient donc tout à gagner, en matière de notoriété et visibilité internationales, en libérant cet immense potentiel rattaché au patrimoine et il le souligne:

« JE REVIENS TOUJOURS SUR CE THÈME. L’ART ACADÉMIQUE A TOUJOURS NÉGLIGÉ LA DÉCORATION. C’EST POUR CELA QUE LE MAROC N’A PAS ENCORE SA RAISON DE CONSIDÉRATION DANS LE MONDE COMME UN PAYS QUI PRODUIT AUSSI SON ART ».

Négliger ou exclure cette référence liée au patrimoine en matière de « décoration » serait, selon lui , une bride, une « auto-entrave ».

Dans son « testament esthétique », il a rendu hommage à la richesse de ce patrimoine culturel qu’il a « sublimé » à travers une créativité contemporaine fascinante.

L’accueil national et international pour son oeuvre… a prouvé la validité et la pertinence des choix de Mohamed Melehi.