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Les lundis de Mohamed KHOUKHCHANI. ​Effondrements au Maroc : Du Squelette Fragile au Contrôle défaillant

Par: Mohamed KHOUKHCHANI

​Introduction :

​Les tragédies liées à l’effondrement des bâtiments, qu’elles touchent les maisons des anciennes médinas menaçant ruine ou les immeubles plus récents, ne sont plus de simples accidents isolés. Elles sont devenues un phénomène structurel qui révèle une grave défaillance institutionnelle. L’augmentation du nombre de victimes et des pertes matérielles dues à ces effondrements récurrents dans des villes comme Fès et Kénitra soulève des questions pressantes sur les causes objectives qui se cachent derrière ces écroulements. L’analyse dépasse la simple obsolescence naturelle des structures pour aborder des questions fondamentales liées à la qualité de la construction, à la fraude sur les matériaux, et au niveau d’application de la loi et du contrôle administratif. Cet article vise à identifier les causes techniques et administratives directes du phénomène de chute des bâtiments, en se concentrant sur la détermination de la responsabilité légale des intervenants et en proposant des mesures efficaces et radicales pour stopper cette hémorragie humaine et matérielle.

​1. Les Causes Objectives de la Répétition des Effondrements.

​Les causes des effondrements de bâtiments se divisent en trois axes principaux :

​a. Effondrements des Bâtiments Anciens (Menacant Ruine) :

​Ces effondrements sont principalement dus à la négligence structurelle et à l’absence de maintenance pendant des décennies, ainsi qu’à l’infiltration d’humidité et aux fuites d’eau qui attaquent les fondations traditionnelles. À cela s’ajoutent les modifications structurelles anarchiques effectuées par les occupants pour augmenter l’espace, ce qui déséquilibre la structure déjà fragilisée.

​b. Effondrements des Bâtiments Récents :

Ces effondrements surviennent à cause de la fraude sur les matériaux de construction (pour réduire les coûts), du non-respect des normes d’ingénierie, notamment concernant les fondations et le ferraillage. La raison la plus fréquente est l’ajout d’étages non autorisés qui dépassent la capacité de charge de la structure originale.

​c. Causes Administratives et de Contrôle :

​Ces causes sont liées au laxisme dans l’application de la loi. Elles se manifestent par la tolérance administrative de la construction anarchique, la faiblesse du contrôle sur les chantiers, et la collusion et la corruption dans les procédures d’octroi de permis.

​2. Exemples et Chronologie des Effondrements Majeurs.

​Les cas d’effondrement se répartissent au fil des ans entre les incidents des villes anciennes qui s’écroulent silencieusement et les incidents des villes modernes qui font grand bruit :

● ​Tragédie de Bourgogne à Casablanca (Juillet 2014) : Cet incident est le plus marquant de l’histoire récente, où l’effondrement de trois immeubles résidentiels modernes a causé la mort de 23 personnes et blessé 55. Les enquêtes ont attribué les causes principales à l’ajout d’étages de manière illégale et à la faiblesse des fondations (fraude à la construction).

● ​Effondrement d’une maison à Casablanca (Janvier 2018) : Cela a entraîné la mort de deux personnes et des dizaines de blessés. Les investigations ont révélé une grave faiblesse structurelle résultant d’une négligence prolongée et d’infiltrations d’eau.

● ​Incidents Répétés à Fès (Entre 2020 et 2024) : L’ancienne médina de Fès enregistre constamment des effondrements partiels ou totaux, tels que la chute d’une maison près de Bab El Kissa (Janvier 2020) ou les incidents d’Avril 2024 qui ont fait des victimes. Tous ces cas sont liés à la négligence structurelle et à la vétusté.

● ​Effondrements à Kénitra (Mars 2024) : La ville a connu des effondrements consécutifs, entraînant la mort d’une personne et des blessés. Ces incidents ont confirmé l’urgence d’une intervention pour traiter le dossier des bâtiments anciens menaçant ruine.

​Ces exemples confirment que la crise ne se limite pas à une seule catégorie de bâtiments, mais englobe à la fois les structures anciennes non entretenues et les structures modernes entachées de fraude.

​3. Le Cadre Légal de la Responsabilité et de la Reddition des Comptes.

​La responsabilité civile et pénale est activée pour les intervenants :

● ​Garantie Décennale (DOC, Article 769) : L’architecte et l’entrepreneur sont responsables des défauts qui menacent la solidité du bâtiment pendant dix ans après la réception des travaux.

● ​Responsabilité Pénale : Les parties impliquées (entrepreneur, ingénieur, fonctionnaire) sont poursuivies pour homicide ou blessures involontaires en cas de victimes, en plus des accusations de corruption.

● ​Responsabilité Administrative : Elle vise les fonctionnaires des collectivités territoriales et des autorités locales qui manquent à leur devoir de surveillance et de signalement des infractions (manquement professionnel).

​4. Mesures Proposées pour Endiguer le Phénomène.

​Les mesures se divisent en deux catégories : préventives et légales :

​a. Mesures Préventives et Curatives (Villes Anciennes)

● ​Accélération du Programme MRE (Menacant Ruine) : Déblocage de budgets massifs pour le relogement des habitants et la démolition des bâtiments menacés.
● ​Diagnostic Structurel Obligatoire : Imposer un audit périodique et obligatoire des bâtiments de plus de 30 ans par des bureaux d’études accrédités.

​b. Mesures Légales et de Contrôle (Nouvelles Constructions).

● ​Resserrement du Contrôle et de la Reddition des Comptes : Activation complète du rôle des bureaux d’études et des agences urbaines, et attribution de la responsabilité pénale pleine aux entrepreneurs fraudeurs.
● ​Lutte contre la Corruption Administrative : Numérisation des procédures de permis pour réduire les interactions et la corruption, et assainissement des services administratifs chargés de l’urbanisme.
● ​Sanctions Dissuasives : Application de la sanction de retrait de l’agrément professionnel et de la poursuite pénale pour les ingénieurs et entrepreneurs impliqués dans la fraude.

​Conclusion :

​Le phénomène de l’effondrement des bâtiments au Maroc est, par essence, une crise de l’application de la loi et du contrôle. Les normes d’ingénierie existent, et les cadres juridiques de responsabilité (comme la garantie décennale) sont établis, mais l’absence d’activation de ces mécanismes et le laxisme dans l’application de la reddition des comptes créent un terreau fertile pour la fraude et la collusion. Il n’est possible de réduire ces catastrophes qu’à travers une approche globale qui commence par l’assainissement administratif et la lutte contre la corruption dans le secteur de l’urbanisme, passe par le renforcement du contrôle technique sur les chantiers, et s’achève par l’imposition de sanctions pénales et civiles sévères et dissuasives à l’encontre de quiconque, par sa négligence ou sa fraude, menace la vie des citoyens. Le rétablissement de la confiance des citoyens dans la sécurité de leurs habitations exige un engagement sans équivoque de l’État à appliquer le principe de corrélation entre responsabilité et obligation de rendre des comptes à toutes les étapes de la construction et de la rénovation.

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