L’urgence de la relance économique et l’impératif de construire un « État social » requièrent la mobilisation d’une quantité importante de fonds, ce qui plaide pour le recours à de nouveaux circuits de financement de l’économie, estime l’économiste Yasser Tamsamani.
Pour qu’ils soient crédibles, ces nouveaux circuits doivent être politiquement responsables et socialement acceptables de par leurs potentiels effets redistributifs et ils doivent aussi échapper aux lois du marché financier et en même temps permettre de discipliner (indirectement) le système bancaire en l’incitant à s’engager davantage dans le développement du pays, explique M. Tamsamani, enseignant à la faculté des sciences juridiques, économiques sociales de l’Université Hassan II de Casablanca, dans une interview à la MAP.
En réponse à cette problématique, M. Tamsamani, docteur en économie de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, avance trois propositions pour financer la relance et le développement économique au Maroc.
« Outre les mesures que peut prendre le gouvernement à très court terme sans que cela ne demande une révision de fond en comble du cadre actuel de financement de l’économie, trois nouvelles pistes de financement des besoins de la société et de l’économie semblent être prometteuses », a-t-il dit.
Il s’agit de la création d’une banque publique d’investissement dédiée au financement de « l’investissement utile », a-t-il indiqué, expliquant que cela se justifie par le simple fait que le financement de l’économie et de son développement relève de l’intérêt général.
Son fonctionnement doit être alors soumis à une logique différente de celle des banques commerciales qui se comportent comme des entreprises privées financiarisées en quête permanente d’une hausse des dividendes à remonter aux actionnaires, a-t-il précisé.
Selon lui, l’État doit donc prendre en charge une partie du financement de l’économie en créant sa propre banque d’investissement pour financer des projets satisfaisants à un double critère de viabilité économique et d’utilité sociale.
Et de noter que, sur le plan organisationnel, cette nouvelle banque devra respecter les pratiques internationales de gouvernance en la matière et se doter notamment d’organes de contrôle et de conseil à la hauteur de sa mission.
L’économiste tient également à souligner que cette banque ne viendra pas concurrencer d’une manière frontale les banques commerciales en place car sa cible sera composée de projets délaissés à la base par le système bancaire.
En effet, sa mission sera de financer des projets dont la viabilité économique, au sens d’amélioration du bien-être social, est reconnue et l’utilité sociale avérée, mais dont le rendement financier à court terme est moins attractif pour les banques.
En revanche, cette institution va concurrencer les banques au niveau de la collecte des dépôts, mais également en finançant une partie de l’endettement public, celle qui répond à ses propres critères de choix d’investissements à accompagner.
La deuxième piste phare avancée par M. Tamsamani est l’impôt sur les successions et les transferts de propriété en vue de financer la cohésion sociale et d’institutionnaliser la solidarité.
Selon lui, une solidarité qui préserve la dignité est celle qui passe par l’instauration des droits sociaux dont l’État veille au respect. Au lieu de parier sur la bonne conscience des gagnants du marché, la solidarité peut se financer à partir d’un nouvel impôt sur les successions et le transfert des propriétés dépassant un certain seuil et qui aboutissent à un enrichissement facile des personnes bénéficiaires.
Ces dernières reçoivent une richesse sans qu’elles soient, elles mêmes, à son origine sachant qu’au moment de sa création et durant toute la période de sa fortification, la collectivité y a contribué, à travers plusieurs canaux, sans qu’elle soit complètement rétribuée.
En toute logique, au moment de son transfert entre vivants ou à l’issue d’un décès, une partie de cette richesse devrait revenir à la collectivité. Par exemple, quand le prix d’un actif immobilier ou foncier augmente à cause d’un investissement public à proximité, c’est bien à la collectivité que le propriétaire de l’actif en question doit l’augmentation de sa richesse.
Par ailleurs, cet impôt permet de corriger aussi bien les inégalités des chances que celles des résultats et comprime l’appétit pour la captation de la rente.
La dernière proposition porte sur l’émission de bons de trésor de long terme pour un financement soutenable des services publics.
Les dépenses d’éducation et de santé relèvent des investissements dont les bienfaits ne se font sentir qu’au bout d’une génération, rappelle-t-il, notant que l’alternative consiste en une mobilisation de l’épargne nationale (privée et institutionnelle) à un coût faible et dont le remboursement du capital sera programmé pour la fin de la période, c’est-à-dire une fois que ces dépenses auraient générées de la croissance et donc suffisamment de ressources pour leur remboursement.
Il s’agit d’un financement indirect de la dette publique mais il est temporaire et ne comporte aucun risque d’entraîner une crise de change, car la production des secteurs bénéficiaires des fonds empruntés est relativement peu intensive en importations, a-t-il expliqué.
Cette garantie pourrait inciter même les détenteurs des comptes de dépôt à vue et des autres formes de monnaie les plus liquides à acheter ces bons de Trésor, ce qui permettrait de mobiliser une épargne existante mais qui a été mal allouée au sein de l’économie.
En outre, le fait que les recettes sont affectées au financement des services publics d’éducation et de santé, représente un argument solide de mobilisation de l’épargne nationale, un argument sur lequel le Trésor peut s’appuyer pour une campagne nationale de « séduction ».
En guise de conclusion, M. Tamsamani a noté que « si on accepte de placer l’État social au cœur de la politique de relance et du développement économiques, il va sans dire que la politique budgétaire doit retrouver son rôle central qui lui assure d’agir à la fois sur le conjoncturel (le cycle) et le structurel (la tendance).
Dans ce scénario, la politique budgétaire se retrouve au front soutenue en arrière par la politique monétaire et les trois pistes avancées devraient exercer un effet incitatif sur les banques commerciales en les poussant à s’impliquer davantage dans l’économie et à parier sur la prospérité de son avenir.